Préoccupé par les débats – souvent houleux – entourant la gestion de la diversité culturelle au Québec, Jean-Philippe Croteau a voulu savoir si la province francophone avait eu un parcours historique spécifique dans l’accueil des immigrants. Pour répondre à cette interrogation, l’historien a produit une analyse comparative de l’intégration des immigrants dans les commissions scolaires torontoises et montréalaises entre le dernier quart du XIXe siècle et le milieu du XXe. Quoiqu’il participe de façon heureuse à l’historiographie québécoise, le livre comporte plusieurs redites et laisse en suspens certaines questions cruciales. J’y reviendrai. La démarche de Croteau consiste à jumeler l’étude des politiques d’assimilation des commissions scolaires et le rôle joué par les immigrants dans la mise sur pied de ces mesures d’intégration. Il présente ainsi les communautés culturelles immigrantes non plus comme des victimes passives des politiques scolaires, mais comme des agentes du changement éducatif dans les deux provinces – quoiqu’à différents degrés. Son étude s’inscrit ainsi dans l’historiographie de l’immigration et les études ethniques en considérant les immigrants comme des acteurs du changement social. En plus d’observer la scolarisation concrète et quotidienne des Néo-Canadiens dans les écoles des deux métropoles, Croteau analyse aussi les idéologies et les visées sous-jacentes aux différentes politiques d’intégration mises en place durant la période à l’étude. L’ouvrage, dont la facture comparative reste très classique, comporte cinq chapitres. Le premier décrit les contextes socioéconomiques, démographiques et éducatifs des deux villes durant la période à l’étude. Il expose ainsi le caractère symétrique de l’institutionnalisation des cultures religieuses catholiques et protestantes à Montréal et à Toronto et la façon dont cette institutionnalisation a influencé le choix des immigrants de s’intégrer à l’une ou à l’autre des cultures. Après cette longue mise en contexte, l’auteur s’intéresse respectivement aux écoles publiques (chapitre 2) et séparées (chapitre 3) de la métropole ontarienne puis aux écoles catholiques (chapitre 4) et protestantes (chapitre 5) de Montréal. Dans les deux villes, le XIXe siècle est marqué par la mise en place des clivages confessionnels – et linguistiques dans le cas montréalais – dans l’offre éducative, clivages qui répondent aux pressions démographiques de l’immigration majoritairement britannique et irlandaise. C’est ainsi que les catholiques de Toronto demandent rapidement l’érection d’écoles séparées afin de maintenir la culture nationale irlandaise. Cette visée ne fera pas long feu, et dès le tournant du siècle, ils préconiseront l’inculcation d’une identité canadienne, anglophone et catholique. À l’exception de l’identité religieuse, l’idéologie derrière leur projet éducatif ne diffère pas de leurs concitoyens protestants. En effet, pour les commissaires du Toronto Board of Education, l’école doit former les enfants – Canadiens et Néo-Canadiens – à ce que Croteau nomme l’anglo-conformity. Cette conception de la citoyenneté met de l’avant la loyauté envers la Couronne et l’Empire britanniques, l’apprentissage de l’anglais et une instruction civique basée sur les valeurs morales protestantes. À Montréal, la différence linguistique qui se superpose au clivage religieux crée une situation différente. À tout le moins jusqu’à l’entre-deux-guerres, les deux communautés majoritaires agissent dans un esprit de préservation culturelle et administrent leur commission scolaire sans s’intéresser véritablement à l’assimilation des Néo-Canadiens. Pour les francophones, le maintien des communautés immigrantes catholiques dans le giron de l’Église primait sur leur intégration à la culture canadienne-française. Ainsi, afin d’éviter la désertion des catholiques vers les écoles protestantes, la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) a favorisé l’anglicisation de ces immigrants dans ses écoles. Chez les protestants, très tôt, la volonté de maintenir un certain poids démographique face à la majorité catholique motive le choix des commissaires d’intégrer dans leurs écoles tous les enfants non catholiques. …
Croteau, Jean-Philippe, Les commissions scolaires montréalaises et torontoises et les immigrants, 1875-1960 (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016), 288 p.[Record]
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Catherine Larochelle
Université de Montréal