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Parmi les ouvrages portant sur les années 1960, ce livre de Jean Lamarre choisit d’adopter la perspective d’une histoire « transnationale » axée sur la circulation des idées entre les organisations étudiantes. Jean Lamarre dresse ici un portrait documenté des relations bilatérales des associations étudiantes nationales du Canada, du Québec, de France et des États-Unis au moyen de leurs archives respectives et interroge l’influence possible de ces échanges sur la convergence idéologique des organisations.

Malgré la prétention à une histoire « enchevêtrée », le point focal demeure l’étude de l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ). En endossant l’idéologie du syndicalisme étudiant, l’UGEQ adopte précocement une perspective politique et critique qui fait défaut aux autres associations du continent, à l’exception de la Students for a Democratic Society (SDS). Dans le contexte où le Québec s’ouvre sur le monde, le mouvement étudiant prétend pouvoir jouer un rôle déterminant pour donner une voix au Québec sur la scène internationale, entre autres en se faisant reconnaître par les unions internationales. En général, l’UGEQ adopte une position mitoyenne entre l’Union internationale des étudiants (UIE), davantage alignée sur Moscou, et la Conférence internationale des étudiants (CIE), plus proche des États-Unis et oeuvre à l’unité internationale. Sur le terrain, elle mobilise ses membres contre la ségrégation raciale aux États-Unis et l’intervention américaine au Viêt-nam. Jean Lamarre avance – et il s’agit de la principale thèse originale soutenue dans l’ouvrage – que les motivations profondes des exécutifs de l’UGEQ pour stimuler de telles mobilisations étaient liées à leur penchant nationaliste. En d’autres termes, les mobilisations anti-impérialistes et contre la ségrégation devaient ultimement mousser la question nationale parmi les étudiants.

Dans le deuxième chapitre, Jean Lamarre rapporte les débats et tensions au sein de la Fédération nationale des étudiants des universités canadiennes (FNEUC, deviendra l’Union canadienne étudiante, UCE) qui ont tranquillement fait émerger les conditions de naissance de l’UGEQ. Les francophones, plus revendicateurs et syndicalistes, faisaient face à des associations anglophones plus conservatrices, moins soucieuses des consultations démocratiques de la base et qui, malgré certaines positions en appui aux pays du Tiers monde, refusaient de donner un rôle social plus large aux étudiants. En dépit de certaines concessions faites aux francophones en 1963, le lobby de l’UCE auprès du gouvernement fédéral, effectué dans le but de mettre en place un système de prêts étudiants, va convaincre les francophones de quitter le bateau et de fonder l’UGEQ, car ce lobby avait été fait sans consultation préalable des membres. L’UCE posera d’abord un jugement sévère contre cette nouvelle union, mais dès juillet 1965 les prises de positions politiques de l’UCE laissent croire que l’UGEQ a tiré l’union canadienne vers la gauche.

Dans le troisième chapitre, Jean Lamarre se penche surtout sur la National Students Association (NSA). Dans les années 1960, ses positions corporatistes, son refus de la désobéissance civile (sit-in), son ambiguïté face à la ségrégation raciale, de même que la révélation de son financement par la Central Intelligence Agency (CIA) – dans le but de l’informer des positions des étudiants communistes et issus du Tiers monde – mineront grandement sa réputation et favoriseront la fondation et l’expansion de la SDS, plus militante. En général, la NSA sera méfiante envers l’UGEQ, qu’elle juge menée par une gauche radicale, d’autant plus qu’elle prend des positions bien plus critiques sur la question raciale et le Viêt-nam. L’UGEQ s’inspirera davantage de la SDS et de ses pratiques des teach-in et sit-in, mais sa direction refusera son « recours à la violence » (dont la nature n’est malheureusement pas précisée par l’auteur) et sa méthode d’organisation décentralisée et menée par la base. Jean Lamarre minimise ainsi l’influence des mouvements américains sur l’UGEQ, faisant plutôt valoir que les luttes sociales américaines ont résonné à l’UGEQ dans la mesure où elles permettaient de stimuler l’objectif politique indépendantiste de la direction. On pourrait plutôt considérer que l’influence américaine sur le mouvement étudiant s’est joué en deça des canaux officiels de l’UGEQ, qui a été dépassé au Québec par le mouvement des occupations des cégeps d’octobre 1968.

Enfin, le quatrième chapitre précise l’influence de l’Union nationale des étudiants français (UNEF) sur l’UGEQ. Outre la reprise de la Charte de Grenoble, l’UGEQ aurait adopté des positions internationales similaires à sa consoeur française, favorisant l’unité du mouvement étudiant international. Mais, en général, l’UNEF, modèle pour l’UGEQ sur la scène internationale, restera peu intéressée par les activités de l’UGEQ. En mai 1968, l’UGEQ envoie une lettre d’appui à l’UNEF, tandis que paradoxalement celle-ci est dépassée par sa base étudiante. L’UGEQ tente également, en vain, de faire venir au Québec son vice-président, Jacques Sauvageot, pour stimuler la révolte étudiante et asseoir la crédibilité internationale du mouvement québécois. Mais la base de l’UGEQ s’intéressera peu à soutenir les étudiants français dans leur révolte de mai, contrairement à l’appui qu’elle avait accordé aux luttes américaines. Jean Lamarre fait l’hypothèse que c’est peut-être parce que ces dernières luttes interpellaient « l’américanité » des étudiants québécois et qu’ils avaient sans doute le sentiment que leur mobilisation pouvait réellement changer les choses.

En général, l’ouvrage, bien documenté et faisant appel aux archives des deux continents, présente un portrait détaillé des positions politiques de la période. Le lecteur en quête d’analyse politique plus développée et de recoupement avec l’histoire des idées se trouvera par contre déçu par l’accumulation descriptive, et par certains jugements peu convaincants. Parfois trop catégorique, à deux reprises, l’auteur affirme que la stratégie de l’UGEQ pour stimuler l’indépendance du Québec dans la population étudiante aurait été un échec. Or, à aucun moment il n’est question des critères et des indicateurs qui nous permettraient de juger du succès ou non de la stratégie de l’UGEQ. De surcroît, la thèse de l’instrumentalisation des luttes américaines aux fins de l’indépendance du Québec aurait mérité d’être appuyée par davantage d’extraits d’archives. Bien que cela dépasse les objectifs de l’auteur, il aurait été intéressant de mieux identifier les raisons profondes de la décrépitude des organisations étudiantes entre 1968 et 1970 (UNEF, UGEQ, SDS, NSA), qui semblent, par leur simultanéité et leur convergence idéologique, significatives pour la période. Enfin, un travail d’éditeur plus soigné aurait pu éviter des nombreuses redites, probablement attribuable au fait que ce livre est constitué de plusieurs articles déjà publiés.