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Parmi la myriade de livres publiés sur la Confédération lors de son cent cinquantenaire, ce recueil d’essais se démarque par ses nombreuses qualités. Il tire ses origines d’un colloque tenu en 2014, à un moment où, comme le note L. G. Harvey (p. 220), certaines personnes commençaient à se demander si le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, n’utiliserait pas cette commémoration pour alimenter une culture triomphaliste des «  pères fondateurs  » à saveur américaine. De leurs réflexions est sortie une analyse historique et politique des tensions et des complexités qui ont étayé les premiers arguments des partisans et des opposants à la Confédération. Cette analyse se voulait un moyen de prévenir un certain originalisme conservateur (une théorie selon laquelle les intentions initiales des pères fondateurs devraient déterminer toute interprétation contemporaine). Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le cent cinquantenaire que nous avons vécu, les conversations ayant pris un virage autochtone en 2017, ce que les auteurs ne pouvaient pas vraiment anticiper. Ce volume demeure toutefois d’une utilité remarquable comme outil de réflexion sur la diversité des voix et des positions politiques au sein d’un corpus traditionnel d’analyses constitutionnelles. Publié en français et en anglais, ce recueil d’essais ouvre un dialogue entre ces traditions de réflexion théorique. Puisque l’intervalle peut sembler trop vaste entre 1864 et 2014, les éditeurs ont publié un second ouvrage, aussi dans les deux langues, qui recense l’ensemble des analyses déjà publiées.

Les essais posent des questions à la fois fondamentales et pertinentes. Comment des politiciens aguerris ont-ils utilisé un événement, une crise, une commémoration à des fins politiques de façon à faire entendre certaines voix et en museler d’autres ? Comment la Loi constitutionnelle de 1867 a-t-elle fait ces choses, de façon à ce que les populations régies par cette loi ne puissent que constater qu’elles étaient dominées ou puissent décider d’être émancipées ? C’est la question qui a toujours animé les débats sur la Confédération. Il n’y a pas de réponses faciles face à l’ambiguïté et aux silences du processus politique, car cela dépend de ce qu’on veut dire par domination. Dans le cas présent, l’accent n’est pas mis sur la majorité des non-votants, mais plutôt sur la façon dont les électeurs et les politiciens ont transformé leurs intérêts en résultats politiques. Cela n’est pas un point négligeable et il demeure pertinent. Les opposants de 1864 ont parfois fait obstacle à une stratégie politique précise et ils ont parfois dénoncé en bloc la tradition constitutionnelle britanno-canadienne. Les arguments sont pluriels, fascinants et efficacement mis en opposition les uns contre les autres. Les ambiguïtés et les silences sont entendus, notamment le silence stratégique d’un George-Étienne Cartier qui, malgré son influence (son véto a rendu impossible l’union législative), s’est à peine exprimé durant les débats officiels, comme le notent plusieurs auteurs. Un autre silence éclatant a attiré l’attention des politicologues Robert Vipond, Jacqueline D. Krikorian et David Cameron, soit l’absence des premières références à la justice, à la légitimation démocratique et à la suprématie fédérale dans le texte final de la loi. La seule insatisfaction ressentie à la lecture de cet essai réside en sa brièveté  : s’il vous plaît, plus d’histoire juridique ! Pour d’autres auteurs, dont Louis-George Harvey, Marc Chevrier, François Rocher, Stéphane Kelly, Yvan Lamonde, André Burelle et Anne Trépanier, le plus grand silence est celui des opposants. Rocher note (à la suite de J.-C. Bonenfant) qu’à peine une dizaine des cinquante hommes autour de la table ont fait l’objet de recherches scientifiques et il se penche donc sur quelques-uns d’entre eux. Kelly et Trépanier se concentrent sur les débats qui ont eu lieu à l’extérieur de la législature, c’est-à-dire dans la population et dans la presse écrite. Le récit de Harvey sur la critique républicaine voulant que la réforme projetée ait amplifié la corruption et l’autoritarisme trouve un certain écho au 21e siècle. Dans son bilan des débats en faveur ou à l’encontre de la Confédération dans les Maritimes, Phillip Buckner démystifie une tendance à percevoir les opposants comme «  the true voice  » de la région. D’autres textes, spécialement ceux de Rachel Chagnon et de Guy Laforest et Félix Mathieu font ce travail pour les Canada, démontrant la présence de contestations et de nuances dans les débats. Laforest et Mathieu déboulonnent l’argument selon lequel le Canada-Est, ou le Québec, n’a fait que réagir en 1864, attestant que Cartier, A. T. Galt et D’Arcy McGee ont fait front commun dans la réforme constitutionnelle. Paul Romney établit qu’en dépit d’une tradition établie par Donald Creighton et J.M.S. Careless, ni Oliver Mowat ou George Brown ne se sont ralliés au projet centralisateur de John A. Macdonald alors qu’Éric Bédard explique pourquoi Joseph-Édouard Cauchon y a finalement adhéré. D’autres contributeurs défendent fermement leur position à savoir lequel, du modèle britannique ou américain a le plus influencé les débats ou analysent la pertinence des modèles néozélandais ou indien.

Cependant, au-delà de tous ces arguments, on nous présente des débats qui cherchent à savoir si la réforme a été entreprise pour renforcer ou affaiblir les Canadiens français, des sujets colonisés avec une agentivité politique mesurable, mais problématique et contestée. Les opposants de 2014 célèbrent les opposants de 1864, tel C. S. Cherrier qui avait compris que « l’objet le plus essentiel était de noyer la représentation du Bas-Canada et par là même de porter une atteinte funeste à son existence politique » (p. 204). Cependant, d’autres y voient une émancipation, fondée sur d’autres types de sources. Une réflexion s’impose sur le poids donné à ces sources et à savoir s’il ne s’agit pas d’un débat sur les outils du maître (dans l’esprit de célèbre argumentaire d’Audre Lorde selon laquelle « The master’s tools will never dismantle the master’s house »). De telles réflexions pourraient aussi servir aux débats afin de déterminer si, comme l’argumente Christopher Moore, « [t]he Confederation makers were democrats » (la démocratie étant ici définie comme une « démocratie parlementaire » (p. 149) ou si, comme le soutiennent plusieurs auteurs, ils cherchaient une stratégie leur permettant de contrôler et d’inverser une tendance vers une démocratisation qui leur semblait trop américaine et trop démagogique ou populiste. Claude Couture constate par exemple que le discours canadien-français en faveur du pluralisme a été renversé par un autoritarisme en pleine croissance à travers l’Empire britannique. Les preuves d’une position antidémocratique sont très convaincantes. Si, comme le suggèrent Vipond, Krikorian et Cameron, la logique sous-jacente de la Confédération n’avait pas été « as British as possible under the circumstances » (p. 288), mais plutôt « aussi antidémocratique que possible, autant que le permettront les circonstances », il est alors à espérer qu’un originalisme américanisant ne prenne pas racine au Canada. Les auteurs et les éditeurs ont fait un excellent travail en nous présentant une série d’essais extrêmement riches et sophistiqués.