Comptes rendus

Parent, Frédéric, Léon Gérin, devenir sociologue dans un monde en transition (Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2019), 312 p.[Record]

  • Marcel Fournier

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  • Marcel Fournier
    Chercheur indépendant

Considéré comme le premier sociologue canadien, Léon Gérin demeure, encore aujourd’hui, peu ou mal connu. Heureusement, la parution récente d’un numéro spécial de Recherches sociographiques (sous la direction de Frédéric Parent) lui redonne une certaine « actualité ». Depuis sa thèse de doctorat, Un village invisible (PUL, 2015), Parent s’intéresse à la tradition ethnographique québécoise et c’est cet intérêt qui l’a guidé vers le fonds d’archives Léon-Gérin dans lequel il a découvert près de 3000 lettres, principalement des lettres échangées entre Léon Gérin et les membres de sa famille. Plutôt que d’en faire l’édition complète, Frédéric Parent a décidé de sélectionner des lettres dont il se sert comme matériau pour rédiger non pas, comme on aurait pu le penser, une biographie de Léon Gérin, mais une ethnographie historique de sa pratique scientifique. Dans un « Avant-propos », Parent s’en explique longuement ; il développe aussi une réflexion théorique et méthodologique au carrefour de l’épistémologie et de la sociologie de la connaissance. Intitulé Léon Gérin, devenir sociologue dans un monde en transition, l’ouvrage est, même s’il ne s’agit pas stricto sensu d’une biographie, organisé d’une manière chronologique : d’abord, sont présentées les années de formation, ensuite les étapes et les facettes d’une carrière à la recherche d’une position sociale, Léon Gérin devenant simultanément et successivement colon, fonctionnaire et sociologue. Et si, sur la page couverture, on trouve une photographie non pas de Léon Gérin, mais de toute la famille lors d’une fête chez les Gérin à Coaticook, ce n’est pas un hasard. La posture qu’adopte Frédéric Parent pour cette histoire de vie d’un savant est en effet celle de l’ethnographe qui fait du terrain, en contact avec le concret, le prosaïque ; c’est aussi celle du sociologue pour qui l’infrastructure de la recherche scientifique n’est pas qu’institutionnelle mais aussi sociale, et que la socialité qu’il faut prendre en considération n’est pas seulement celle de la communauté (scientifique) mais aussi et surtout celle de la domesticité, à savoir la vie familiale. Grâce au dépouillement du fonds Léon-Gérin, Frédéric Parent apporte un éclairage nouveau sur plusieurs aspects de la vie privée de Léon Gérin, mais aussi de son travail et de ses engagements publics, nous permettant de percer ce que Guy Rocher appelle le « mystère Léon Gérin », ce mystère étant que le Canada aurait eu son premier sociologue avant la France. Sans diplôme en sciences humaines ni insertion en milieu universitaire, Gérin, le fils d’Antoine Gérin-Lajoie, auteur de Jean Rivard, le défricheur, découvre sa passion pour la science sociale lors d’un séjour à Paris. Il se donne alors les moyens de réaliser son projet scientifique tout en détenant un poste dans la nouvelle fonction publique fédérale comme sténographe et de traducteur puis de secrétaire de ministres. Du travail de sténographe à l’époque, Frédéric Parent nous offre une très belle étude d’ethnographie historique. Savant hors institution, Léon Gérin doit aussi compter sur son réseau d’amis au Québec et au Canada, sur un petit milieu scientifique, celui du Cercle de science sociale d’Ottawa ou de la Société Royale du Canada, et surtout sur son milieu familial : son oncle Denis Gérin – curé de Saint-Justin –, sa mère Joséphine – qui lui donne non seulement un appui financier pour son séjour en France de même que pour l’achat d’une terre, mais valorise aussi son travail scientifique et gère les réseaux familiaux et sociaux –, sa soeur Antoinette – la fondatrice de la première école ménagère, qui dactylographie ses textes et organise des discussions au sujet de ses publications – et enfin sa femme Adrienne – qui l’aide dans ses traductions et …

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