Comptes rendus

Parsons, Christopher M., A Not-So-New World : Empire and Environment in French Colonial North America (Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2018), 258 p.[Record]

  • Jean-François Palomino

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  • Jean-François Palomino
    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

C’est à un fascinant récit que nous convie A Not-So-New World de l’Américain Christopher Parsons, à la croisée de l’histoire environnementale, de l’histoire des sciences et de l’histoire du colonialisme européen. Dense et bien fourni en références bibliographiques (tout autant françaises qu’anglaises), l’ouvrage consigne une multitude de points de vue d’auteurs français ayant décrit l’environnement nord-américain aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement son climat et sa flore, mais aussi les activités humaines avec une emprise sur l’environnement (par exemple l’horticulture et l’agriculture). Sans chercher à évaluer la justesse des descriptions ou des constats avancés par les explorateurs, par les missionnaires et par les botanistes coloniaux, Parsons s’intéresse plutôt à diverses facettes de la construction et de la circulation d’un savoir environnemental, depuis les motivations des acteurs, leur rapport à l’État, l’importance de la recherche de la nouveauté, l’économie de la botanique et l’établissement de réseaux d’information. La question du savoir autochtone - sa crédibilité, son intégration partielle dans les réseaux savants de l’époque, sa difficile appréhension, sa traduction linguistique - y est finement étudiée. L’un des principaux axes d’analyse consiste à déceler la part de nouveauté et de familiarité dans ce qui est entraperçu par les Français. Comme l’annonce le titre de l’ouvrage, l’auteur a surtout repéré des descriptions faisant écho à des espèces végétales et des paysages qui sont familiers aux voyageurs (chapitres 1 et 2). Pour Samuel de Champlain, Marc Lescarbot, Paul Le Jeune, Pierre Biard, Gabriel Sagard et d’autres commentateurs du XVIIe siècle, la Nouvelle-France n’est pas si différente de la France, écologiquement parlant. Ces visiteurs écrivent comme s’ils étaient chez eux en Amérique. Leurs récits laissent rarement transparaître des moments de choc et d’émerveillement. Pour Parsons, ces descriptions familières du territoire, du climat et de la flore soutiennent implicitement l’idéologie coloniale ambiante : les travaux horticoles des Français, partout où ils s’installent, ne sont pas seulement liés à la survie d’un établissement colonial, ils sont en quelque sorte des « actes politiques de revendication territoriale » (p. 8), des moyens qui soutiennent une « politique écologique » (p. 11). Quoique familière, la flore découverte était dite « sauvage », imparfaite, mais réhabilitable grâce à l’intervention française et l’introduction de pratiques horticoles et agricoles européennes. Cette vision coloniale optimiste portait aussi ses espoirs sur un climat hivernal trop rigoureux, qu’une colonisation française pourrait adoucir, croyait-on (p. 19, 23). Les missionnaires aussi sont imprégnés de cette idéologie, puisqu’ils cherchent à sédentariser les peuples autochtones nomades qu’ils rencontrent (chapitre 3), sans grand succès, au final. Parsons dénote un changement de paradigme au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, alors que des auteurs comme l’arpenteur Gédéon de Catalogne, le baron de Lahontan, le colon Pierre Deliette font valoir les limites de cette vision coloniale (chapitre 4). Ainsi, au XVIIIe siècle, plus personne – ni colons ni administrateurs – ne croit que l’environnement de la Nouvelle-France partage une familiarité essentielle avec la France (p. 150). Les colons n’envisagent toutefois plus de cultiver les productions locales américaines, mais ont plutôt foi en l’importation d’espèces européennes. Les observateurs utilisent aussi plus amplement des termes autochtones pour décrire des espèces locales qui n’ont pas d’équivalents français. Accentuant cette tendance, des représentants de la science européenne s’intéressent de près à l’environnement nord-américain et alimentent les botanistes européens en renseignements nouveaux. Correspondants de l’Académie royale des sciences, Michel Sarrazin et Jean-François Gaultier mettent l’accent sur le caractère typiquement américain des espèces qu’ils rencontrent en Nouvelle-France (chapitre 5). Les grilles de description et les circuits en place ont la vertu de faire circuler des informations sous forme standardisée depuis les colonies …