Comptes rendus

Cambron, Micheline, Myriam Côté et Alex Gagnon (dir.), Les journaux québécois d’une guerre à l’autre. Deux états de la vie culturelle québécoise au XXe siècle (Québec, Codicille Éditeur, 2018), 378 p., coll. « Premières approches »[Record]

  • Emmanuel Bernier

…more information

  • Emmanuel Bernier
    Candidat au doctorat en histoire, Université Laval

Les directeurs de l’ouvrage collectif Les journaux québécois d’une guerre à l’autre ont bien raison de souligner en introduction que « nos journaux sont de vastes cimetières discursifs » (p. 5). Le journal, que Fernand Dumont a qualifié d’« objet inséré entre ma conscience et le monde », est certes loin d’être une terra incognita de la recherche au Québec, de nombreux chercheurs y ayant déjà puisé à pleines mains pour alimenter leurs travaux. Mais le matériau déjà utilisé ne constitue probablement que la pointe de l’iceberg journalistique québécois, dont la partie immergée demeure largement à découvrir. Hormis les travaux fondateurs de Jean de Bonville, de Jean Hamelin, d’André Beaulieu et de quelques autres, peu d’auteurs ont par exemple étudié la presse écrite comme un objet en soi, comme un système de représentations, en particulier pour la période de l’entre-deux-guerres, une époque marquée par une pénétration record du journal dans les chaumières. C’est ce constat qui a donné naissance au présent ouvrage, issu d’un séminaire pluridisciplinaire – à forte tendance littéraire – organisé par le Centre de recherche universitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ). Dirigé par Micheline Cambron, Alex Gagnon et Myriam Côté, respectivement professeure, ancien étudiant et doctorante à l’Université de Montréal, le livre rassemble 13 études de cas se concentrant tantôt sur la sortie du premier conflit (1918-1919), tantôt sur l’entrée dans le second (1939-1940). La première section, « Repenser les pratiques culturelles », commence par une contribution d’Adrien Rannaud, qui propose une étude synchronique de deux numéros des mensuels La Revue populaire et la Revue moderne. L’auteur montre que les deux périodiques, qui font une place appréciable aux femmes (la seconde est dirigée par Anne-Marie Gleason, alias Madeleine), ont une visée bien différente : divertissement familial pour le premier, engagement dans la Cité pour le second. Hubert Sabino se penche, pour sa part, sur Le Panorama, un mensuel dédié au jeune septième art qui connut une existence plutôt brève (1919-1921). Si ce fan magazine peut paraître au premier coup d’oeil comme une simple imitation des publications états-uniennes du même genre, il reste tout de même bien ancré dans la réalité canadienne-française en faisant la promotion d’un cinéma d’ici. L’étude de Sarah Cameron-Pesant a, quant à elle, pour objet la presse catholique, qui compte pour un quart des périodiques à cette époque. La chercheuse exploite des sources souvent laissées dans l’ombre, notamment des publications diocésaines et paroissiales. Il apparaît que le discours véhiculé par ces différents organes est beaucoup plus varié qu’on pourrait le penser de prime abord, allant même jusqu’à se contredire sur des questions comme le nationalisme et l’éducation. La deuxième section, intitulée « L’identité canadienne-française. Quand le journal fait campagne », s’ouvre par un article de Karine Bissonnette sur la question identitaire au Devoir. Pour l’auteure, le journal tend à entretenir une rhétorique belliqueuse inspirée du conflit qui vient de se terminer lorsqu’il traite de questions liées à l’identité canadienne-française. Mélanie Fournier part de sept périodiques, autant francophones qu’anglophones et autant libéraux que conservateurs pour comprendre les multiples discours qui se développent autour du référendum sur la prohibition de l’alcool du 10 avril 1919. Elle montre que la « boisson » constitue un important « marqueur identitaire » et un « motif de comparaisons avec les autres nationalités » (p. 151). L’étude de Cécile Morel nous transporte en Abitibi, un territoire qui connaît un important mouvement de colonisation au début du XXe siècle. Une analyse de l’hebdomadaire L’Abitibi, fondé à Amos en 1920, lui permet d’affirmer qu’il s’agit d’une « expérience journalistique de frontière » (p. 155), puisque …

Appendices