Comptes rendus

Duvicq, Nelly, Histoire de la littérature inuite du Nunavik (Québec, Presses de l’Université du Québec, 2019), 238 p.[Record]

  • Caroline Desruisseaux

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  • Caroline Desruisseaux
    Candidate au doctorat en études québécoises, Université du Québec à Trois-Rivières

L’histoire culturelle des peuples autochtones occupe un espace croissant en sciences sociales depuis le mouvement Idle No More. Au Québec, un discours critique sur la littérature autochtone s’est manifesté depuis la parution d’Histoire de la littérature amérindienne au Québec (Boudreau, 1993) et d’Être écrivain amérindien au Québec : indianité et création littéraire (Gatti, 2006). Néanmoins, il demeure difficile de trouver des outils théoriques permettant de remettre en contexte et d’analyser les oeuvres des écrivains autochtones. En conséquence, la parution de l’ouvrage Histoire de la littérature inuite du Nunavik représente une contribution importante abordant un objet vaste et novateur : l’évolution de la littérature inuite du Nunavik, de son émergence au cours des années 1960 jusqu’à son déploiement actuel. Le livre est le résultat des recherches doctorales de Nelly Duvicq, spécialiste en études littéraires et chercheure à la Chaire d’études sur l’imaginaire du Nord. Depuis le Nunavik, où elle réside, Duvicq a regroupé au cours des dernières années un impressionnant corpus de sources sur lequel fonder sa recherche. Elle a recueilli les textes en inuktitut, anglais et français d’auteurs inuits nés au Nunavik (ou dont la famille en est originaire) depuis la création du magazine Inuktitut en 1959, première plateforme de diffusion des Nunavimmiuts. Le corpus est d’autant plus remarquable qu’il rassemble des écrits de tous les styles (contes, récits pour la jeunesse, poésie, autobiographies, nouvelles, romans) et de toutes les formes (journaux, périodiques, anthologies, monographies, romans, médias numériques) depuis les six dernières décennies. L’analyse quantitative et qualitative du corpus se décline en cinq chapitres. Le premier se penche sur les prémices de la littérature écrite, des héritages oraux jusqu’au premier numéro de la revue Inuktitut en 1959. Tout en soulignant le rôle du texte précurseur Sanaaq, l’auteure cherche surtout à expliquer le silence généralisé des voix inuites dans les périodiques des années 1950. Elle expose le manque d’éducation syllabique, la faible densité de population et le peu de moyens d’impression et de diffusion de l’époque. Mais surtout, l’auteure soutient que « la langue inuite transposée à l’écrit a originellement servi de passeur culturel au bénéfice de la culture exogène, celle du Blanc, celle du missionnaire, celle du marchand » (p. 4). S’établissant en rupture avec les périodiques distribués dans un objectif d’évangélisation ou d’assimilation, le magazine Inuktitut fait office de véritable « révolution tranquille » (p. 24). Bien qu’il soit lancé par le ministère des Affaires indiennes et du Nord pour « éduquer » la population inuite, ce périodique « marque une rupture dans l’histoire de la littérature inuite au Canada en ouvrant un espace de possibilités pour les écrivains inuits » (p. 25). Cet espace est pleinement investi dans le second chapitre. Circonscrit entre 1960 et 1974, il explore les formes littéraires d’une période de réappropriation du discours et d’affirmation culturelle par les Inuits à la suite de la sédentarisation forcée et au moment où s’accroissent les interventions provinciales. L’auteure considère que la littérature inuite se développe alors en deux volets. D’abord, les textes destinés aux Inuits sont rédigés en inuktitut et paraissent dans les revues régionales en sollicitant un sentiment d’appartenance à la nation et à ses institutions politiques, telles que les conseils communautaires ou la récente Association des Inuits du Nouveau-Québec (AINQ). D’autres s’adressent aux Qallunaat (« Blancs ») et sont diffusés vers le sud, afin de revendiquer des droits politiques et territoriaux ou encore de déconstruire certains stéréotypes. Sensible à la pression exercée par le milieu universitaire sur la culture locale, Duvicq ne manque pas de présenter l’influence des ethnologues. Selon l’auteure, l’engouement des premiers chercheurs pour la compilation encyclopédique des récits oraux traditionnels …