Comptes rendus

Anctil, Pierre et Ira Robinson (dir.), Les Juifs hassidiques de Montréal (Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2019), 208 p.[Record]

  • Éliane Bélec

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  • Éliane Bélec
    Historienne indépendante, Histo&Co. //FIFHM

Pour beaucoup de Montréalais, la communauté juive se résume à la minorité visible des groupes hassidim qu’ils ont l’occasion de croiser, parfois, dans certains secteurs d’Outremont. À Montréal, Hassidim, Juifs et non-Juifs se côtoient dans une froideur relativement respectueuse. Il transpire d’ailleurs dans cet ouvrage collectif dirigé par Pierre Anctil et Ira Robinson une volonté de comprendre un mystère qui, lui, ne souhaite apparemment pas se dévoiler. Pierre Anctil (Université d’Ottawa) et Ira Robinson (Université Concordia) sont des spécialistes reconnus du sujet depuis de nombreuses années. Le premier est l’auteur de nombre d’ouvrages sur le Montréal juif, notamment sur ses groupes ashkenazes. Sa récente synthèse, Les Juifs du Québec, paru en 2018, est l’un des ouvrages récents les plus complets. Quant à Ira Robinson, son expertise sur l’orthodoxie judaïque en Amérique du Nord et sur les rapports entre identité et mémoire est remarquable. Les deux chercheurs ont organisé, en 2017, un colloque sur les communautés hassidim montréalaises dans le cadre du 85e congrès de l’ACFAS. Pluridisciplinaire, l’événement réunissait des historiens (Anctil, Simon-Pierre Lacasse), des sociologues (Valentina Gaddi, Wiliam Shaffir), des spécialistes de l’éducation (Christine Brabant, Christiane Caneva) et des sciences religieuses (Ira Robinson, Steven Lapidus), entre autres. Cette volonté de dresser un portrait global de ces communautés méconnues transparaît dans le recueil qui témoigne de l’événement. Ce recueil collectif n’est certes pas une synthèse au sens classique. Or, vu le peu d’ouvrages qui offrent un éventail de regards sur le sujet bien précis des groupes hassidim, il constitue un tour d’horizon historique, démographique et culturel fort appréciable. Un mot sur le rôle de Montréal dans les dynamiques analysées, puisque le multi (ou inter) culturalisme qui serait typique de la ville sert de trame à plusieurs des articles (Lacasse, Chantal Ringuet, Brabant, Jessica Roda). Les contacts entre les diverses communautés, chrétiennes ou juives, auraient conditionné leurs expériences et leurs développements historiques, soit dans la confrontation (Lapidus, Shaffir, Gaddi), soit dans l’entraide (Robinson, Lacasse). Voilà un apport intéressant à l’historiographie urbaine, et précisément à la discussion sur les relations interculturelles à Montréal. En outre, à travers les textes de Ringuet (« Traduire le Montréal yiddish ») et de Brabant et Caneva (« Un encadrement pour la scolarisation des jeunes »), Montréal ressort comme une plaque tournante pour la diaspora hassidim qui reste en relation avec d’autres diasporas, la new-yorkaise notamment. Les auteurs ayant participé au recueil sont les experts de leur champ d’étude. Leurs noms sont connus des praticiens des études juives et eux-mêmes ont produit une grande part de l’historiographie ou de la littérature disciplinaire accessible sur les communautés hassidim. On peut se demander, de l’extérieur, si cette expertise ne s’exerce pas en circuit fermé. C’est néanmoins un bien mince reproche, attendu qu’on pourrait l’adresser à n’importe quel champ d’expertise un tant soit peu restreint. Cependant, on serait curieux d’en savoir davantage sur l’accès qu’ont à cet univers très restreint des chercheurs qui font eux-mêmes partie du « monde extérieur ». On remarquera dans tous les textes une volonté sincère de comprendre, sinon de circonscrire, des mécanismes de ségrégation sociale mis en place par la communauté elle-même. Il transparaît de toutes les analyses que les mécanismes qui rendent ces groupes si hermétiques aux influences extérieures sont en fait garants de leur survivance culturelle et même démographique. Chez certains auteurs (surtout chez Brabant et Caneva, mais aussi Gaddi), on devine une volonté d’expliquer les choix communautaires en s’appuyant sur les dispositions de la loi québécoise. Des dispositions que certains appelleraient des « accommodements » sont plutôt présentées ici comme des ajustements possibles pour ménager l’intégrité culturelle dans le respect de la …