Comptes rendus

Keelan, Geoff, Duty to Dissent. Henri Bourassa and the First World War (Vancouver, UBC Press, 2019), 273 p.[Record]

  • Damien-Claude Bélanger

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  • Damien-Claude Bélanger
    Université d’Ottawa

J’avoue avoir ouvert ce volume avec une certaine appréhension. L’auteur, qui m’était inconnu, a complété un doctorat à l’Université de Waterloo et est issu du milieu des war studies. Le seul historien de langue française évoqué dans ses pages liminaires est un évaluateur anonyme « that provided worthwhile insight into Quebec literature on the war and corrected many minor errors » (p. vii). Je craignais devoir recenser un livre qui ne dialoguait pas avec l’historiographie du nationalisme canadien-français, mais j’ai au contraire découvert un ouvrage de grande qualité qui apporte une réelle contribution savante. L’ouvrage offre en effet une perspective unique sur la pensée bourassienne. L’auteur possède des connaissances approfondies sur l’histoire du Saint-Siège et sur les réseaux anti-impérialistes et antimilitaristes de la Grande-Bretagne et des États-Unis au début du XXe siècle. Il situe Henri Bourassa dans un cadre international et l’aborde moins en tant que chef nationaliste qu’en tant que dissident. Bourassa fait ainsi partie, selon l’auteur, d’une mouvance dissidente transatlantique qui s’oppose à la Première Guerre mondiale et réclame la paix. Le fondateur du Devoir serait une des grandes figures de cette mouvance et un des rares Canadiens à situer le conflit dans une perspective à la fois critique et globale. Keelan souligne d’ailleurs que « his ideas about Canada and the war were not easily categorized. They were not always in line with what other French Canadians, nationalists, or Catholics were thinking. They were sometimes diametrically opposed to the majoritarian views in his province and his country. » (p. 14) Alors que les historiens et historiennes du Québec ont tendance à voir chez Bourassa le reflet de l’opinion publique canadienne-française au cours de la Grande Guerre, ce volume insiste plutôt sur la dissidence bourassienne. Le chef nationaliste se situe à contre-courant des évêques, des nationalistes, des bien-pensants et de la population en général à maintes occasions entre 1914 et 1918. Il sera d’ailleurs plus ou moins renié dans l’après-guerre par le mouvement nationaliste qu’il avait lui-même créé au tournant du XXe siècle. L’ouvrage suit le parcours bourassien de l’entrée en guerre en 1914 jusqu’à l’armistice en 1918. Le chef nationaliste effectue un voyage d’études en Europe à l’été de 1914 et évite l’internement de près en traversant la frontière belgo-allemande à pied dans les minutes qui précéderont le déclenchement des hostilités. Bourassa est ébranlé par cet épisode et, on a tendance à l’oublier, va appuyer la participation du Canada au conflit en août 1914. Il participe ainsi à l’élan canadien de solidarité envers la France et la Belgique et, surtout, envers la Grande-Bretagne qui marque les premiers mois du conflit. Il appelle de tout coeur à l’émergence d’une « union sacrée » canadienne fondée sur une reconnaissance mutuelle des droits linguistiques et religieux des deux « races » fondatrices et souhaite voir l’effort de guerre mené sous les auspices du nationalisme canadien et non sous la bannière de l’impérialisme. Les critiques fusent pourtant de toutes parts en 1914. En Ontario, on accuse Bourassa, qui avait exigé l’abrogation du Règlement 17 comme condition d’une union sacrée, de politiser le conflit. Au Québec, les évêques, qui vont publier, dans un dernier grand élan loyaliste, une lettre pastorale en appui à l’effort de guerre, vont lui reprocher sa tiédeur face au conflit. Dès septembre, L’Action sociale de Québec dénonce le chef nationaliste et insiste sur les devoirs du Canada français à l’égard de la Grande-Bretagne. Bourassa, qui jouit tout de même de nombreux appuis au sein du clergé, est mal à l’aise face à l’enthousiasme belliqueux des évêques québécois. Il se tourne plutôt vers Rome, où Benoît …