Article body

Après avoir abordé l’oeuvre de Benjamin Sulte dans un ouvrage publié en 2009, Patrice Groulx, un habitué des enjeux de mémoire et de commémoration, nous livre la biographie d’un autre historien canadien-français. Dans François-Xavier Garneau. Poète, historien et patriote, Groulx s’applique à déterminer qui était l’homme « dans son milieu et avant sa mythification » (p. 16) ainsi qu’à éclairer la genèse de certaines de ses idées. Si l’importance de Garneau dans l’historiographie canadienne-française n’est plus à démontrer, l’auteur souligne qu’une mise à jour globale des connaissances sur lui s’imposait. Pour ce faire, Groulx, suivant une approche chronologique, retrace la vie de Garneau selon deux plans : la vie privée et celle de l’érudit dans la cité.

Les trois premiers chapitres abordent les moments formateurs pour le jeune François-Xavier : d’abord, jusqu’à l’âge de seize ans, à l’école mutuelle fondée en 1821 à Québec par Joseph-François Perrault ; puis à l’étude d’Archibald Campbell, auprès de qui il apprend le métier de notaire ; et enfin à Londres, comme secrétaire de l’émissaire de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, Denis-Benjamin Viger. Avec ce dernier, le jeune autodidacte devient plus sensible à la « défense des droits de son peuple » et fait la découverte d’un « culte de la mémoire nationale presque inexistant chez lui auparavant » (p. 57). En côtoyant ces trois hommes et leurs cercles sociaux respectifs, Garneau s’initie à un panorama littéraire qui fonde sa culture personnelle et qui contribue à parfaire sa « culture seconde » (p. 256).

Les années suivantes (1833-1839), abordées dans les chapitres 4 et 5, sont décrites par Groulx comme des moments d’incertitude pour Garneau. À son retour d’Europe, il reprend son emploi de notaire un peu à contrecoeur. Ses deux tentatives de lancer un journal se soldent par un échec, faute de souscripteurs. Politiquement, au moment où les 92 résolutions sont adoptées (1834), il est tiraillé entre le radicalisme de certains patriotes et la modération. Parallèlement à ce bouillonnement politique et professionnel, Garneau se marie et fonde une famille.

Après l’écriture et la publication de quelques poèmes, Garneau réfléchit à un moyen de « rendre compte de cette situation inédite où un peuple issu d’un autre continent, et encore dans l’enfance, n’a qu’une conscience limitée » (p. 97) de son histoire et de son avenir politique. La publication d’un prospectus lance le projet de son Histoire du Canada. Le chapitre 6 est l’occasion pour l’auteur de clarifier la position politique de Garneau : « Nos institutions, notre langue et nos lois, sous l’égide de l’Angleterre et de la liberté » (p. 102), affirme ce dernier dans une conférence publique.

Les chapitres 7, 8 et 9 abordent le travail acharné de Garneau pour publier les deux premières éditions de son Histoire. Après quelques timides réactions positives, l’historien doit affronter un véritable « branle-bas de combat clérical » (p. 119) contre certaines de ses critiques sur l’intervention de l’Église dans les affaires de l’État. L’un des apports de cette biographie est sans contredit la mise au jour de la position de Jacques Viger, homme politique et journaliste, et de Charles-Félix Cazeau, secrétaire de l’archidiocèse de Québec, et de leur travail en coulisse pour nuire à Garneau. Malgré les critiques qu’il encaisse, ses problèmes d’épilepsie, son travail très prenant de greffier au conseil municipal de la Ville de Québec et ses obligations familiales, Garneau persiste : l’historien réussit à se faire un nom. En témoignent son implication dans la commémoration des « Braves » de la bataille de Sainte-Foy en 1854 ainsi que la publication d’un abrégé de son Histoire du Canada en 1856, respectivement abordées dans les chapitres 10 et 11.

Les chapitres 12 et 13 montrent un Garneau plongé dans un travail d’introspection sur sa vie et sur sa lecture du passé. Il travaille à la préparation de la troisième édition de son Histoire du Canada, puis à la quatrième qu’il ne réussira pas à publier avant sa mort. La vieillesse se fait sentir au point où, à cinquante-quatre ans seulement, il informe le conseil municipal de sa démission. L’historien national décède deux ans et demi plus tard, le 3 février 1866. Le quatorzième et dernier chapitre du livre aborde les suites du décès de l’historien national et sa commémoration et fait office de conclusion.

Dans cette biographie bien ficelée et écrite d’une belle plume, Patrice Groulx nous offre le portrait d’un Garneau autodidacte, familier des bibliothèques et tenace au point de payer de sa poche la publication de son Histoire. Il retravaille son oeuvre sans relâche, au mépris de sa propre santé. On y découvre un homme impliqué dans les débats politiques de son époque et jouissant d’une certaine proximité avec une élite politique et littéraire qui lui ouvre notamment les portes de certaines sources inédites. L’ouvrage répond certainement au but qu’il s’était fixé : on a bien l’impression d’avoir fait la connaissance d’un Garneau poète, historien et patriote. Afin de nous le livrer dans son intimité, sa correspondance a été exploitée au maximum : plus de 360 lettres ou brouillons envoyés ou reçus. Le style biographique permet à Groulx de nous faire connaître les dispositions sentimentales de Garneau et le fond de sa pensée en nous dévoilant ses dispositions intimes, ses moyens et ses choix. Soulignons que les brefs passages de contextualisation historique qui ponctuent la biographie réussissent à atteindre leur but sans faire dévier le récit. En revanche, si on sent bien que Groulx a souhaité minimiser le recours aux extraits des oeuvres de Garneau, le lecteur qui n’est pas familier avec ses écrits ou dont la dernière lecture remonte à un certain temps en ressortira certainement un peu perdant.

Cette biographie aura permis de souligner l’importance du notariat dans la vie de Garneau ainsi que son implication dans l’administration municipale de Québec (il participe à 1 035 réunions du conseil municipal et à plus de 1 360 réunions de comités). Nous ne pouvons qu’espérer que cette publication réussisse à convaincre de la pertinence de publier une édition critique de l’Histoire du Canada et de la correspondance de son auteur. D’ici là, la biographie écrite par Patrice Groulx nous offre l’occasion d’explorer la figure de Garneau d’une manière neuve et très bien documentée à travers sa vie et l’esprit de son époque.