Comptes rendus

Racine St-Jacques, Jules. Georges-Henri Lévesque. Un clerc dans la modernité. Montréal, Boréal, 2020, 492 p.[Record]

  • Daniel Poitras

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  • Daniel Poitras
    Chercheur indépendant

Georges-Henri Lévesque est l’une de ces figures fascinantes qui occupent une place à part dans l’histoire québécoise. À travers lui, c’est aussi un siècle et ses espoirs, ses dérives et ses blocages que l’auteur explore. Quelques pages d’égo-histoire révèlent l’importance du printemps érable dans les sources d’inspiration du livre, notamment le parallèle entre la crise de la modernité des années 1930 et la crise sociale de 2012. Si la recherche d’une « troisième voie » entre le capitalisme et le communisme a bien sûr changé de forme d’une époque à l’autre, on devine que c’est un horizon d’attente ouvert à un futur inédit qui caractérise ce moment d’égo-histoire dans le livre. L’auteur n’approfondira pourtant pas cette piste, qui constitue plutôt la caisse de résonnance d’un livre qui, en définitive, accomplit ce que plusieurs solides livres d’histoire parviennent à faire : il nous rend le passé à la fois plus proche et plus lointain. Il est difficile d’aborder le personnage du père Lévesque sans tenir compte de la question des origines de la Révolution tranquille. Lévesque en est-il un « artisan » ? Jules Racine St-Jacques est clair là-dessus : non. À la limite, il en est un inspirateur. Cette constatation est en contraste avec celle d’autres chercheurs ou intellectuels qui ont élevé Lévesque au rang de « père » de la Révolution tranquille, et témoigne tout autant d’un scrupule historien (éviter le péché de la téléologie) que d’une distanciation générationnelle. En effet, l’auteur n’est plus sur le haut de la vague de l’actualisation tenace (et parfois décalée !) d’une Révolution tranquille qui a longtemps servi, à l’exemple d’ailleurs de la Révolution française, à magnétiser et donner sens aux événements en amont et en aval, au détriment d’autres grilles de lecture. On n’en a pas moins l’impression d’avoir assisté, en refermant le livre, à la vieille lutte des lumières contre l’obscurantisme — ou encore celle entre un catholicisme incarné, ouvert et adaptatif et un autre catholicisme repoussoir, pétri d’obscurantisme et d’anathèmes. Le père Lévesque et le catholicisme social qu’il incarne ressortent comme des forces positives et même révolutionnaires de cette lutte. À cet égard, l’ouvrage est le rejeton du courant de la nouvelle sensibilité en histoire et participe à l’approfondissement de l’histoire du catholicisme. Le livre s’inscrit dans l’histoire intellectuelle, culturelle et idéologique. L’auteur prend bien soin de contextualiser les étapes du développement de la pensée de son protagoniste, dont il retrace les influences intellectuelles en remontant aussi loin que la constitution de l’ordre des Dominicains. On découvre que le passage et la formation de Lévesque en Europe ont été marquants dans le déploiement de sa pensée. C’est là qu’il a absorbé un catholicisme social incarné (étiqueté comme « de gauche » par ses adversaires) qui constituait une tentative de secouer le statu quo de l’Église et de reconquérir les masses. Attentif au Zeitgeist, aux emprunts et aux transferts d’idées venus d’Europe, et soucieux d’établir des parallèles entre les débats au Québec et ailleurs, l’auteur montre comment le bagage intellectuel du jeune dominicain est décisif dans ses orientations futures. Une bonne part du livre est consacrée aux stratégies de Lévesque pour promouvoir ses idées et les organisations et institutions qu’il défendait. Jules Racine St-Jacques reconstitue finement les champs dans lesquels il s’inscrit et les remous qu’il laisse dans son sillage. Entrepreneur intellectuel, Lévesque fut aussi un habile entremetteur de différents courants ou mondes qui se parlaient peu — qu’il s’agisse des États-Unis où il envoie ses étudiants en vue de constituer à Québec la Faculté des sciences sociales, ou du Canada anglais où il tisse un vaste réseau qui lui servira …