Comptes rendus

Théorêt, Hugues. La peur rouge. Histoire de l’anticommunisme au Québec, 1917-1960. Québec, Septentrion, 2020, 215 p.[Record]

  • Benoit Marsan

…more information

  • Benoit Marsan
    Université McGill

D’après Hugues Théorêt, même si la menace communiste au Québec et au Canada s’avère historiquement exagérée, l’importance de l’anticommunisme s’explique par des facteurs à la fois politiques, idéologiques et religieux. Suivant les traces de l’historienne Andrée Lévesque, l’auteur estime que le phénomène au Québec est avant tout catholique, ce qui explique son importance de 1917 à 1960. D’après lui, sa virulence s’estompe avec la Révolution tranquille, période caractérisée par la perte d’influence de l’Église catholique et l’émergence d’un nationalisme québécois de gauche. L’ouvrage se divise en six chapitres. Le premier identifie les principaux événements aux origines de l’anticommunisme au Canada (la révolution russe de 1917, la grève générale de Winnipeg de 1919, la naissance du Parti communiste du Canada et la Grande Dépression). Le chapitre 2 détaille les principaux aspects du discours anticommuniste au Québec. Théorêt estime qu’il est grandement influencé par les encycliques papales, notamment celles de Pie XI (reg. 1922-1939). De plus en plus militant au cours des années 1930, le mouvement est animé par des figures du clergé, dont Mgr Gauthier, ex-recteur de l’Université de Montréal devenu brièvement archevêque de Montréal, ainsi que par les organisations d’action catholique. L’École sociale populaire et des revues intellectuelles mènent une propagande active, reprise dans plusieurs journaux francophones. Le chapitre 3 aborde les suites de l’élection de l’Union nationale en 1936 et l’impulsion qu’elle procure à l’anticommunisme québécois. Théorêt y décrit le contexte d’implantation de la « loi du cadenas », donne des exemples de la répression des activités séditieuses et décrit l’opposition naissante à la loi. Le chapitre 4 présente les principales revues intellectuelles qui propagent les écrits anticommunistes au cours des années 1930 et 1940 (L’Oeuvre des tracts, L’Action nationale et L’Ordre nouveau). L’auteur explique comment ceux-ci sont influencés par des événements internationaux tels que la guerre civile espagnole et la Deuxième Guerre mondiale. Le chapitre 5 traite de l’anticommunisme dans le contexte du début de la guerre froide. Théorêt donne en exemple les affaires Fred Rose et Igor Gouzenko, qui mènent en 1946 à la création de la commission royale d’enquête Kellock-Taschereau sur l’espionnage soviétique au Canada. Le chapitre 6 analyse comment l’anticommunisme est mobilisé au cours des années 1950 pour s’attaquer au mouvement syndical et à l’opposition grandissante envers l’Union nationale. Selon l’auteur, bien que le discours anticommuniste persiste au sein de l’Église et dans les cercles de la droite traditionaliste, il s’effrite avec le rejet du duplessisme. Bien écrit et facile à lire, le livre peut constituer une synthèse intéressante pour un lectorat non initié. Cependant, l’ouvrage comporte certaines lacunes. Une connaissance moins superficielle de l’historiographie ouvrière et une mise en dialogue avec l’historiographie canadienne-anglaise auraient certainement comblé certaines d’entre elles. Malgré ce qu’annonce le titre, la moitié du livre est consacrée aux années 1930. C’est dans cette décennie que Théorêt situe les débuts de la répression étatique envers les activités communistes. Selon lui, elle apparaît sous le gouvernement Bennett au Canada et sous Duplessis au Québec. Pourtant, l’article 98 du Code criminel, adopté dans la foulée de la grève générale de Winnipeg, est un élément central de l’histoire de l’anticommunisme au Canada de 1919 à 1936. Au Québec, cette mesure législative guide notamment l’action du gouvernement Taschereau dans la première moitié des années 1930. Elle mène à une importante vague de répression : arrestations, déportations, interdiction de manifestations et de rassemblements, activités de surveillance policière, saisies et interdictions de publications et fermeture de salles. En ignorant cet épisode, l’auteur se rend incapable de contextualiser plus largement l’adoption de la loi du cadenas en 1937, qui est entre autres une réponse à …