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Premier ministre du Canada de 1948 à 1957, Louis St-Laurent a peu attiré l’attention des historiens comparativement à ses successeurs Lester B. Pearson (1963-1968) et Pierre Elliott Trudeau (1968-1979, 1980-1984). Son unique biographie jusqu’ici (écrite par Dale C. Thomson) a été publiée en 1967, à peine neuf ans après la fin de son mandat. Ce nouvel ouvrage collectif vient corriger une lacune importante de l’histoire politique canadienne.
Patrice Dutil est professeur au département de sciences politiques et d’administration publique de l’Université métropolitaine de Toronto, (Université Ryerson au moment de la publication). On lui doit de nombreux livres malheureusement peu connus au Québec, tels que Prime Ministerial Power in Canada. Its Origins under MacDonald, Laurier and Borden (UBC Press, 2017) et Canada, 1911. The Decisive Election that Shaped the Century (Dundurn Press, 2011). Dutil a également dirigé le collectif Sir John A. Macdonald at 200. New Reflections and Legacies (Dundurn Press, 2014), publié à l’occasion du bicentenaire du père de la Confédération.
La plupart des contributeurs de ce collectif sont des professeurs d’université de toutes les générations. Des vétérans tels que Robert Bothwell et J. R. Miller côtoient des recrues telles que Abril Liberatori, qui venait d’obtenir son doctorat au moment de la publication. Bien que l’histoire soit dominante, les disciplines sont variées : sciences politiques, administration publique, communication, droit… L’équipe semble parfaitement équilibrée pour tracer un portrait complet explorant toutes les facettes de l’administration St-Laurent.
Les sujets abordés sont variés. Le collectif étudie notamment le rapport du gouvernement St-Laurent avec les Premières Nations, les relations intergouvernementales, les politiques d’immigration, les campagnes électorales et la modernisation de la fonction publique. L’ouvrage est malgré tout loin d’être exhaustif. Les droits des femmes, la lutte contre le communisme et la guerre de Corée sont absentes des thématiques étudiées. Bien qu’il soit injuste d’attendre d’un ouvrage collectif que chaque aspect d’un sujet soit analysé, certains angles semblent incontournables et on s’explique difficilement leur omission.
The Unexpected Louis St-Laurent a le mérite de se tenir loin des écueils qui plombent parfois les ouvrages collectifs. Ceux-ci contiennent trop souvent un ou plusieurs chapitres dont la faible méthodologie jure avec l’ensemble de l’oeuvre. Ce n’est pas le cas ici. Patrice Dutil a réalisé un travail d’édition remarquable. Les auteurs sont tous rigoureux dans leur approche et chaque chapitre respecte les standards de qualité auxquels on est en droit de s’attendre. L’exception se trouve dans le chapitre de Jean Thérèse Riley, petite-fille de Louis St-Laurent, dont le témoignage personnel est naturellement exempt de démarche scientifique. Le livre se termine avec un index thématique et onomastique qui facile grandement la consultation. La seule faiblesse au niveau du collectif se trouve dans les répétitions, certains sujets étant abordés à plusieurs reprises et les auteurs répétant ce qui avait déjà été dit par d’autres.
À première vue, on pourrait s’attendre à ce que ce collectif soit un hommage. Le directeur de l’ouvrage montre ses couleurs dans son chapitre d’introduction en présentant Louis St-Laurent comme un « key agent of modernity in this country » (p. 49). Un chapitre rédigé par Jean Thérèse Riley, petite-fille de Louis St-Laurent, est entièrement consacré à la vie familiale. Le livre se termine avec un hommage de l’ancien premier ministre Jean Charest. Nous aurions tort d’en déduire que le collectif sera complaisant. Les jugements à l’endroit de St-Laurent sont aussi diversifiés que les champs d’expertise des auteurs.
Certains chapitres sont écrits dans un ton à la limite de la solidarité partisane. C’est notamment le cas de l’article de P. Whitney Lackenbauer concernant le développement du Nord canadien. L’auteur vante les résultats économiques obtenus par St-Laurent et ses collègues dans le respect des traditions autochtones et résume négativement la transition du gouvernement conservateur de Diefenbaker, entièrement dévoué au développement économique et dénué d’intérêt pour les communautés inuites. Michel S. Beaulieu considère quant à lui que le relatif oubli dans lequel est tombé St-Laurent et le jugement peut-être injuste à son endroit est dû à la propagande conservatrice visiblement acceptée par les contemporains et les historiens. Mary Janigan est élogieuse quant à la façon dont la péréquation a été mise en place par le gouvernement St-Laurent : « It is a poignant grace note to a remarkable life » (p. 257).
D’autres auteurs sont beaucoup plus critiques. Robert Wardaugh et Barry Ferguson reconnaissent que la politique fiscale de St-Laurent se concentrait sur les gains financiers à court terme et était exempte de toute vision nationale en plus d’ignorer les revendications provinciales. David Mackenzie attribue à St-Laurent le mérite d’avoir assuré l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, mais admet que celle-ci a causé des difficultés importantes à la province en raison de l’imprévoyance du gouvernement central. Gregory P. Marchildon explique le rôle joué par St-Laurent dans l’établissement de l’assurance-santé au Canada, mais souligne également la participation de John Diefenbaker qui a amélioré les bases posées par son prédécesseur. Il en résulte un portrait juste et nuancé permettant au lecteur de se faire sa propre opinion.
Il est peu probable — et cela est malheureux — qu’une traduction française voie le jour, St-Laurent étant encore moins présent dans la mémoire populaire francophone que dans le milieu anglophone où il fait déjà figure de grand négligé. L’ouvrage mérite pourtant d’être diffusé. Non seulement ce collectif explore la vie et la carrière d’une figure clef de la politique canadienne, mais il démontre le potentiel et la pertinence de l’histoire politique, domaine parfois malmené par les départements d’histoire. Loin de se cantonner à l’oeuvre d’un homme d’état et à ses stratégies pour se mener au pouvoir, les auteurs explorent de nouveaux pans de l’histoire économique, sociale, culturelle et autochtone. La biographie de St-Laurent n’est que le point de départ d’une étude beaucoup plus large sur une période de l’histoire canadienne qui reste encore à découvrir.