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Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, l’historienne de l’art Elsa Guyot démontre que même si le territoire du Québec n’a pas existé en tant que tel au Moyen Âge, celui-ci est bien présent dans nos musées. Loin de faire une liste monotone des expositions et des objets médiévaux au Québec, elle révèle comment une exposition est un lieu de discours qui présente le Moyen Âge et comment il est influencé par des contextes et des enjeux contemporains. La scénographie d’une exposition est donc autant un sujet d’étude que les objets exposés. C’est pourquoi elle n’aborde que des expositions conçues par des musées québécois, mais dont les objets peuvent venir d’ailleurs.

Le premier chapitre commence par un rappel historiographique de la mauvaise presse qui accompagne la période médiévale depuis la Renaissance, puis par sa redécouverte au 19e siècle, notamment dans l’art néogothique nord-américain, dont Notre-Dame de Montréal est un exemple notoire (1824). Au même moment, les études médiévales se développent à Toronto, à Ottawa et enfin à Montréal grâce à l’Institut d’études médiévales Albert-le-Grand établi par les Dominicains en 1942. Parallèlement, des collections d’objets médiévaux commencent être rassemblées en Amérique du Nord. Enluminures, parchemins et pièces de monnaie ouvrent la voie à d’autres oeuvres plus grandes comme des tapisseries. Nombre de ces premières collections sont d’abord privées, mais elles finissent par être offertes aux musées, notamment aux futurs Musée des beaux-arts de Montréal et Musée d’art de Joliette. Ce dernier est redevable des collections constituées par les Clercs de Saint-Viateur et le père Wilfrid Corbeil, qui crée à Joliette un premier espace muséal à vocation également pédagogique. Comme dans le milieu universitaire, ce sont donc des religieux qui sont derrière cette première mise en avant du Moyen Âge au Québec. Or, ils considèrent cette période comme une référence esthétique et spirituelle. C’est pourquoi les premières expositions à Joliette ou au futur Musée national des beaux-arts du Québec ont des présentations invitant à la contemplation. Ce n’est qu’avec la Révolution tranquille que la dimension religieuse commence à être mise de côté dans les expositions du Québec.

Le deuxième chapitre aborde de quelle manière la politique peut être sous-jacente aux expositions sur le Moyen Âge. En 1944, le Musée des beaux-arts de Montréal présente une réplique de la tapisserie de Bayeux. L’exposition s’ouvre à quelques jours du débarquement de Normandie et l’historienne démontre que ce choix n’est pas anodin. En effet, les musées jouent un rôle dans la guerre puisqu’ils sont sollicités pour diffuser des messages de cohésion ou de propagande pour les Alliés. Les conférences, expositions temporaires, collectes de fonds, projections de films et concerts qu’ils organisent aident à soutenir l’effort de guerre, tant à Montréal qu’en Europe. Confectionnée en Normandie au 11e siècle, la tapisserie de Bayeux décrit un débarquement victorieux (les Normands envahissant l’Angleterre), comme celui que l’on sait à venir en 1944. Par ailleurs, lors de la tenue de cette exposition, la véritable tapisserie est perdue en France occupée par les Allemands, ce qui suscite beaucoup d’inquiétude à (on la retrouvera intacte à la libération de Paris). Plus tard, en 1972, alors que le Québec est en plein mouvement d’affirmation nationale, deux expositions mettent en évidence comment la représentation du Moyen Âge est influencée par ce contexte social et politique. Tandis que le Musée national des beaux-arts du Québec organise une exposition sur l’art français au Moyen Âge, y soulignant l’héritage français du Québec, le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa tient une exposition sur les échanges culturels entre la France et l’Angleterre au Moyen Âge. Les objets de cette dernière exposition proviennent de la période 1259-1328, une période de paix, voire d’harmonie, entre les deux royaumes après la signature à Paris du traité mettant fin à la « première guerre de Cent Ans ». Il s’agit de faire écho au traité de Paris de 1763 qui a mis fin à la guerre entre les deux peuples fondateurs du Canada.

Enfin, dans son troisième chapitre, Elsa Guyot traite de la popularité croissante du Moyen Âge depuis la tenue des Médiévales de Québec en 1993 et 1995 qui ont transformé le Vieux Québec en foires médiévales. L’auteure décline alors les multiples façons dont on peut vivre le Moyen Âge de nos jours au Québec : festivals, soupers-spectacles, jeux de rôles grandeur nature, romans, jeux vidéo, etc. Cette popularité se reflète dans trois expositions « blockbusters » tenues sur le Moyen Âge depuis les années 2000 : Gratia Dei (Musée de la civilisation, 2003), Art et nature (Musée national des beaux-arts du Québec, 2012) et enfin Marco Polo (Musée Pointe-à-Callière, 2014). L’historienne de l’art décrit leurs différentes approches pour attirer les visiteurs afin de leur faire vivre le Moyen Âge, que ce soit par des visites guidées thématiques, des visites multisensorielles (épices à sentir, tissus à manipuler), des conférences, des ateliers créatifs, des menus médiévaux et des technologies toujours plus développées. Dans le cas de Gratia Dei, l’exposition dépassait le cadre du musée et était devenue un véritable événement, générant d’importantes retombées pour le musée et pour la ville de Québec. C’est l’exposition dédiée au Moyen Âge la plus populaire que le Québec ait connue jusqu’alors et elle a même été en itinérance en Europe. Gratia Dei, tout comme les deux autres expositions citées, concluaient en tentant de faire un pont entre le Moyen Âge et les visiteurs, en citant les exemples d’héritages médiévaux parvenus jusqu’à nous ou en rappelant que les voyages de Christophe Colomb en Amérique avaient été inspirés par les voyages de Marco Polo. Ces expositions devaient toutefois trouver un équilibre entre la recherche universitaire et les attentes du public, très grandes en ce qui concerne un Moyen Âge souvent rêvé.

L’historienne conclut en rappelant que l’étude de la représentation du Moyen Âge dans les musées permet de voir le rapport entretenu avec le passé européen et les différents usages de l’histoire (esthétique, religieux, identitaire, touristique ou politique). Elle souligne également que les nouvelles approches muséales poussent à faire participer le visiteur et non plus de le garder dans un rôle passif et contemplatif.