Comptes rendus

Tétreault, Alexis. La nation qui n’allait pas de soi. La mythologie politique de la vulnérabilité du Québec. Montréal, VLB, 2022, 256 p.[Record]

  • Jocelyn Létourneau

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  • Jocelyn Létourneau
    Université Laval

Dans cet essai qui s’abreuve exclusivement à la pensée nationaliste, l’auteur poursuit deux projets, l’un plutôt savant : faire la genèse du mythe politique de la vulnérabilité québécoise, l’autre plutôt partisan : fouetter les Québécois pour qu’ils se rappellent leur fragilité d’être, retrouvent leur combativité légendaire et larguent l’illusion de normalité qui les travaille régulièrement, y compris maintenant. Un fil conducteur traverse l’ouvrage : la crainte de disparaître est, au Québec, profitable à la perpétuation du groupe et favorable à son émancipation. Et Tétreault de faire l’historique de ce ressenti transformé en référence, mutation opportune pour lui, car générant du désir politique nécessaire à la pérennité nationale et à l’accomplissement collectif. En aucun temps l’auteur ne cherche à déconstruire le mythe du pauvre-petit-Québécois-aliéné-et-opprimé. Il n’entend pas non plus en identifier les déficiences par rapport à la condition réelle des Québécois, bien plus complexe que ce à quoi le récit nationaliste la réduit. Tétreault, qui dans cet essai se donne le rôle de gardien de la Nation, à l’instar d’un Miron qu’il adule, mais à l’encontre des intellectuels dénationalisés qu’il trouve nuls, s’interdit de dégonfler une certaine représentation du Nous-Autres les Québécois. Il veut plutôt la dilater en montrant sa permanence et sa pertinence dans le temps. C’est que, pour lui, les mythes sont fondateurs et fondamentaux. Au-delà des faits qui gâchent les bonnes histoires et tuent l’essentiel, ils révèlent l’anima des groupes. Surtout, ils les ravitaillent en raison d’être. Or, dans le cas du Québec, la chose est cruciale. Pour Tétreault, la nation québécoise ne peut avoir d’avenir que si elle se souvient de ses détournements et de ses empêchements. Au pays du Québec, la hantise de périr est mère de l’envie de saillir. « Les renouveaux nationalistes, écrit le sociologue (p. 46), ont toujours [eu] comme déclencheur un événement qui rend cristalline la fragilité de la nation. » Voilà qui instruit. Remobiliser les siens autour de cette vérité, pour les sortir du symptôme périodique de leur indolence caractérisée – ou du syndrome fatidique de leur aliénation consommée, comme le dirait Séguin, maestro pour l’auteur –, tel est l’objectif de Tétreault, doué dans son propos autant qu’engagé dans son topo. L’ouvrage est intéressant. Il montre la puissance de la pensée nationaliste lorsque, inquiète de ce qui survient dans l’enceinte à protéger, elle entreprend de rappeler aux Québécois la force fédérative de leur invariant ontologique – « Être une nation qui ne va pas de soi » – et la puissance cohésive de leur enseigne idéologique – « On s’est fait avoir et rebelotte si rien n’est changé » – afin de les amener à finalement devenir sur le plan politique. Je ne peux, dans l’espace imparti, retracer le parcours argumentatif de Tétreault, tissé serré et mené pressé. Je m’en tiendrai à la trame de son dire. La mythologie de la vulnérabilité, écrit l’auteur (p. 85), est la manière privilégiée par les politiciens et les intellectuels québécois pour appréhender le groupe comme sujet historique et politique. C’est ainsi que, de François-Xavier Garneau à Camille Laurin en passant par Honoré Mercier, Lionel Groulx et Maurice Séguin, se sont succédé au Québec une kyrielle de penseurs, timoniers ou canonniers de leur nation, en tout cas amoureux d’elle, qui l’ont énergisée en lui rappelant qu’elle était de la race des petits peuples, des espèces tragiques ou des menacés de disparaître, toutes conditions commandant l’action, qu’elle prenne la forme du refus, de la lutte, de la résistance, ou plus. Logiciel formatant la conscience historique des Québécois, le mythe de la fragilité d’être et de la difficulté à devenir a été porté au rang d’axiomatique collective. …