La toponymie, discipline visant à donner des noms propres à des entités géographiques, est le reflet d’une société et de ses valeurs. Or, le corpus toponymique du Canada est largement problématique et est loin de refléter la diversité identitaire de sa population. Utilisées comme instruments servant à s’approprier le territoire et à consolider leur rapport de pouvoir avec les Autochtones, les pratiques toponymiques employées par les colonisateurs européens nous ont légué une toponymie colonialiste et patriarcale. C’est cette thèse que Lauren Beck, professeure en études culturelles visuelles et matérielles à l’Université Mount Allison (Nouveau-Brunswick), défend dans son plus récent ouvrage. Au fil des six chapitres qui structurent son livre, Beck aborde plusieurs thèmes comme l’origine des noms de lieux canadiens, les différences entre les pratiques toponymiques autochtones et celles importées par les Européens, ainsi que la question des changements de noms. Les deux premiers chapitres opposent les pratiques des Premières Nations, Métis et Inuit à celles des Européens lors de la colonisation du pays. Beck survole d’abord cinq communautés autochtones à travers le Canada. Peu de divergences ressortent de cette analyse en cinq parties. La somme de ces études de cas pointe vers une seule conclusion, celle que les toponymes utilisés par les peuples autochtones reflètent leur connaissance profonde du territoire, un savoir intergénérationnel basé sur l’expérience et la mémoire, ce qu’elle appelle écoumène. Le chapitre 2 explore les manières dont les colonisateurs ont utilisé la toponymie et différents outils à leur disposition afin de confirmer leur présence sur le territoire face aux puissances européennes concurrentes. Nommer un territoire considéré vierge, le plus souvent en parachutant des noms peu cohérents avec le lieu à nommer, était également une façon de légitimer leur présence sur ce territoire, sans égard aux peuples autochtones et aux toponymes déjà utilisés. Les trois chapitres suivants sont construits autour du thème de l’identité. Beck offre d’abord une analyse genrée qui met en lumière une double réalité : la faible représentativité des femmes dans la toponymie et le nombre non négligeable de noms de lieux objectivant ou sexualisant les femmes. Le chapitre suivant traite de la manière dont les colonisateurs européens se sont appropriés certains noms et emblèmes autochtones, menant à des représentations problématiques de la culture, de l’histoire et des peuples autochtones. Le cinquième chapitre aborde la sous-représentation des groupes marginalisés, minoritaires, vivant avec des handicaps ou appartenant à une communauté ethnique dans le paysage toponymique, de même que l’existence et la persistance de toponymes racistes. Tout au long de ces trois chapitres, Beck expose les mécanismes sociaux et gouvernementaux ayant légué et perpétué une toponymie commémorant principalement les hommes blancs. Selon l’autrice, ce déséquilibre est dû au fait que ce sont ces hommes qui ont historiquement été chargés de la dénomination des lieux et qu’ils ont valorisé les activités et accomplissements de leurs pairs. Le dernier chapitre de l’ouvrage recense quelques cas récents de changements toponymiques et débat des meilleures pratiques à adopter dans ces processus, citant notamment l’importance de la consultation citoyenne. Beck avance également plusieurs solutions afin de gérer les toponymes problématiques, d’éviter les controverses et de diversifier le corpus toponymique. Elle propose ainsi que l’on délaisse les désignations commémoratives en mettant de l’avant des valeurs ou des aspirations collectives, et que les corps gouvernementaux se dotent de processus de désignation transparents impliquant des consultations publiques locales, incluant des communautés marginalisées. Elle suggère également d’attribuer plus d’un nom, en utilisant différentes langues, à un même lieu. Détenant une formation d’historienne et travaillant moi-même dans le domaine de la toponymie, je ne peux que me réjouir de la parution d’un ouvrage abordant une …
Beck, Lauren. Canada’s Place Names & How to Change Them (Montréal, Concordia University Press, 2022), 300 p.
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Valérie Poirier
Historienne
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