Comptes rendus

Lévesque-St-Louis, Jérémie. Retracer le territoire, tracer le pays. L’arpenteur général Joseph Bouchette, 1791-1840 (Québec, Presses de l’Université Laval, 2023), 190 p.[Record]

  • Alban Berson

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  • Alban Berson
    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Cette biographie est consacrée à l’arpenteur-géomètre, fonctionnaire et militaire Joseph Bouchette. Né à Québec en 1774 et mort à Montréal en 1841, il est souvent considéré comme un des plus grands cartographes canadiens-français par sa contribution à la description du territoire et l’influence qu’il a exercée sur son développement. Puisqu’il est impliqué dans des travaux d’arpentage dès 1788 et qu’il est officiellement arpenteur général du Bas-Canada de 1804 à 1840, les historiens et historiennes de la première moitié du 19e siècle sont familiarisés avec ses cartes, ses vues et ses écrits, en particulier ses monumentaux travaux imprimés de 1815 et 1831. Toutefois, le personnage et sa mission n’étaient connus jusqu’ici qu’à travers les travaux de Claude Boudreau et de Pierre Lépine, précieux et méritoires, mais qui se concentraient sur la dimension locale et n’inscrivaient pas le travail de Bouchette dans la dynamique de l’empire planétaire qui commande son exécution. Le livre de Jérémie Lévesque-St-Louis vient combler cette lacune. Tout au long de son ouvrage, l’historien met en lumière un géographe producteur de documents relatifs à un territoire encore mal connu. Des cartes, dessins et textes qui non seulement décrivent le territoire bas- canadien mais aussi orientent sa colonisation et l’exploitation de ses ressources naturelles. C’est une des forces de ce livre de montrer que la carrière de Bouchette se situe au coeur du processus d’appropriation du territoire et de son intégration au circuit économique de l’Empire britannique. La fenêtre historique précisée dans le sous-titre (1791-1840) a ceci de particulier que l’homme et la mission s’y confondent comme jamais avant ni après. En effet, l’Acte constitutionnel de 1791 sert à l’auteur de « temps zéro » (p. 79) sous l’angle de l’aménagement et de l’exploitation du territoire. Or, cette date correspond au début de la carrière de Bouchette. En outre, après l’Acte d’union du Haut-Canada et du Bas-Canada en 1840, date de la retraite de Bouchette, le bureau de l’arpenteur général est absorbé par le Bureau des terres de la Couronne au sein duquel le mandat des arpenteurs se trouve réduit. Bouchette est donc le premier et dernier arpenteur général à jouer un rôle majeur d’agent de développement de la colonie. Le livre s’organise en trois grands chapitres. Le premier est consacré à l’arpentage en Amérique du Nord et à ses liens indissociables avec l’entreprise de colonisation, ainsi qu’à un portrait détaillé du personnage dans son environnement social et professionnel. L’auteur souligne un élément souvent négligé en histoire de la cartographie, bien que très pertinent : les influences artistiques et esthétiques du géographe et notamment sa fréquentation de peintres et d’aquarellistes proches du courant pittoresque. Il met en exergue un autre aspect non négligeable de l’arpenteur général : sa loyauté à l’Empire et son fervent attachement à la culture britannique — un positionnement idéologique qui teinte sa géographie. Alors que plusieurs de ses prédécesseurs s’étaient concentrés sur l’aspect descriptif de l’oeuvre de Bouchette, Lévesque-St-Louis fait valoir qu’il est nécessaire d’éclairer son rôle dans l’appropriation et la colonisation du Bas-Canada. C’est à quoi le deuxième chapitre est consacré. Il met en lumière l’organisation administrative, légale et économique de l’Empire britannique à l’aube du 19e siècle et situe la mission de Bouchette et sa portée dans ce contexte. S’il y a bien des instructions impériales, l’intégration du monde laurentien à cet empire si pluriel et divers ne se fait pas sur le modèle d’un plan abstrait conçu à Londres, mais par une politique de conciliation locale de type « realpolitik » (p. 63). C’est là une contribution majeure de l’auteur par rapport aux travaux que Claude Boudreau avait publiés sur le …