Imaginez une seconde un ingénieur militaire du 18e siècle. Maintenant, donnez-lui l’ubiquité historique de Forrest Gump, suivi de l’égocentrisme, l’inaptitude en affaires et le charisme trompeur de Donald Trump, et vous vous retrouverez avec le marquis Michel Chartier de Lotbinière. Un fascinant personnage excentrique des Lumières s’il en fut, celui-ci est le sujet du dernier livre de l’historien et journaliste Dave Noël. Au lieu de sur tous les fronts, l’ouvrage aurait facilement pu être sous-titré de toutes les effronteries. Après tout, l’auteur lui-même décrit son sujet comme étant « un antihéros par sa rigidité de caractère et ses maladresses » (p. 281). Effectivement, Noël démontre que Lotbinière est un homme imbu de lui-même (p. 210), à la réputation de rêveur (p. 117), un « éternel insatisfait » (p. 284) qui minimise constamment le mérite de ses compatriotes (p. 182) et dont sa propre famille vient à le traiter de « foutu menteur » (p. 231). Et pourtant, on ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation : « La trajectoire de Michel Chartier de Lotbinière est spectaculaire » (p. 7). En effet, deux obsessions consumeront la vie de ce militaire canadien. La première, sous le Régime français, le mène à poursuivre (sans l’atteindre) le titre d’ingénieur en chef de la Nouvelle-France. Après la Conquête, la deuxième le mène à courir la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis en pleine révolution pour manigancer (en vain, encore une fois) le retour de ses seigneuries perdues du lac Champlain. Les nombreux chapeaux portés par Lotbinière au cours de ses péripéties inspirent les titres des 17 chapitres du livre : le soldat, le scientifique, l’ingénieur, l’assiégeant, le déserteur, le stratège, le voyer, le duelliste, l’aide de camp, le cavalier, le vagabond, le royaliste, le révolutionnaire, le courtisan, le chevalier, le marquis et, enfin, l’Américain. Par ses actions et ses paroles, Lotbinière se classera parmi les personnages les plus excentriques ayant cherché à tirer avantage du paysage géopolitique en pleine transformation mais ayant été défaits par leurs propres ambitions démesurées. Un exemple comparable notoire est l’ex-jésuite Pierre Roubaud ; les deux hommes se croisent d’ailleurs en Grande-Bretagne. Néanmoins, malgré ses innombrables fabulations et ses idées de grandeur, la carrière canadienne de Lotbinière fait tout de même de lui un personnage à prendre au sérieux. En dépit de toutes ses failles, il mérite d’être mieux connu. À titre d’exemple, même si l’expédition de Céloron de Blainville dans la vallée de l’Ohio est plus célèbre, Lotbinière entreprend un semblable voyage de reconnaissance officielle jusqu’au poste de Michilimackinac, dans l’actuel Michigan (p. 34). De plus, malgré la démesure de son égo qui transparaît dans son journal (« destiné [d’abord et avant tout] à un lectorat familial » [p. 250]), ce dernier permet tout de même d’éclairer certains événements de la fin du Régime français. Ces éclaircissements sont d’autant plus utiles avec la contextualisation offerte par Noël. Pourquoi cette nouvelle biographie, alors que plusieurs historiens, tels qu’André LaRose, F.J. Thorpe et Sylvette Nicolini-Maschino ont déjà écrit à son sujet ? D’abord, Noël innove en ratissant plus largement. S’appuyant sur une variété de sources provenant de centres d’archives canadiens, américains et français, le livre inclut également une bibliographie de neuf pages. L’auteur fait aussi preuve d’une excellente capacité d’analyse, ne négligeant pas de comparer les copies de documents pour s’assurer de connaître leurs différences (il existe, par exemple, trois copies du journal du passage de Lotbinière à Michilimackinac). Justement, l’historien rassemble toutes les copies et les fragments du journal de Lotbinière, réparties entre différentes institutions canadiennes et américaines, et en présente l’inventaire en annexe. Devant les nombreux passages …
Noël, Dave. Chartier de Lotbinière. Sur tous les fronts 1723-1798 (Montréal, Boréal, 2023), 320 p.
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Joseph Gagné
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
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