Comptes rendus

Robert, Martin. Cette science nécessaire. Dissections humaines et formation médicale au Québec (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2023), 248 p.[Record]

  • Alexandre Klein

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  • Alexandre Klein
    Université d’Ottawa

Des cadavres qui voyagent en train de New York à Montréal, d’autres qui dévalent, de nuit, en traineau, les pentes enneigées du mont Royal. Des émeutes étudiantes pour protéger les pilleurs de tombe, des rançons demandées pour restitution des restes d’un membre de la famille. Telles sont quelques-unes des improbables et savoureuses anecdotes que l’on découvre à la lecture du livre de l’historien québécois Martin Robert. Pour autant, il ne faudrait pas résumer cette étude — adaptation habilement travaillée d’une thèse de doctorat en histoire soutenue à l’Université du Québec à Montréal — à ces quelques faits surprenants et folkloriques. C’est une solide analyse du rôle de la dissection dans la formation des médecins, mais aussi dans l’évolution de la science et de l’institution médicales au Québec au cours du 19e siècle, que nous propose l’auteur. L’ouvrage, assez court en dehors des annexes, de l’imposant appareil de notes et de la bibliographie, se divise en quatre chapitres présentés chronologiquement. L’objectif de l’historien est en effet de mettre en évidence la manière dont la question de la gestion des cadavres, pour assurer leur dissection dans les cours d’anatomie des diverses écoles de médecine de la province, a été centrale dans l’évolution de la formation médicale et dans l’établissement de la profession de médecin au Québec. Articulé autour des différentes lois organisant ce singulier commerce, l’ouvrage analyse l’évolution des rapports entre éducation médicale, État et institutions religieuses à l’aune de la figure du cadavre. La notion de « morts non réclamés », qui provient du Royaume-Uni et que présente le premier chapitre, articule cette généalogie du traitement légal et médical des cadavres que propose Robert, influencé par une historiographie aujourd’hui florissante, en Europe comme aux États-Unis. En effet, à mesure que s’institutionnalise la formation médicale au Québec, le recours aux cadavres s’intensifie, imposant donc un encadrement législatif plus strict de ces ressources pédagogiques particulières. Cet encadrement n’interviendra qu’en 1883 avec l’adoption de la Loi sur l’anatomie, dont Robert retrace avec précision la genèse (chapitre 3) puis les conséquences (chapitre 4). À la croisée des travaux fondateurs de Jacques Bernier sur l’institutionnalisation de la médecine au Québec, d’une part, et de Michel Foucault sur le rôle central du cadavre dans l’épistémologie médicale moderne, de l’autre, Martin Robert nous offre un livre à la fois accessible et riche sur l’histoire de la médecine québécoise qui, sans réellement en révolutionner la perspective, renouvelle pourtant l’historiographie. En montrant que les cadavres ont été au coeur de la formation de la médecine moderne et contemporaine, non seulement du point de vue épistémologique, avec le développement de l’anatomo-pathologie, mais aussi d’un point de vue pédagogique, par l’expérience unique, marquante et rassembleuse qu’offre la dissection, d’un point de vue juridique, par l’adoption de lois pour en organiser l’accès de l’usage et ainsi inscrire l’anatomie au coeur de la formation médicale, et enfin d’un point de vue symbolique, puisqu’il a marqué, en négatif certes, mais néanmoins, la première image du médecin moderne comme ami de la mort et possible trafiquant de corps, Robert nous offre une vue originale et quasi inédite sur le processus de professionnalisation et d’institutionnalisation de la médecine moderne au Québec. En portant son attention sur les usages du corps mort dans la médecine québécoise du 19e siècle, il nous propose une histoire institutionnelle et professionnelle de la médecine québécoise, certes, mais aussi une histoire sociale et politique. Et ce, notamment — c’est l’une des grandes forces de l’ouvrage — grâce à la variété des sources à partir desquelles il construit son étude. Robert associe en effet les archives des écoles de médecine et …