La gauche canadienne et l’URSS : entre les échanges et la domination[Record]

  • Daria Dyakonova

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  • Daria Dyakonova
    Candidate au doctorat, histoire, Université de Montréal

Les révolutions de février et d’octobre de 1917 ont placé la Russie au centre du mouvement socialiste et révolutionnaire dans le monde. Elles ont également provoqué diverses réactions tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Le Canada, qui a vu au début du xxe siècle une croissance du mouvement ouvrier et l’apparition de partis socialistes a aussi été affecté par ce bouleversement majeur. Selon Norman Penner, historien de la gauche canadienne, cette révolution a produit « un effet électrifiant » sur le mouvement socialiste et communiste au Canada et a abouti à la création du Parti communiste du Canada (PCC) en 1921, qui est devenu simultanément une section de l’Internationale communiste (ou Komintern) fondée sous l’impulsion de Lénine. Il est donc à constater que, depuis 1921, les communistes canadiens font partie d’un réseau communiste international avec le PCC, participant activement aux échanges intellectuels, idéologiques et même économiques avec l’URSS. La présente communication se concentre surtout sur les échanges entre la gauche canadienne communiste et l’URSS pendant l’entre-deux-guerres. Il s’agira dans un premier temps du Komintern, ses débuts et ses objectifs. Dans une deuxième partie de la communication, je me pencherai sur les échanges entre le Parti communiste du Canada et cet organisme international afin d’essayer de répondre dans une troisième partie à la question que tous les historiens de la gauche canadienne se sont posée : dans quelle mesure les communistes canadiens, étaient-ils indépendants de ce réseau ? Étaient-ils guidés par le « Big Brother » — le Parti communiste de l’URSS ? Le Komintern (ou Troisième Internationale) est né d’une scission de l’Internationale ouvrière (Deuxième Internationale) en mars 1919 sous l’initiative de Lénine. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les leaders des partis socialistes européens (à l’exception des Russes et des Serbes et le parti social-démocrate néerlandais) choisissent de soutenir le conflit et les crédits militaires, ce qui provoque les protestations de ceux qui restent fidèles à l’internationalisme et au pacifisme. Certains de ces militants hostiles à la guerre seront, plus tard, appelés « communistes », par opposition à leurs ex-camarades « socialistes ». Le développement de la guerre, mais surtout de la Révolution russe pousse de nombreux socialistes à quitter la Deuxième Internationale pour rejoindre la nouvelle Internationale qui existera jusqu’en 1943. Le Parti communiste de l’Union soviétique jouait un rôle contradictoire dans cet organisme international : théoriquement, le Komintern était sans rapport avec l’État soviétique et le Parti communiste de l’URSS prétendait toujours n’être qu’une section parmi d’autres. Pourtant l’historiographie occidentale insiste sur l’emprise de l’URSS sur toutes les décisions de l’organisation, sur l’instrumentalisation du Komintern, enfin sur la soumission des sections aux intérêts de la politique intérieure et étrangère de l’URSS. Dans les faits, en fondant le Komintern, Lénine, mais aussi Trotski, tous les deux internationalistes convaincus, considèrent qu’une révolution mondiale suivra, à condition de recevoir l’aide des pays déjà devenus socialistes. C’est pour atteindre cet objectif – une révolution mondiale — que le Komintern est mis en place en 1919. Dans les années qui suivent, tandis que la Russie est en pleine guerre civile, plusieurs partis communistes européens choisissent de s’unir au Komintern, surtout après l’intervention militaire des pays occidentaux (du côté des armées dites « blanches » protsaristes) en Russie. Cela choque profondément les communistes et les socialistes en Europe comme en Amérique du Nord. En acceptant, à partir de juillet 1920, les 21 conditions d’admission, les communistes occidentaux alignent les méthodes de leurs partis sur le modèle « bolchevik ». Il s’agissait, dans ces conditions, de hiérarchiser et centraliser les structures, d’adopter une discipline rigoureuse, et même de recourir au …

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