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La bière est une boisson importante dans la culture des sociétés occidentales puisqu’elle est servie à de multiples occasions dans la vie quotidienne et qu’elle génère beaucoup de revenus pour l’État, mais l’ivresse qu’elle peut générer peut s’avérer plus dévastatrice que le bien qu’elle apporte. C’est en vertu de cette dualité qu’il devient intéressant de s’attarder à la vente de la bière, notamment aux procédés et stratégies de vente, et aux différents discours qui ont été utilisés pour la commercialiser. Cet article s’intéresse particulièrement à l’utilisation des concepts du genre dans les publicités de bière dans les années 1920 au Québec. Plus précisément, il cherche à montrer comment les publicitaires ont eu recours aux discours dominants sur la masculinité et la féminité qui circulent durant cette décennie pour embellir l’image de ce produit afin de créer un rapprochement avec le consommateur. D’emblée, précisons cependant que la bière a toujours été une boisson masculine et que le discours publicitaire s’est surtout concentré sur les hommes de la classe moyenne et de la classe des travailleurs[1].

Les années 1920 ont été choisies pour cette étude puisqu’elles sont marquées par le début de la consommation de masse qui est caractérisée par le développement technologique des moyens de production, la concentration du capital et l’essor des marchés urbains[2]. C’est une époque où le pouvoir d’achat des ménages québécois augmente significativement au point où le budget familial n’est plus utilisé totalement pour les besoins primaires et où plusieurs biens de consommation ne sont plus produits par les membres de la famille, mais achetés sur le marché[3]. Ces transformations socioéconomiques, survenues à partir de la fin du xixe siècle, ont également eu pour conséquence le développement des agences publicitaires qui multiplient sans cesse le nombre de publicités contenues dans les quotidiens afin de répondre à l’augmentation de l’offre des différents produits dans toutes les sphères de la consommation. Enfin, les mouvements contre l’alcool s’estompent durant cette décennie.

Les sources publicitaires de cette recherche proviennent des quotidiens largement distribués à l’époque soit La Presse, La Patrie, The Montreal Daily Star, The Montreal Herald ainsi que l’hebdomadaire Le Petit journal et le mensuel La Revue moderne. Le Petit journal, fondé en 1926, est un périodique populiste qui utilise une abondance d’illustrations et de gros titres pour augmenter ses ventes. En plus d’offrir des photos de vedettes, des faits divers, des sujets d’intérêts familiaux, des bandes dessinées et de brèves nouvelles politiques, le journal multiplie les chroniques s’adressant aux femmes[4]. Cette formule permet au journal d’augmenter son tirage qui atteint près de 60 000 copies dans les années 1920[5]. La Presse, considérée comme le plus grand journal d’Amérique française, et La Patrie utilisent de plus en plus les mêmes techniques journalistiques que Le Petit journal sans nécessairement être populistes. Ces deux journaux fondés au xixe siècle offrent des faits divers, des illustrations, des chroniques et des manchettes tout en diffusant un contenu politique et économique. Le tirage de La Presse augmente à plus de 150 000 dans les années 1920 alors que celui de La Patrie se chiffre autour de 30 000 copies[6]. La Revue moderne fondée en 1919 est financée autant par la publicité que par son tirage qui se situe autour de 12 000 copies[7]. Comme le soulignent Beaulieu et Hamelin, la Revue moderne se voulait « un centre intellectuel où se rencontrerait l’élite qui doit orienter nos ambitions nationales », mais cet objectif ne sera jamais atteint[8]. La revue opte plutôt pour des feuilletons et des chroniques sur le cinéma et la télévision. Les pages consacrées aux sujets dits féminins, comme la couture, la cuisine et la décoration intérieure, augmentent sans cesse avec le temps[9]. Pour sa part, The Montreal Star, fondé en 1869 sous le nom de Evening Star, est le premier journal à utiliser les nouvelles à sensation, le commentaire-choc et les potins[10]. Le journal demeure très politisé et accorde beaucoup d’importance à la politique canadienne et à celle de l’Empire britannique. Il se classe parmi les plus grands journaux occidentaux et est certainement le journal anglophone le plus lu au Québec comme en témoigne son tirage s’élevant à plus de 126 000 copies dans les années 1920[11]. The Montreal Herald est un autre journal anglophone populaire qui offre le même type de contenu que le Montreal Star avec un tirage moindre se chiffrant autour de 25 000 copies dans les années 1920[12]. D’ailleurs, le Montreal Star absorbe le Montreal Herald dans les années 1950. Enfin, les publicités retenues par le dépouillement des journaux proviennent des éditions des 1er et 3e samedis de chaque mois, alors que le dépouillement de la Revue moderne est intégral pour la décennie.

Les marques de bières choisies pour cette étude sont québécoises ; il s’agit des marques Molson, Frontenac, Dow et Dawes (Black Horse) qui portent toutes le nom de leur brasserie respective. Non seulement ces brasseries sont populaires dans la première moitié du xxe siècle, mais elles s’implantent très tôt au Québec. La brasserie Molson, qui est à ce jour la brasserie la plus ancienne en Amérique du Nord encore active, est fondée en 1786, soit quatre années avant la fondation de la brasserie de Thomas Dunn qui prendra le nom de Dow en 1834[13]. Les brasseries Dawes et Frontenac, quant à elles, ont été respectivement fondées en 1811 et 1911[14]. Comme on peut le constater, la brasserie Frontenac est la seule qui a été fondée par des Canadiens français à une période un peu plus tardive. La prépondérance des anglophones dans l’industrie de la bière au Québec n’est pas une coïncidence. En fait, les boissons de choix des Canadiens français de l’époque coloniale jusqu’au xixe siècle sont l’eau-de-vie et le vin[15]. Le goût des Canadiens français pour la bière s’est réellement développé dans le dernier tiers du xixe siècle, en partie à cause de l’arrivée massive des immigrants anglophones, pour qui la bière est une boisson importante dans leur culture, et en partie à cause du prix moins élevé de la bière qui n’est pas taxée à cette époque contrairement aux alcools forts[16].

Ces quatre brasseries ont également une histoire entremêlée en raison de la concurrence qu’elles se livrent au xixe siècle et au début du xxe siècle. Les rapports entre ces brasseries ont toutefois changé en 1909 lorsqu’une fusion importante survient. Il s’agit en fait d’une fusion de quatorze brasseries québécoises, dont Dow et Dawes qui s’unissent pour former la National Breweries Limited ; l’entreprise sera absorbée par la Canadian Brewerie en 1952 qui finira par prendre le nom de Dow Breweries quelques années après[17]. Ce n’est qu’en 1926 que la brasserie Frontenac, à Montréal, s’est résolue à joindre la National Breweries Limited afin d’éviter la faillite[18]. Pour sa part, Molson a refusé de joindre les rangs de ce consortium pour maintenir son statut d’entreprise familiale[19]. Le but de cette fusion est fort simple : les plus grands brasseurs du Québec veulent agrandir l’industrie brassicole pour mieux contrôler la distribution et les prix de vente, tout en minimisant les coûts de production[20]. Après 1909, Montréal devient l’endroit où deux compagnies se disputent le marché de la bière, c’est-à-dire Molson et la National Breweries Limited. Soulignons cependant que, bien que Dow, Dawes, et Frontenac soient gérées par la même compagnie à partir de 1926, elles continuent de faire de la publicité indépendamment l’une de l’autre.

Le dépouillement des sources a permis de réunir un total de 360 publicités différentes dont 299 en français et 61 en anglais. Parmi ce nombre total, on compte 123 publicités Molson, 108 publicités Dow, 73 publicités Black Horse et 56 publicités Frontenac. Dans le même ordre d’idée, le nombre de publicités par source se divise comme suit : 131 publicités pour La Presse, 71 publicités pour Le Petit Journal, 45 publicités pour La Patrie, 11 publicités pour The Montreal Star et 50 publicités pour The Montreal Herald. Il est à noter que plusieurs publicités anglophones sont identiques à celles en français puisqu’elles ont été traduites. Pour cette raison, ces dernières n’ont pas été comptabilisées dans le total de publicités retenues ce qui explique le nombre moins élevé de publicités anglophones.

La Publicité

L’étude historique des publicités est une piste de recherche à laquelle les historiens ont commencé à s’intéresser plus récemment. Les publicités sont parmi les meilleures sources disponibles pour faire l’histoire culturelle de la bière puisqu’elles reflètent en grande partie les idées, les valeurs et les croyances d’une époque[21]. Selon Roland Marchand, les historiens ont négligé les publicités pendant trop longtemps, peut-être à cause des distorsions qu’elles comportent. En fait, dans son livre, Advertising the American Dream, Marchand montre que les publicités ne sont pas un miroir social absolu comme certains peuvent l’entendre, c’est-à-dire qu’elles ne constituent pas une parfaite reproduction de la réalité[22]. Malgré des distorsions esthétiques inévitables, Marchand insiste par ailleurs pour dire que les publicitaires doivent tenir compte de la réalité pour créer un lien avec le consommateur. Ils ne peuvent donc pas négliger tout l’univers social dans lequel leurs publicités sont diffusées. Celles-ci sont donc imprégnées des préoccupations des gens de l’époque et d’une multitude de symboles culturels qui reflètent leurs pratiques, leurs valeurs et leurs idées[23]. En tenant compte des distorsions d’une telle source, l’étude des publicités permet à l’historien d’entrevoir des réalités sociales passées[24]. Soulignons par ailleurs que même si ces images agissent passivement sur les consommateurs et qu’elles n’ont pas le pouvoir de contrôler leurs achats, elles ont le pouvoir de proposer de nouvelles normes sociales et un nouveau cadre de référence au sujet des produits par le procédé de la répétition. Par son omniprésence dans les médias, la publicité peut orienter le discours sur certains produits qui circulent dans la société[25]. C’est dans cette perspective qu’il devient intéressant d’étudier les publicités de bière au Québec, le seul endroit en Amérique du Nord où la prohibition n’est pas mise en application sur l’intégralité de son territoire[26].

L’hypermasculinité

Notre analyse montre que les publicités des années 1920 sont imprégnées du discours hypermasculin alors très répandu et qui se caractérise par la force, la virilité, la vigueur et l’endurance. En effet, selon le discours dominant de la fin du xixe siècle et du début xxe siècle, pour être un « vrai » homme, il faut posséder ces caractéristiques, ce qui, historiquement, n’a pas toujours été le cas. D’après Anthony E. Rotundo, la société américaine, et plus largement occidentale, a accordé de l’importance à différentes valeurs, à travers le temps, pour définir la masculinité. Par exemple, les hommes de l’époque coloniale du début du xviiie siècle, en Amérique, s’accomplissent largement par l’entraide qu’ils fournissent à leur communauté et l’acquisition de valeurs spirituelles. Ils se définissent avant tout par leur statut de chef de famille, par leur indépendance, par leur utilité pour leur communauté et par leur piété qui repose sur la modération, la tempérance et le contrôle des pulsions[27]. En d’autres mots, ce que les gens admirent chez les hommes de cette époque n’est pas leur niveau d’éducation ou leur richesse financière comme c’est le cas dans la première moitié du xixe siècle. Ce n’est qu’avec l’émergence, après les Révolutions américaine et française, du capitalisme et des concepts comme la citoyenneté et l’égalité que la masculinité s’est définie par l’avancement de « soi »[28]. Le modèle masculin privilégié devient alors celui du self made man, c’est-à-dire de l’homme ambitieux, qui travaille sans cesse afin d’améliorer ses talents et de s’élever, socialement, au-dessus des autres, tout en gardant des valeurs pieuses[29]. En somme, selon Rotundo, avant 1850, la masculinité ne tient pas compte du corps, mais plutôt des valeurs morales et spirituelles. Ce n’est que dans la deuxième moitié du xixe siècle et particulièrement dans la dernière décennie que l’identité masculine a été définie par le culte du corps. Selon certains historiens, l’émergence d’un nouveau discours valorisant l’hypermasculinité est directement liée à l’angoisse et aux changements qu’ont amené l’industrialisation et l’urbanisation au xixe siècle[30].

Avec l’essor industriel, la production artisanale a cédé la place à la production manufacturière caractérisée par l’emploi de machines et d’ouvriers non qualifiés. Pour les travailleurs qualifiés, ce processus représente une perte d’indépendance puisqu’il est synonyme de travail précaire, de dépendance envers un patron et dans bien des cas d’incapacité à devenir propriétaire comme les anciens artisans[31]. Pour les hommes de la classe moyenne, l’expansion des marchés et la consolidation des entreprises limitent les opportunités de développer de nouvelles compagnies indépendantes. L’essor industriel représente donc un déplacement de ces derniers vers des bureaux où ils doivent assumer les tâches de cols blancs, les privant ainsi du travail d’entrepreneur et du travail physique qui ont si longtemps été associés au travail masculin[32]. Toutefois, l’un des changements les plus importants de la période concerne le modèle familial et le rôle des femmes.

Au xixe siècle et au début xxe siècle, les hommes doivent travailler en moyenne dix à douze heures par jour, six jours par semaine, ce qui leur laisse peu de temps pour s’occuper des enfants. Pour plusieurs hommes, le travail salarié et la capacité à subvenir aux besoins de leur famille représentent les éléments primordiaux de leur identité masculine ; c’est ce qui différencie les hommes non seulement des femmes, mais aussi des garçons[33]. À cette époque, le modèle familial repose donc sur une division sexuelle du travail qui se traduit par la séparation des sphères privée et publique. Les femmes s’occupent de l’éducation des enfants et du foyer, alors que les hommes assument avant tout le rôle de pourvoyeur à l’extérieur du foyer, dans la sphère publique. Les femmes passent donc beaucoup plus de temps avec les enfants ; ce sont elles qui enseignent aux garçons à devenir des hommes. Dans ce contexte, les pères craignent de plus en plus que leurs fils ne soient trop efféminés en raison de leur trop grande proximité avec la mère[34]. L’absence marquée du père aurait généré un sentiment d’impuissance masculine et d’inadaptation chez les jeunes garçons appelés à jouer des rôles d’homme[35].

Parallèlement, plusieurs femmes de cette époque remettent en question leur exclusion de l’arène politique et du marché du travail. Elles sont également de plus en plus nombreuses à militer pour leurs droits et à prendre part à certains débats sociaux, notamment en ce qui concerne la lutte contre l’alcool, particulièrement au sein de la WCTU. Cette volonté, de la part des femmes, de mettre un terme à leur exclusion de la sphère publique a pour conséquence la remise en question des rapports entre époux. C’est donc dans ce climat de changements que s’installe, selon certains auteurs, la perception que la société se féminise, que les hommes se sont tournés vers une masculinité axée sur le corps, la force, les excursions en nature, les valeurs guerrières, le stoïcisme et l’endurance[36]. Le corps représente, après tout, la caractéristique qui différencie le mieux les deux sexes ; c’est pourquoi les hommes ont développé une identité fondée sur une surcompensation physique. L’époque victorienne voit ainsi naître une vague « néo-spartiate » qui exemplifie les valeurs masculines désirées[37]. La notion que la force physique de l’homme reflète directement sa force de caractère imprègne alors les sociétés occidentales[38]. Ce discours est également alimenté par un courant littéraire qui décrit les prouesses de héros forts et virils comme Davy Crockett, et par le président Théodore Roosevelt qui développe sa doctrine, le strenuous life, qui encourage les hommes à surmonter le danger, les défis et la compétition tout en faisant preuve d’endurance : « Nothing in this world is worth having or worth doing unless it means effort, pain, difficulty »[39]. De la fin du xixe siècle jusqu’à la fin des années 1920, le modèle masculin passe à une masculinité moins intellectuelle, moins pieuse, qui n’est plus basée sur la dénégation du corps puisque ces valeurs sont dorénavant étiquetées comme féminines et par conséquent non masculines[40].

Ces transformations socioéconomiques et les changements dans la définition de la masculinité influencent les publicitaires des années 1920 qui s’en inspirent pour concevoir leurs réclames de bière, associant ce produit au nouveau modèle masculin dominant en utilisant une méthode dite « suggestive ». Contrairement aux publicités informatives qui décrivent un produit et qui s’adressent à la rationalité des consommateurs, la publicité suggestive cherche à exploiter les besoins et les désirs du consommateur qui engendrent des tensions désagréables, pour les relier, le moins artificiellement possible, au produit dont elle assure la promotion[41]. En d’autres mots, les publicités que nous allons décrire ne cherchent pas à vanter les qualités de la bière ou les techniques de brassage sophistiquées des brasseries. Ces réclames visent plutôt à renforcer le sentiment de fierté chez les hommes par la flatterie tout en accolant les qualités qu’ils recherchent pour eux-mêmes à ce produit. Cette stratégie repose sur l’idée que l’acheteur s’intéresse davantage à la valeur symbolique du produit qu’à ses qualités objectives et utilitaires[42]. Selon Chaslin et Rose, le consommateur n’achète pas seulement un produit, mais il se crée une identité : « On s’identifie par ses actes à certains modèles réels ou imaginaires qui souvent symbolisent le mode de vie auquel on aspire »[43]. Ainsi, en achetant une marque de bière plutôt qu’une autre, le consommateur se forge une identité, celle qui est décrite dans les publicités.

Les campagnes menées par la brasserie Frontenac dans les années 1920 représentent l’hypermasculinité en recourant à des images de travailleurs aux corps musclés. Dans certaines de ces publicités, on voit deux hommes, torse nu, battant le fer dans une usine (illustration 1)[44]. Les images, quelque peu exagérées, mettent l’accent sur leurs muscles bien développés qui, nul doute, sont la conséquence du dur labeur qu’implique le travail dans une fonderie, tout en laissant sous-entendre que la bière Frontenac y est pour quelque chose. Les images reflètent non seulement la virilité et la force à leur paroxysme, mais elles deviennent une source d’identité pour les travailleurs, même si à cette époque le travail en usine n’est pas aussi exigeant physiquement dans tous les domaines.

Illustration 1

« La bière des géants »

La Presse, 17 juin 1922, p. 21

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Ainsi, alors qu’en 1923 le secteur du fer et de l’acier ne représente que 12,1 % des effectifs des entreprises dites non agricoles, la force qu’implique l’industrie lourde devient tout de même l’emblème de la brasserie Frontenac pour inciter les consommateurs à boire leur produit[45].

Tout comme les images, le texte contenu dans ces publicités est explicite puisqu’il réfère aux qualités fortifiantes de la bière Frontenac. Cette dernière est décrite comme « De l’énergie en bouteille ! » et « une bière pour les hommes d’action ». Dans l’une de ces publicités, notamment, les hommes sont comparés à des géants : « Vibrants d’énergie, de vigueur – Ces géants de l’endurance veulent la bière des géants »[46].

Sans tabler de manière aussi explicite sur le physique masculin, les publicités des brasseries Molson, Dow et Dawes ont néanmoins utilisé le même discours, à savoir que la bière fortifie le corps des hommes. D’ailleurs, le slogan de Dow à l’époque est : « Prime par la Force et la Qualité ». Quant à l’aspect visuel des annonces, les publicitaires ont représenté les hommes dans leurs différents lieux de travail, soit l’usine, les champs agricoles et les chantiers de construction, notamment les chemins de fer, les ponts et les gratte-ciels (illustration 2)[47]. Ces mises en scène, tout comme celles de la fonderie, mettent en valeur le dur travail physique des hommes. De toute évidence, toutes ces publicités s’inspirent de la nouvelle identité masculine qui circule dans la société et cherchent à exploiter l’image publique des hommes, c’est-à-dire celle du travailleur et du pourvoyeur fort qui participe et qui contribue d’une façon indispensable à l’édification des grands projets associés à la modernité industrielle. C’est aussi pourquoi aucune femme n’est représentée dans ces réclames.

Le discours hypermasculin se distingue également par un engouement pour les sports modernes et les qualités athlétiques. C’est à travers les sports que les hommes de la classe moyenne et les jeunes garçons peuvent développer leur corps, montrer leur force de caractère et faire preuve de compétition. Il est intéressant de noter que les sports modernes tels que la crosse, le baseball, le basket-ball, le hockey, le football, le rugby et le tennis ont connu une popularité grandissante au moment où le discours hypermasculin a émergé[48].

Illustration 2

« Les constructeurs du Canada »

La Presse, 1er juin 1929, p. 7

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Au Québec, l’introduction des sports modernes s’est faite par l’intermédiaire de clubs sportifs, mais aussi, auprès des jeunes garçons, dans les collèges classiques, dirigés par des ecclésiastiques. Alors que certains historiens tels que Jean-Paul Massicotte, Claude Lessard et Donald Guay ont tenté de montrer que l’Église catholique, au Québec, a condamné les sports jusque dans les années 1930 en raison de leur essence contradictoire par rapport à « l’esprit chrétien », Christine Hudon affirme que le sport fait partie intégrante de l’éducation des jeunes garçons dans les collèges classiques dès 1870[49]. Selon cette historienne, si l’Église voue une grande importance au culte de l’âme, à la force intérieure, au rapport avec Dieu, à l’humilité, à la coopération, au partage et au renoncement (l’esprit chrétien), elle est loin de défavoriser la compétition, la force, la domination, la gloire et la maîtrise de soi. En fait, le développement du corps est encouragé, car plusieurs membres du clergé croient que l’exercice physique contribue à forger le caractère, à instiller le courage et l’endurance tout en canalisant l’énergie sexuelle des jeunes garçons[50]. Toutefois, le sport ne doit jamais être encouragé comme une fin en soi, comme une profession, mais comme un outil complémentaire à l’éducation des élèves. Cette « piété virile », comme l’appelle Hudon, vise non seulement à ramener les hommes vers la religion, mais elle permet également d’inculquer les traits masculins désirés et les valeurs jugées indispensables auprès des futures élites de la société.

Les sports modernes connaissent une popularité grandissante au Québec, à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, si bien que les publicitaires s’en inspirent pour promouvoir la bière. Dans la campagne publicitaire de Dawes, on aperçoit des hommes qui pratiquent des sports modernes tels que le football, la course et le tennis. Non seulement ces images mettent en évidence l’esprit compétitif qui incarne la masculinité, mais elles encouragent l’association des performances athlétiques, symboles de virilité, à la bière (illustration 3)[51]. Tout comme les images, le texte contenu dans ces publicités renforce l’idée que la bière contient des propriétés qui stimulent l’endurance et la force du corps : « Le grand air et la BIÈRE BLACK HORSE fortifient, stimulent et vous tiennent en forme », « elle soutient votre énergie et vous garde en excellente condition » et « BLACK HORSE ALE helps to keep you fit » [52]. Les publicités des brasseries Molson et Dow ont usé de techniques similaires à Dawes, mais leur message est moins explicite puisqu’aucun texte n’accompagne les images[53].

Illustration 3

« Pleins de vie »

La Revue moderne, septembre 1927, p. 1

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De son côté, la campagne publicitaire de Frontenac, dont le slogan est « Toujours en Condition », se démarque par l’utilisation de vrais athlètes plutôt que des représentations génériques dont font usage les autres brasseries. Toutefois, il ne s’agit pas d’athlètes ordinaires qui pratiquent des sports d’équipe, mais plutôt de combattants, c’est-à-dire de champions de boxe et de lutte. À une époque où la jeunesse et les hommes sont de plus en plus préoccupés par leur apparence virile, la compagnie Frontenac mise sur des porte-parole tels que Kid Roy, le champion de boxe du Canada dans la catégorie poids plume, Eugène Tremblay et John Lindfors, tous deux champions de lutte dans leur catégorie respective (illustration 4)[54]. Si Frontenac fait appel à ces combattants pour représenter sa bière, ce n’est pas par hasard. Il va de soi que ces hommes incarnent le type de masculinité et de virilité que plusieurs recherchent et qui représente les nouvelles valeurs masculines, soit la rudesse et la combativité.

Illustration 4

« Toujours en condition : John Linfors »

La Presse, 4 décembre 1926, p. 56

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Illustration 5

« Le soldat et la bière »

Le Petit journal, 6 mai 1928, p. 19

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Les bagarres qui auparavant sont perçues comme un manque de jugement et de rationalité sont dorénavant encouragées à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, surtout chez la jeunesse, puisque les gens de l’époque considèrent que tout comme les sports, elles forgent la force de caractère[55]. Par ailleurs, si les lutteurs et les boxeurs représentent bien l’idéal masculin associé à des valeurs guerrières, il existe une autre figure virile encore plus prestigieuse : celle du soldat. En effet, le soldat représente le summum de l’hypermasculinité puisque son métier exige qu’il possède toutes les caractéristiques décrites ci-haut en plus de mettre sa vie en danger pour le bien de sa nation[56]. C’est pourquoi l’utilisation d’une telle figure masculine a été intégrée dans les publicités de Dow à la fin des années 1920 (illustration 5)[57].

L’échec masculin et les femmes

Dans la deuxième moitié des années 1920, certains publicitaires se sont orientés vers une nouvelle forme de publicité, la bande dessinée. Elle a été utilisée avant tout par Dawes, alors que Molson et Frontenac en ont fait usage dans une moindre mesure. Les avantages de ce type de réclame sont multiples tant du point de vue de leur visibilité que de leur contenu. D’une part, les bandes dessinées se démarquent par leur format différent qui attire l’attention et par leur humour qui pousse les consommateurs à les lire au complet, ce qui n’est pas toujours le cas des autres publicités[58]. D’autre part, cette forme publicitaire, à caractère humoristique, permet de montrer certains aspects négatifs ou embarrassants de la réalité que les publicitaires évitent dans les autres types de publicités, plus traditionnelles. De façon générale, les publicités sont dénuées de défauts ; elles représentent la perfection ou un idéal à atteindre, ce qui devient possible par l’achat du produit annoncé. En revanche, les bandes dessinées permettent de représenter les hommes (ou d’autres groupes) dans des situations fâcheuses et même de se moquer de leurs déboires quotidiens. En fait, la stratégie vise à illustrer des mélodrames humoristiques tirés de la vie quotidienne qui mettent en évidence l’échec masculin, mais qui se concluent tout de même par une fin heureuse grâce à la bière.

Par exemple, dans une des publicités de Dawes, une femme demande à son mari de faire venir un électricien pour réparer un circuit électrique défectueux dans la maison[59]. Désireux d’économiser de l’argent et de montrer à sa femme ses talents masculins, l’homme décide de faire le travail lui-même. Au bout d’un moment, il observe avec satisfaction le résultat de son labeur. Toutefois, quand il rétablit le courant, il reçoit un choc de quelques centaines de volts à travers le corps et fait brûler tous les fusibles de la maison. Après cet échec lamentable, l’histoire se termine par la consommation d’une bière Dawes avec la mention suivante : « T’as-pas alors demandé une Black Horse ? C’est excellent pour amortir les chocs ». De même, dans une autre publicité, un homme finit de peindre ses escaliers extérieurs et installe la pancarte traditionnelle, « peinture fraîche », pour éloigner les imprudents[60]. Le lendemain, il se réveille et s’aperçoit que les chats du quartier ont piétiné ses escaliers toute la nuit. Confronté à cette situation fâcheuse, l’homme se tourne vers la bière Dawes pour se consoler alors que la dernière case de la bande dessinée proclame : « T’as-pas alors essayé une Black Horse ? Ça fait retrouver la jovialité et son amour pour les animaux ». Dans ces deux exemples, l’homme met en jeu sa masculinité en entreprenant des travaux liés à l’entretien de la maison, mais les bandes dessinées ont utilisé une multitude de sujets qui s’apparentent aux tâches qu’un homme doit être capable d’accomplir. Parfois, les publicitaires s’inspirent des sports, des parties de cartes, de la bourse, des relations familiales ou des rapports entre collègues de travail. Dans tous les cas, la boisson est présentée comme l’objet de médiation, de réconciliation ou de consolation lorsque l’échec se présente. La bière comble un vide ou un manque, elle facilite la vie au foyer et améliore l’existence familiale et conjugale[61]. En d’autres termes, lorsque la masculinité d’un homme est minée par son incapacité à bien fonctionner en société, rien de mieux qu’une bière pour se racheter et oublier son sentiment de honte ou d’infériorité.

Tout comme pour les hommes, les années 1920 sont une période de redéfinition identitaire et de changement social pour les femmes, surtout pour celles de la classe moyenne. Plusieurs d’entre elles revendiquent un plus grand rôle dans la sphère publique, c’est-à-dire l’accès au suffrage, à l’exercice de professions et à l’éducation supérieure[62]. Après des années de lutte, elles obtiennent le droit de vote au fédéral en 1918, pendant que certaines d’entre elles, particulièrement les jeunes femmes, adoptent la cigarette, une habitude autrefois réservée aux hommes[63]. Jusqu’alors, le tabac, sous forme de cigarette, de cigare ou pour la pipe, est en effet un symbole masculin qui sert non seulement à différencier les hommes des femmes, mais à différencier les hommes de différentes classes sociales[64]. Tout comme la cigarette, la bière et l’alcool deviennent des composantes de cette redéfinition de la féminité axée sur une plus grande liberté sociale et l’abolition de certaines restrictions issues de la période victorienne[65]. De plus en plus, les femmes vont revendiquer l’accès aux lieux publics où on sert de l’alcool pour participer à la vie sociale hors du foyer. En fait, le gouvernement québécois n’intervient qu’à la fin des années 1970 pour modifier la loi sur les tavernes, ce qui ouvre enfin, officiellement, l’accès de ces lieux aux femmes[66]. Malgré l’opposition grandissante des femmes face à leur exclusion des débits de boissons à l’extérieur du foyer, la culture entourant la bière est demeurée de loin une affaire masculine.

Les publicitaires ont maintenu un discours conservateur à l’égard des femmes par rapport à la consommation de bière, mais également par rapport à leurs rôles dans la société québécoise. Durant les années 1920, l’identité de la femme respectable est intimement liée à sa capacité à entretenir le foyer et à éduquer les enfants, la féminité étant avant tout synonyme de domesticité[67]. De fait, une proportion sans cesse croissante de femmes se retrouve sur le marché de l’emploi où elles représentent 19,7 % de la main-d’oeuvre québécoise à la fin de la décennie, mais seulement 6,9 % des femmes mariées exercent alors une profession[68]. Pour plusieurs femmes, l’expérience du travail salarié se limite à la période avant le mariage et la conception des enfants. De leur côté, les élites masculines, hommes politiques, membres du clergé et leaders syndicaux, maintiennent des conditions discriminatoires envers elles pour défavoriser leur entrée sur le marché de l’emploi, mais également en vue d’associer le travail rémunéré aux hommes et à la masculinité[69]. Les femmes ne sont donc pas exclues du marché du travail par des lois, mais par des normes sociales[70]. Selon les témoignages recueillis par Denyse Baillargeon auprès de ménagères ayant vécu la crise des années 1930, les hommes sont opposés à l’idée de laisser leur femme trouver un emploi à l’extérieur du foyer, même quand ils sont victimes du chômage, car cette inversion des rôles aurait menacé leur statut de chef de famille et leur amour-propre[71]. Comme l’historienne Suzanne Morton le formule, à cette époque : « Women were responsible for being good wives, mothers and daughters »[72].

C’est ce genre de discours, qui est présent dans les publicités, qui prend la forme de bandes dessinées. Par exemple, l’une des publicités de Dawes illustre un homme qui suggère à sa femme de sortir de la maison pour aller au cinéma, tout en lui proposant de rester au foyer pour prendre soin des trois enfants et des tâches ménagères. L’homme n’a pas aussitôt commencé la vaisselle que les enfants salissent la maison en brisant des objets et en laissant l’eau des robinets couler sur les planchers. Incapable de contrôler la situation, il rappelle sa femme et lui avoue son impuissance. Elle revient donc au foyer et rétablit l’ordre en quelques minutes. Finalement, pour oublier cette mésaventure, l’homme se débouche une bouteille de bière et retrouve le sourire (illustration 6).

Illustration 6

L’échec masculin

La Revue moderne, juillet 1929, p. 54

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Il faut souligner que les hommes de cette époque refusent le plus souvent de participer aux tâches ménagères, même lorsqu’ils sont au chômage ; ceux qui aident leur femme peuvent même facilement devenir la risée du quartier[73]. Il faut donc comprendre que cette mise en scène est une parodie des rôles sexuels qui est permise par la forme publicitaire de la bande dessinée. Cette dernière montre bien que ces rôles ne sont pas interchangeables et qu’il est préférable de maintenir un certain statu quo quant aux responsabilités respectives de l’homme et la femme. Toutefois, le génie de cette publicité se trouve dans sa manière détournée de renforcer les identités de genre. En effet, si, à première vue, cette réclame semble ridiculiser l’homme en montrant son incapacité à accomplir des tâches domestiques, dans les faits, elle vient confirmer que la vraie place des femmes est au foyer, comme le montre la facilité avec laquelle elle règle tous les problèmes. Cette bande dessinée valorise donc le travail des femmes au foyer et renforce le discours patriarcal, tout en négligeant le militantisme de celles qui cherchent à élargir leurs horizons. Communément appelée « le reflet réactionnaire », cette stratégie des publicitaires mise sur le modèle social dominant déjà admis plutôt que sur celui qui émerge peu à peu, afin de plaire au plus grand nombre de consommateurs[74]. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les publicitaires sont après tout des hommes, des pères de famille et des pourvoyeurs, et que vraisemblablement, ils adhèrent tous à ce modèle familial.

Même quand elles apparaissent dans les publicités, les femmes ne représentent d’ailleurs pas la cible principale des publicitaires puisqu’elles ne sont pas illustrées comme des consommatrices de bière. En fait, elles ont plutôt pour tâche d’acheter et de servir la bière à leur mari ou aux invités du couple. Par exemple, dans l’une des publicités de Molson, intitulé « l’Épouse accomplie », qui prend aussi la forme d’une bande dessinée, les publicitaires mettent l’accent sur son rôle de ravitailleuse[75]. Alors qu’un homme se prépare à aller faire des courses, sa femme, vêtue d’un tablier, symbole de la ménagère, lui rappelle de ne pas oublier la caisse de Molson. Plus loin sur la route, la voiture de l’homme tombe en panne et ce dernier ne réussit pas à se rendre au magasin avant l’heure de fermeture. Revenant bredouille à la maison, sa femme l’interroge et il lui explique sa mésaventure. Toutefois, à sa grande surprise, une caisse de Molson l’attend dans la cuisine et sa femme lui explique : « Je savais que tu l’oublierais ; aussi j’en ai commandé une caisse après ton départ ce matin ». À ces mots, l’homme, rempli de joie, soulève sa femme en lui disant : « sûr-sûr-sûr, tu es la seule petite femme parfaite ». Rappelons que d’une manière générale, ce sont les femmes qui s’occupent d’acheter les denrées ou tout autre produit concernant la maison. Les publicitaires ont donc encouragé les femmes à se procurer la boisson destinée à leur mari en utilisant des représentations harmonieuses du couple liées à l’achat de la bière, alors que dans la réalité, plusieurs femmes sont en fait victimes des abus d’alcool de leur mari[76]. Le texte est également intéressant puisque l’homme emploie les mots « femme parfaite », sans oublier le titre de la publicité « l’épouse accomplie ». L’association de la femme parfaite à l’image d’une ménagère est un geste tout à fait calculé. Elle montre bien l’opinion des publicitaires quant à la place des femmes dans la société.

La présence des femmes ne se limite pas aux publicités sous forme de bande dessinée, mais, quel que soit le type de réclame, le discours publicitaire reste le même. En fait, seule une image de la compagnie Molson montre une femme en position d’autorité et de supériorité face à un homme (illustration 7)[77]. Sur celle-ci, on voit une femme aux allures modernes, les cheveux courts (à la garçonne), bien vêtue, chic, portant des talons hauts, debout dans l’encadrement de sa porte d’entrée située au haut de quelques marches, les bras appuyés sur les chambranles. Devant cette femme, au bas des marches qu’il s’apprête à monter, se trouve un homme qui livre une caisse de bière Molson.

Le seul texte qui accompagne la publicité est le titre « entrez », la marque de bière et le slogan de la brasserie. À première vue, cette publicité semble peu intéressante et même banale. Toutefois, selon Erving Goffman, l’agencement des images utilisées pour promouvoir un message est tout aussi important que le texte puisqu’il tend à représenter des rapports sociaux[78].

Illustration 7

« Entrez »

La Presse, 4 mai 1929, p. 84

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Bien que la disposition des personnages dans cette publicité puisse sembler ordinaire, elle montre clairement un rapport de pouvoir par la hauteur écrasante de la femme par rapport à l’homme. Selon Goffman, la taille des personnages est en effet un indicateur de leur poids social et permet aux lecteurs de comprendre le message au premier regard sans même avoir recours au texte. Par ses mensurations anormalement grandes, la femme, qui ne porte pas les vêtements traditionnels de la ménagère, regarde de haut le livreur aux allures plus rustres. Le fait que la femme est représentée en position de pouvoir et d’autorité puisqu’elle reçoit la commande de bière laisse sous-entendre que les publicitaires considèrent les femmes comme des consommatrices importantes seulement quand il s’agit d’approvisionner la famille. Ajoutons que dans ces publicités, lorsque les femmes boivent de la bière au foyer, elles ne sont jamais seules ; elles accompagnent toujours leur mari. En outre, lorsqu’elles dégustent un verre de bière, elles tournent généralement le dos au lecteur, ce qui accentue la visibilité des hommes, considérés comme les principaux consommateurs[79]. Sauf dans l’exemple examiné précédemment, les femmes n’occupent donc jamais une place prépondérante dans les publicités ; elles apparaissent plutôt comme étant au service de l’homme ou du ménage. En aucun cas les femmes ne sont représentées comme des figures libres, autonomes ou indépendantes.

Comme on peut le voir, les publicitaires des années 1920 ont fortement utilisé les discours et symboles dominants sur le genre pour dépeindre l’alcool de façon positive dans la société québécoise. En ce qui concerne les images représentant l’hypermasculinité, les publicitaires cherchent à obtenir la faveur des hommes de la classe des travailleurs et de la classe moyenne en ayant recours aux attributs qui définissent le mieux leur masculinité, afin qu’ils puissent facilement s’identifier à ce produit. En utilisant des symboles évoquant la virilité pour vendre la bière, les publicitaires propagent l’idée que consommer cette boisson est viril et masculin en soi. Enfin, dans un contexte où l’alcool est toujours stigmatisé, les publicitaires ont également jugé plus sage de maintenir un discours conservateur par rapport aux femmes pour mieux faire passer leurs campagnes auprès des consommateurs. Les femmes dans les publicités sont donc représentées comme des consommatrices secondaires qui accompagnent leurs maris ou des ménagères qui s’occupent de l’approvisionnement de la bière. L’image de la femme moderne est donc mise de côté pour promouvoir la consommation de bière chez les hommes.