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Dans cette adaptation d’un séminaire, Hall se penche sur la façon dont les données archéologiques (archaeological evidence) sont évaluées par rapport aux sources écrites (textual documents). Selon l’auteur, faire de l’histoire n’est pas une question de mémorisation de faits ou de données dont l’interprétation va de soi (self-evident), mais une pratique impliquant l’examen et l’interrogation d’indices fragmentaires du passé. Cette remarque introduit un problème fondamental des études anciennes qui se trouve au coeur de la polémique examinée par Hall : la perception de l’archéologie comme discipline auxiliaire de (voire soumise à) l’histoire.

Hall organise en 11 chapitres les arguments contre cette conception (et pratique) erronée de l’archéologie classique, encore populaire dans les départements universitaires. Un premier chapitre présentant la problématique est suivi de neuf chapitres-études de cas et d’une conclusion. Le premier chapitre esquisse l’histoire de l’archéologie classique et le processus qui a mené à la perception de cette dernière en tant que domaine auxiliaire de l’histoire. L’étude des vestiges antiques a été enlevée du domaine des connaisseurs et collectionneurs et adoptée comme technique subordonnée aux nouvelles sciences de l’Antiquité. Comme telle, cette technique permettait d’illustrer par des artéfacts les récits d’auteurs anciens—artéfacts qui étaient, en retour, expliqués par ces récits. Malgré certains mouvements intellectuels marquants, tel celui de la New Archaeology, ce rapport étroit entre l’archéologie et l’histoire (en tant qu’étude de documents écrits) n’a pas été dissous. Toutefois, Hall conclut que les discours de l’archéologie et de l’histoire demeurent essentiellement distincts, chacun employant ses propres méthodologies à des fins différentes.

L’emploi de données empiriques dans la reconstitution historique du passé présente de nouvelles possibilités, mais aussi des limites et des pièges. Ces derniers sont exposés par Hall dans les neuf chapitres consacrés à des cas particuliers : l’oracle de Delphes (ch. 2), les temples d’Apollon à Érétrie (3), le sanctuaire d’Éleusis (4), l’agora athénienne du temps de Socrate (5), les tombes de Vergina (6), la naissance de la République romaine (7) et la maison d’Auguste (8). Chacune de ces études est richement illustrée (26 photographies, 29 illustrations et 10 tableaux) et est accompagnée de notes succinctes expliquant davantage certaines notions ou sources.

Les neuf études de cas présentent des données détaillées—géologiques, architecturales, stylistiques, archéologiques (stratigraphiques), archéométriques, historiques (littéraires), etc.—aussi diverses que les sujets des études elles-mêmes et, de ce fait, réussissent à capter l’attention du lecteur. Cependant, malgré l’intérêt suscité par les particularités de chaque étude, les méthodes d’analyse employées deviennent rapidement répétitives, alors que les conclusions de l’auteur sont systématiquement… non conclusives. Hall note dès le premier chapitre que son objectif n’est pas de trancher définitivement pour ou contre les explications présentées, mais cette décision pourrait être remise en cause justement en raison des façons souvent originales dont les problèmes présentés sont approchés par l’auteur. Après une lecture engageante et très exigeante sur le plan de la concentration (en raison de l’ampleur et de l’hétérogénéité des données), le lecteur aurait raison d’être déçu par ce qui pourrait être interprété comme un désengagement de la part de l’auteur. Cette impression est renforcée par le refus implicite de la part de Hall d’entrer plus en détail dans les fondements théoriques qui le poussent à favoriser une méthodologie plutôt qu’une autre (outre les références implicites et, de ce fait, méthodologiquement peu utiles, à l’inférence de la meilleure explication).

Toutefois, le dernier chapitre de ce livre compense les conclusions quelque peu laconiques des études de cas. Ces conclusions y sont approfondies davantage et, de plus, l’auteur examine plusieurs aspects problématiques des approches archéologiques et historiques « classiques », notamment les failles du positivisme (historique, mais aussi archéologique), une certaine insouciance face à la nature « aléatoire » et fragmentaire des données archéologiques, la reconstitution de la « réalité historique » par l’établissement de liens apparemment « évidents » entre données disparates, et ainsi de suite. Un des remèdes proposés par Hall contre ces maux (qui affectent encore l’archéologie et l’histoire « classiques ») est la contextualisation systématique des données (textuelles et archéologiques), sans toutefois oublier que tout contexte n’est pas une « réalité » indépendante de la recherche, mais plutôt une construction réalisée par celle-ci.

Sous forme de séminaires, les sujets traités par Hall auraient suivi un ordre prédéfini impossible à manipuler par l’audience. Heureusement, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’édition de ces séminaires sous forme imprimée. Je suggère fortement au lecteur déjà quelque peu familiarisé avec les méthodes et théories de l’histoire et de l’archéologie de commencer son exploration de cette publication par le tout dernier chapitre, puis de combler au besoin tout manque d’information détaillée en consultant les différentes études de cas.