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Soutenue à Rouen en octobre 2012 et dirigée par M. Biard, la thèse de G. Andro a gagné le 5e prix Albert Mathiez décerné par la Société des études robespierristes. Il en découle la publication de cet ouvrage, à la fois compact et complet, analytique et synthétique, sur cette institution de la Révolution française encore peu connue : les procureurs généraux syndics.

G. Andro comble ici un vide historiographique pourtant mis en avant depuis quelque temps[1]. Elle fournit un travail argumenté, qui expose bien le cheminement de sa réflexion, les questions posées aux sources et les méthodes statistiques utilisées pour obtenir des réponses. Après avoir traité l’origine de l’institution et ses fondements réglementaires, elle présente la pratique administrative des procureurs généraux syndics dans le processus révolutionnaire. Elle termine par questionner la fin de l’institution et le devenir de ses administrateurs souvent réélus à d’autres fonctions. Les annexes présentent quelques tableaux et graphiques. Certains découlent de l’analyse prosopographique concernant l’âge et la profession des individus. Les autres servent à l’étude de leur correspondance administrative. Elle publie aussi la liste complète des 197 procureurs généraux syndics par département. Cet outil très pratique n’est malheureusement pas accompagné d’informations biographiques. Nous en retrouvons un peu plus dans le corps du texte sous la forme d’exemples. Toutefois la prosopographie est exploitée de manière très générale et quantitative et assez peu pour des analyses régionales ou individuelles plus qualitatives.

Par la méthode et la problématique, G. Andro s’inscrit dans la démarche dominant l’historiographie de l’État depuis les années 1970-1980. D’inspiration wébérienne, celle-ci propose de comprendre l’esprit des institutions en séparant discours et pratiques, fondements et agents afin d’appréhender la matérialité du pouvoir politique. La centralisation étatique française se retrouve au coeur des interrogations. Analyser sa réalité sous la Révolution à travers les procureurs généraux syndics s’avère efficace. En effet, ils sont à la fois représentants du pouvoir central et élus départementaux. « Ils incarnent réellement une réponse institutionnelle inédite et oubliée à la question fondamentale du lien entre unité politique nationale et gestion démocratique des territoires » (p. 439).

Le procureur général syndic regroupe deux institutions d’Ancien régime : le procureur général et le syndic. Le premier représente les intérêts du roi et le second les intérêts de l’assemblée communale ou paroissiale qui l’a nommé. Déjà institués dans certaines assemblées provinciales des années 1780, les procureurs généraux syndics sont généralisés par l’Assemblée constituante en 1790 qui en crée dans chaque département métropolitain. Il serait d’ailleurs intéressant d’interroger le choix de ne pas en instituer dans les colonies. Élus au suffrage indirect par les représentants départementaux des citoyens actifs, ils incarnent un des principes de la Révolution : l’unification de l’intérêt public et de l’intérêt royal dans l’esprit de la constitution. Contrôleurs et coordonnateurs de l’administration départementale, ils sont présents à toutes les séances du conseil pour rappeler la loi et la ligne directrice nationale.

Malgré la rupture révolutionnaire, les procureurs généraux syndics témoignent d’une continuité administrative. G. Andro la met d’ailleurs en relief en ajoutant à l’approche prosopographique, une approche générationnelle. Ces individus appartiennent à la même classe d’âge et à la même profession. Ce sont majoritairement des hommes de loi formés à la fin de l’Ancien régime. Leur place centrale dans les départements fait d’eux les premiers interprètes de la Révolution en province. Leur étude offre un bon point de vue pour questionner la flexibilité des institutions et des individus face au changement. G. Andro montre la continuité des carrières malgré les fortes ruptures politiques. À Bourg-en-Bresse, Thomas Riboud était procureur du roi au présidial et subdélégué de l’intendant de Bourgogne avant la Révolution. Son élection en tant que procureur général syndic l’amène à revenir sur un discours dans lequel il louait la collaboration de l’intendance et de l’assemblée provinciale : « Ce n’est ni par le présent, ni par l’avenir qu’il faut juger ce que j’ai dit, mais par le passé : j’ai travaillé pour l’histoire de notre administration et quoiqu’il arrive, elle sera toujours vrai »[2] (p. 81). Sa notabilité locale lui permet ensuite de traverser les régimes, comme député modéré élu en 1791, 1799 et 1807. Quatre profils individuels sont distingués par l’auteure : l’homme de pouvoir, l’agent de l’État, le notable local et le technicien (p. 387-390). Cette typologie intéressante rend assez bien la diversité des options de carrière à travers les choix d’ancrage local ou national, et de spécialité politique ou technique.

Agents exécutifs, les procureurs généraux syndics n’en suivent pas moins une ligne politique parfois difficile à tenir. La fuite du roi à Varennes en 1791 et la prise des Tuileries en 1792 déprécient l’image royale et mènent à un renouvellement important de ces administrateurs souvent monarchistes. Leurs remplaçants représentent désormais la couleur politique départementale plus que l’exécutif national. Les élus de 1793 sont encore plus marqués. La Convention ne leur fait plus confiance et envoie des députés commissaires en province pour assurer l’exécutif. La concurrence de ces missionnaires de la République enferme les procureurs généraux syndics dans le seul rôle de représentant du département. Un grand nombre d’entre eux expriment alors les positions fédéralistes et s’opposent à la Convention. Trente-sept sont condamnés, une douzaine guillotinée. L’institution est supprimée. « Le décret du 14 frimaire an II représente le passage de la loi comme expression de la Volonté générale à la loi pensée comme un mode de gouvernement. Dès lors, l’institution du procureur général syndic n’a plus aucun sens et le gouvernement révolutionnaire ne peut être assuré dans le département que par un agent nommé, dépendant de l’autorité centrale : l’agent national » (p. 297-298).

Une génération au service de l’État est un modèle efficace d’étude institutionnelle. Il sera utile aux historiens de la Révolution, mais aussi à tous les historiens de l’État. Son étude prosopographique, certes très classique, analyse avec succès les carrières administratives et devrait inspirer par son approche générationnelle.