Démo vs Cratie : la question du pouvoir de la multitude

Introduction[Record]

  • Maxime Raymond-Dufour

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  • Maxime Raymond-Dufour
    Ph. D., Université de Montréal, Professeur associé à l’UQTR, Canada

Prenez note qu’en raison des retards qui ont affecté sa production, ce volume 33, n° spécial (double) est publié en 2017, mais enregistré pour l’année 2015.

On ne peut comprendre le thème de ce numéro sans comprendre le contexte qui l’a vu naître. Si le printemps 2012 avait été comme les précédents sur la planète du Département d’histoire de l’Université de Montréal, nous aurions eu droit en 2013 à l’habituel colloque des étudiants aux cycles supérieurs quelque part autour de mars. L’association étudiante aurait mobilisé une grande partie de ses ressources, financières et humaines, pour produire cet événement phare de la vie départementale. On y aurait probablement débattu d’un thème à la page de l’historiographie récente, tout en profitant de l’événement pour se réunir autour du traditionnel vins et fromages qui clôture l’événement. C’est, en effet, un but louable que de chercher à offrir un espace de débats et d’échanges intellectuels à des chercheurs universitaires. Or, au moment d’organiser le colloque annuel de l’Association des Étudiantes et des Étudiants Diplômé(e)s du Département d’Histoire de l’Université de Montréal (AÉDDHUM), les membres du comité exécutif étaient épuisés par des mois de lutte militante contre le gouvernement libéral de Jean Charest. L’organisation, qui aurait dû débuter dès octobre 2012, tardait à se mettre en branle ; les études avaient repris leur primauté dans la vie des étudiants et des étudiantes ; l’énergie manquait pour entreprendre ce projet aussi stimulant qu’exigeant. Il fallut attendre décembre pour voir le comité exécutif se remettre en selle, bien trop tard pour espérer réaliser un colloque annuel à la hauteur des 20 ans de son existence. C’est dans ce contexte que l’on décida d’en repousser la tenue à septembre. Notre espoir : en faire le colloque le plus ambitieux de l’histoire de l’AÉDDHUM, dans lequel communicants, conférenciers et festivités allaient se côtoyer pour nous donner une semaine de réflexions et de plaisir. Sans dire que nous avons fait mieux que les comités organisateurs précédents, nous avons certainement réussi à produire un colloque unique, où des étudiants d’horizons disciplinaires divers ont pu côtoyer d’éminents chercheurs établis comme Philippe Artières, Diane Lamoureux, Yves Gingras, Andrée Lajoie et Brian Young. Il était normal pour nous que le thème du colloque soit aussi ambitieux que l’événement lui-même, qu’il sorte de l’ordinaire. Il était normal aussi qu’il rappelle les luttes militantes qui en avaient façonné la venue au monde. Plutôt que de piger notre inspiration dans l’historiographie, nous l’avons puisée dans nos combats, dans nos espoirs et nos déceptions. Dans un certain sentiment d’aliénation aussi. Pour le meilleur ou pour le pire, le printemps 2012 avait fait s’affronter la société québécoise comme il n’est pas arrivé si souvent de mémoire récente, nous laissant parfois l’impression, à nous étudiants et étudiantes en histoire, de nous exprimer devant un auditoire hostile, obstiné et sourd. Ces manifestations qui avaient meublé notre printemps, avaient-elles une portée, un écho ? Plus généralement, où en était la démocratie à l’heure du néolibéralisme, à celle de la contraction de l’État et de ses dépenses ? Dans La Constitution de l’Europe, le philosophe allemand Jürgen Habermas s’en inquiétait. Est-on en train de piéger la démocratie en empêchant les forces vives de la société d’influer sur les décideurs publics ? Certes, les militants, les indignés, peuvent s’exprimer dans la rue comme dans les urnes, mais ne sont-ils pas devenus impuissants devant des gouvernements aux mains liés par des traités internationaux et des groupes d’intérêts ultrapuissants ? Les Français, par exemple, décident-ils encore de leur avenir en votant aux présidentielles et aux législatives, ou est-ce à Bruxelles, dans des discussions à huis clos entre les ministres des finances européens que les décisions sont vraiment prises ? Le gouvernement grec d’Alexis Tsipras est-il davantage redevable …