Article body

Avec la publication du livre A Town Called Asbestos, Jessica van Horssen, maître de conférences à l’université Leeds-Beckett, souhaite démontrer les connexions unissant territoire, identité et communauté. En centrant son étude sur la population d’une petite municipalité gravitant autour d’une entreprise d’exploitation de ressources, van Horssen montre comment ceux-ci convergent au niveau local et international.

C’est autour de ces trois concepts que van Horssen construit son étude de la ville d’Asbestos, située en Estrie. Rappelant tout au long du livre le lien entre la ville et la matière première en étant extraite (l’amiante, ou asbestos, en anglais), elle bâtit un récit solide ancré dans la mine Jeffrey, sise en plein coeur de la municipalité. L’ensemble de l’oeuvre est lié à cette cicatrice dans le paysage et à l’évolution de la relation entre les habitants et celle-ci. Plutôt que de faire un simple récit chronologique présentant ces changements, van Horssen articule son argumentaire autour de la Johns-Manville Corporation, propriétaire de la mine durant la majorité du XXe siècle. Un premier chapitre présente la découverte d’amiante dans le sous-sol estrien et les balbutiements d’une entreprise d’excavation jusqu’en 1918, année de prise de possession de la mine par la compagnie. Ce chapitre montre bien le lien unissant expansion de la mine et état de l’économie mondiale.

Les sept chapitres suivants sont construits de façon à suggérer une progression dans le développement d’Asbestos dont 1949 serait l’année charnière. Le reste du livre est ainsi divisé en trois parties. La première contient trois chapitres englobant les années 1918-1949 et aborde les questions de modernisation de la ville parallèlement à celle de la mine ; de la vie avec les risques pour la santé liés à l’extraction de l’amiante ; et de la relation entre la vie municipale et la compagnie minière. Cette première partie permet à l’auteure de bien asseoir les enjeux reliant le territoire et sa transformation, à la création d’une identité collective pour les travailleurs. Cette relation unique entre le mineur et l’environnement qu’il transforme est la principale raison de la négation des risques liés à la matière qu’il extrait. L’historicisation de cette relation est sans doute la notion la plus forte, et centrale, du livre. Van Horssen montre également au fil des pages la relative soumission du conseil municipal d’Asbestos au gestionnaire de la mine, soumission qui variera au gré des évènements.

La grève générale de 1949 est un moment charnière : un chapitre complet lui est consacré. Soulignant d’entrée de jeu qu’il est impossible de faire une histoire d’Asbestos sans traiter de cet évènement, van Horssen souhaite le ramener à une échelle locale plutôt que de céder, comme d’autres avant elle, aux théories sur l’émancipation des Canadiens français en découlant. Elle montre comment cette grève de près de six mois change durablement les relations employés-entreprise, habitants-mine et communauté-amiante. La préoccupation grandissante des travailleurs et de la communauté envers leur santé et leur sécurité est alors mise de l’avant par l’historienne. Rappelant les épisodes de violences et les tensions entre grévistes et briseurs de grève, van Horssen réussit à démontrer de façon convaincante l’importance du changement s’opérant dans la ville.

La dernière partie, divisée en trois chapitres couvrant la période 1949-1983, présente la lente chute de l’industrie de l’amiante et l’évolution conséquente de la relation entre les habitants et la matière première. Le chapitre six illustre l’expansion rapide de la mine dans les années suivant la grève et sa cohabitation de plus en plus difficile avec une communauté qui souhaiterait se défaire de sa dépendance à une seule entreprise. Le chapitre sept montre comment la compagnie propriétaire de la mine utilise le corps de ses employés pour cacher au public les risques posés par l’amiante en cachant ou en altérant de l’information. Finalement, le chapitre huit, sans doute le moins convaincant, montre la lutte menée par la municipalité et les gouvernements provincial et fédéral afin de promouvoir et de tenter de sauver cette industrie. Moins bien articulé et théorisé que les précédents, ce chapitre illustre cependant bien la chute de l’industrie de l’amiante et de la communauté qui s’y était trop largement attachée. Elle conclut le livre par un survol de l’évolution de la ville depuis la vente de la mine.

Au final, ce livre démontre bien l’importance du territoire dans la compréhension d’une société. Van Horssen présente de façon convaincante et étoffée les modes de création politique et identitaire entourant la relation territoire-humain-société. Utilisant un vaste éventail de sources locales et internationales, médiatiques et corporatives[1], tant francophones qu’anglophones, elle montre comment la relation entre l’humain et la nature est sans cesse contestée et revendiquée. Les personnes intéressées par le développement des villes-ressources et par l’attachement de travailleurs envers leurs produits seront largement séduites par cette recherche de grande qualité.