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Les systèmes d’information géo-historiques (SIGH) sont des logiciels qui permettent de manipuler des bases de données historiques afin d’en créer des représentations cartographiques interactives, susceptibles de révéler des particularités locales ou des tendances dans la répartition spatio-temporelle des données étudiées. Dirigé par les universitaires britanniques Ian Gregory, chercheur principal du projet Spatial Humanities: Texts, GIS, Places du Conseil européen de la recherche, et Alistair Geddes, professeur de géographie humaine quantitative, l’ouvrage collectif Toward Spatial Humanities: Historical GIS and Spatial History examine la manière dont ces logiciels sont actuellement exploités en histoire et dans les disciplines connexes.

Les directeurs de l’ouvrage ont identifié deux tendances lourdes : une maturité technologique grandissante qui permet, au-delà de la simple visualisation, d’exploiter les SIGH dans le développement de nouvelles connaissances sur le passé ; et l’intégration aux SIGH de sources non quantitatives, notamment des documents textuels ou audiovisuels. Afin de démontrer le bien-fondé de cette analyse, les directeurs ont réuni six études de cas riches en cartes et en représentations visuelles diverses. Une bibliographie commentée qui explique l’évolution du domaine, ses aspects techniques, les principaux systèmes accessibles au public sur Internet, et les applications des SIGH à l’histoire agricole et environnementale, à la démographie, aux transports, et même à l’histoire ancienne et médiévale, vient compléter le portrait d’ensemble.

Les trois premières études de cas présentent des projets d’histoire sociale quantitative dans lesquels des données géolocalisées sont croisées avec d’autres sources pour élucider une question d’intérêt historique. Il s’agit d’applications classiques des SIGH, pour lesquelles les principaux enjeux techniques (notamment la gestion de données compilées pour des régions dont les frontières changent avec le temps) ont déjà été résolus et où le SIGH joue un rôle de soutien dans le processus d’analyse. Dans le plus révélateur des trois essais, Robert M. Schwartz et Thomas Thévenin comparent le développement du réseau ferroviaire et l’évolution de la production agricole dans la France et la Grande-Bretagne de la période 1850-1914 afin de mesurer les influences relatives, sur les stratégies de production, de la distance séparant une communauté rurale de la gare la plus proche, de la géomorphologie des terres et des taxes sur les importations. Andrew A. Beveridge quantifie l’évolution spatio-temporelle d’un phénomène connu : la ségrégation de la population afro-américaine dans certains quartiers des grandes villes du nord des États-Unis entre 1880 et 2010. Enfin, Niall Cunningham combine des données de recensement et une liste des décès reliés aux violences interconfessionnelles en Irlande du Nord pour identifier les sites les plus dangereux pour les Catholiques ou pour les Protestants. Dans tous les cas, les résultats sont probants et n’auraient pu être obtenus, sans l’aide d’un SIGH, qu’au prix d’efforts considérables.

La seconde partie du livre s’intéresse à des cas atypiques, soit parce que les données qui y sont traitées avec le SIGH sont de nature qualitative, soit parce qu’elles peuvent difficilement être localisées dans l’espace, soit parce que les systèmes développés ne s’adressent pas à des historiens universitaires. Elijah Meeks et Ruth Mostern étudient la hiérarchie changeante des divisions politiques et militaires de la Chine de la dynastie Song, représentées par une base de données de noms de lieux et d’événements politiques (divisions, fusions, promotions, etc.) plutôt que par des frontières géométriques, et croisent celle-ci avec des données hydrologiques pour analyser la réaction du pouvoir impérial aux inondations de 1048 dans la vallée du fleuve Jaune. Humphrey Southall décrit comment l’exploitation du SIGH national de Grande-Bretagne dans le cadre d’études en santé publique, en gestion environnementale, ou pour offrir des services de recherche notariale et généalogique au grand public, a facilité le financement de ce projet d’une rare ambition. Enfin, Julia Hallam et Les Roberts étudient la représentation du patrimoine bâti de la ville de Liverpool dans quelque 1 700 films tournés entre 1897 et les années 1980. Si le chapitre de Meeks et Mostern est peut-être le plus impressionnant de tout l’ouvrage au plan scientifique, ceux de Southall et de Hallam et Roberts constituent plutôt des pistes de réflexion—stimulantes, quoique relativement embryonnaires—pour le développement futur des « humanités spatiales » par les historiens publics et par les historiens de la culture.

En somme, Towards Spatial Humanities parvient à démontrer que la technologie des SIGH a atteint un niveau de maturité suffisant pour que des historiens d’horizons divers puissent l’intégrer à leurs pratiques. Grâce à sa bibliographie commentée, l’ouvrage constitue également un point d’entrée attrayant pour ceux qui souhaiteraient se familiariser avec le domaine. Cependant, compte tenu de l’évolution rapide de celui-ci, Towards Spatial Humanities pourrait perdre de sa pertinence quelques années après sa publication.