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Le démantèlement de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) en 1991 a provoqué l’indépendance de jure de quinze États dont les institutions, les structures politiques et les structures économiques ont été largement façonnées par l’idéologie communiste, dorénavant décrédibilisée. Dès lors, une transition s’est amorcée sur l’ensemble du territoire postsoviétique, alors que les États nouvellement apparus ou réapparus ont mis en place des stratégies afin d’établir leur souveraineté et de nouveaux modèles de développement. Il n’est donc pas étonnant qu’une littérature foisonnante, pluridisciplinaire, continue à être écrite et traite de l’évolution de ces sociétés dans ce contexte de transition.

Civil Society and Politics in Central Asia, ouvrage paru en 2015 et dirigé par le politologue Charles E. Ziegler, s’inscrit dans les transition studies, et traite de la place et du rôle de la société civile en Asie centrale depuis 1991. Les quatorze contributeurs à cet ouvrage, spécialistes de la région, considèrent la société civile, c’est-à-dire la possibilité pour les citoyens d’influencer la politique par une participation à des organisations non-gouvernementales et à des associations, comme un élément essentiel de la bonne santé d’une démocratie à plusieurs niveaux (p. 2). Or, les États formant l’ensemble géographique de l’Asie centrale postsoviétique, c’est-à-dire le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan, sont considérés comme très peu démocratiques, voire totalitaires (p. 5). Les travaux sur la société civile ont été largement écrits en se basant sur l’expérience occidentale, il est louable que cet ouvrage tente ainsi le pari de l’analyser dans ce contexte particulier.

Sont abordées les formes de participation des minorités et des organisations religieuses (p. 59-111) que Reuel R. Hanks et Dilshod Achilov voient d’un bon oeil dans la constitution d’une base citoyenne prometteuse. Deux chapitres se concentrent sur le rôle des organisations non-gouvernementales dans les domaines de la santé et de l’administration (p. 137-169) et de la manière dont elles peuvent jouer un rôle positif sur les sociétés concernées à condition que cela s’inscrive dans une démarche coopérative et non pas conflictuelle vis-à-vis des États. Les chapitres alloués à la politique des États de la région envers les minorités, les groupes religieux et les ONG démontrent la pluralité des approches tout autant que la ressemblance des défis auxquels ces sociétés sont confrontées (p. 197-277), dans un contexte international changeant, et qui a une influence sur les choix politiques des États (p. 311-333).

Si la pluridisciplinarité (géographie, science politique, économie, histoire) des chercheurs ayant contribué à l’ouvrage semblait prometteuse de prime abord puisque proposant des perspectives diverses sur un même sujet, nous pouvons à certains égards en douter puisque cette approche pluridisciplinaire a, dans ce cas de figure et à notre sens, nui à la cohérence de l’ensemble. Non seulement les auteurs ne s’entendent que partiellement sur la définition de la société civile, mais l’Asie centrale n’est pas étudiée de manière symétrique, le Kazakhstan occupant une grande partie de l’ouvrage quand bien même il n’est que partiellement représentatif des différentes dynamiques en cours dans la région. Cet ouvrage a le mérite de poser de bonnes questions relativement aux forces politiques en place en Asie centrale depuis le démantèlement de l’URSS. On regrettera cependant les limites normatives et conceptuelles qui laissent un goût d’inachevé pour cet ouvrage qui proposait courageusement d’analyser la société civile dans une région centrasiatique postsoviétique autoritaire où il n’est pas forcément aisé de la distinguer.