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Perception grecque de l’Égypte

Tout d’abord, que sont les cultes isiaques ? Des cultes originaires d’Égypte, qui se diffusent en dehors du pays, autour du bassin méditerranéen, entre le IVe siècle av. et le IVe siècle ap. J.-C. [1] Les douze divinités concernées appartiennent à un même cercle mythique, cultuel et liturgique, et les principales sont Isis et son parèdre Sérapis. Elles arrivent en Grèce au IVe siècle av. J.-C., puis en Italie au IIe av. J.-C., y transformant autant leur image que leur culte, avec les phénomènes de syncrétisme et d’interpretatio graeca et romana (l’adaptation aux nouveaux publics). Mais dès le Ve siècle av. J.-C., l’Égypte fascinait les Grecs : après y avoir voyagé vers 460 av. J.-C., Hérodote le prouve en dédiant le livre II de ses Histoires à ce pays, à son peuple et à ses dieux.

Ils me dirent aussi que les Égyptiens s’étaient servis les premiers des noms des douze dieux, et que les Grecs tenaient d’eux ces noms […] [2].

Je m’étendrai davantage sur ce qui concerne l’Égypte, parce qu’elle renferme plus de merveilles que nul autre pays […] Ils sont très religieux, et surpassent tous les hommes dans le culte qu’ils rendent aux dieux […] [3].

[…] Ils ne rendent tous le même culte qu’à Isis et à Osiris, qui, selon eux, est le même que Bacchus [4].

En dérivant le terme θωμάσιον (merveilles) à partir de plusieurs thèmes égyptiens[5] et en usant d’un vocabulaire empreint de sacralité lorsqu’il mentionne cet univers religieux, le récit d’Hérodote est un témoignage de la perception d’un homme du Ve siècle av. J.-C. sur l’Égypte : il insiste sur la sagesse et l’ancienneté du sentiment religieux chez ce peuple, sur l’importance croissante et universelle, par rapport aux autres divinités de l’ennéade héliopolitaine, du couple Isis-Osiris, dont il donne les équivalences fonctionnelles grecques comme Déméter et Bacchus et dont il prouve l’hérédité étymologique dans le nom des autres divinités du monde méditerranéen [6]. Il rend ainsi compréhensible ce qui est étranger. Au-delà de la simple analogie dont il fait usage à plusieurs reprises pour des détails ethnographiques et géographiques [7], c’est un véritable effort de traduction pour son lectorat grec, mettant en lumière les divinités égyptiennes, alors qu’il ne mentionne que rarement les divinités grecques par leur nom.

À l’époque hellénistique, l’intérêt grandissant envers les anciennes civilisations a pour conséquence que les historiens grecs (re)découvrent cette oeuvre. L’impact littéraire en est une curiosité persistante envers l’Égypte et sa religion selon Hérodote. Ce « diffusionism [8] » d’Hérodote se voit surtout chez Diodore de Sicile [9], qui reprend le thème de la sagesse religieuse égyptienne, en particulier celui de la naissance des dieux et du sentiment religieux, ainsi que la primauté du couple Isis-Osiris qui est toujours traduit :

Comme la tradition place en Égypte la naissance des dieux, les premières observations astronomiques et les actions des grands hommes les plus dignes de mémoire, nous commencerons notre ouvrage par les Égyptiens [10].

La même Isis est appelée par les uns Déméter, par les autres Thesmophore, par d’autres encore Séléné ou Héra ; plusieurs écrivains lui donnent tous ces noms. Quant à Osiris, les uns le nomment Sérapis, les autres Dionysos, d’autres encore Pluton ou Ammon ; quelques autres l’appellent Jupiter, et beaucoup d’autres Pan. Il y en a qui soutiennent que Sérapis est le Pluton des Grecs […] [11].

Ces équivalences multipliées deviendront des assimilations iconographiques qui seront importées en Grèce. Mais on perçoit chez Diodore une évolution de l’idéal égyptien divin : au contraire de son prédécesseur, il insiste sur l’opposition Grecs-Barbares, pas uniquement dans le sens de ceux qui ne parlent pas grec, mais d’une façon péjorative puisqu’il associe la première mention du terme βάρϐαρος (barbares) de son ouvrage à l’ignorance, y englobant la civilisation égyptienne malgré son ancienneté avouée. En outre, Diodore insère l’évhémérisme concernant les divinités isiaques par la perspective du gouvernement de l’Égypte par les dieux autrefois des hommes :

Ceux-ci, quoique nés mortels, ont, par leur sagesse ou par le bien qu’ils ont fait aux hommes, obtenu l’immortalité ; quelques-uns ont été rois dans l’Égypte. […] Hélios, dont le nom signifie soleil, a régné le premier en Égypte [12].

Round one : Rome contre les superstitiones isiaques

Après le célèbre scandale des Bacchanales en 186 av. J.-C. débutent les réflexions des Anciens sur ce que représente la Norme religieuse romaine [13], qui se définit par ses transgressions plus que par ses applications. Les termes de Tite-Live, comme intestina coniuratio (conjuration intestine), donnent le ton : étymologiquement, les expressions qui dévalorisent les bacchants définissent ce qui doit être considéré comme extérieur à la norme romaine, tant dans l’origine géographique—Graecus ignobilis (vil Grec)—que dans les pratiques rituelles. Avec l’installation isiaque en Italie, les auteurs latins développent pareillement des comportements littéraires antagonistes à la fascination d’antan : on ne parle plus de merveilles comme Hérodote, mais on démontre de l’inquiétude et de l’incompréhension, en utilisant un vocabulaire tel que monstra et alienigenae religionis (monstre, religions étrangères). Des topoi (c’est-à-dire des thèmes récurrents) surviennent surtout à l’époque tardo-républicaine, lorsque les divinités arrivent à Rome, et réapparaissent régulièrement jusqu’au IIe siècle. Voici un exemple, avec l’étrangeté de la divinisation égyptienne animale qui devient un topos utilisant un exemple bien précis :

Des monstres divins en tous genres, et Anubis, qui aboie, menacent de leurs traits Neptune, et Vénus et Minerve[14].

Toute leur nation, en effet, d’après une coutume héréditaire, prend les animaux pour des dieux, qu’ils honorent d’ailleurs chacun à sa façon, et ces hommes tout à fait légers et insensés, qui dès l’origine s’étaient accoutumés à des idées fausses sur les dieux n’ont pas été capables de prendre modèle sur la dignité de notre religion, et nous ont jalousés en voyant combien elle trouvait de zélateurs [15].

Surtout, ces auteurs décrivent l’isiasme comme ayant un clergé corrompu et pervertissant les fidèles, en particulier les femmes. Les élégiaques, les historiens, tous y vont de leur commentaire ou de leur anecdote, les touchant plus ou moins personnellement. Properce, qui s’inquiète pour sa femme Cynthia, nous dit ceci :

Voici encore les tristes solennités d’Isis, et ma Cynthie a déjà passé dix nuits loin de moi [16].

Au-delà du caractère subjectif du texte, le poète latin parle bien dans le reste de ce passage de sacra (choses sacrées) amenés par Isis à Rome, puis conclut sur une distinction claire cum Tiberi Nilo [17] : sans l’annoncer clairement, Properce conçoit bien les cultes isiaques comme des peregrina sacra (cultes étrangers), avec à leur tête Isis, et montre une certaine méfiance envers l’Égypte. Tibulle, représentant de cette poésie du début de l’Empire, confirme qu’Isis est une déesse soudoyant les femmes, comme Délie, mais qui malgré de nombreux pie dum sacra colis (pieux sacrifices) ne fait que de vaines promesses de guérison :

Que me sert maintenant ton Isis, ô Délie ? Que me servent ces instruments de bronze tant de fois frappés par ta main ? Que me sert qu’au milieu de tes pieux sacrifices, tu te sois,—je m’en souviens—baignée dans une eau pure et que tu aies reposé sur un lit pur ? [18].

Si le ton des poètes du début de l’époque impériale peut être badin et ironique, il apparaît moins désinvolte à la fin du Ier siècle ap. J.-C., une évolution due tant au style des oeuvrespar les historiens, moins légersqu’au contexte politico-religieux romain, et qu’on peut observer en comparant par exemple Ovide et Flavius Josèphe sur ce même thème de la perversion isiaque :

Refuse souvent tes nuits ; tantôt invente des maux de tête, tantôt Isis sera là, pour te fournir un prétexte [19].

[…] Il se passa à Rome, au sujet du temple d’Isis, des faits qui n’étaient pas dénués de scandale […] [20].

La véracité de cet épisode rapporté par Flavius peut être facilement mise en doute. Mais ce récit montre surtout l’inquiétude des milieux officiels et aristocratiques face à des divinités qui perdurent depuis le règne de Tibère—temps du récit—jusqu’à l’époque de cette rédaction—sous Domitien—et qui pervertissent autant les gens de l’aristocratie romaine que leur propre clergé. Il apparaît que ces comportements littéraires sont en concordance avec les premières réactions de la part des autorités sénatoriales, qui considèrent ces divinités comme superstitiones, c’est-à-dire existantes mais excessives, depuis l’époque tardo-républicaine :

Le sénat avait décrété la démolition des temples d’Isis et de Sérapis, mais aucun ouvrier n’osait y porter la main ; le consul P. Aemilius Paulus, alors que le sénat avait décrété la démolition des temples d’Isis et de Sérapis, […] s’empara d’une hache et en frappa les portes du temple [21].

Valère Maxime nous rapporte les premières mesures d’interdiction, voire de destruction, des autels isiaques en 58, 53, 50 et 48 av. J.-C., et même un consul qui brandit lui-même sa hache ! Il ne définit pas ces divinités comme superstitiones ; néanmoins, il parle bien d’alienigenae religionis lorsqu’il évoque la fuite résignée et ridicule de M. Volusius, édile plébéien, sous le couvert d’un costume de prêtre isiaque :

M. Volusius, édile plébéien, qui était proscrit, prit le costume des prêtres d’Isis […] Peut-on voir un malheur plus déplorable que celui d’un magistrat du peuple romain réduit à rejeter les marques distinctives de sa dignité et à se cacher sous des apparences empruntées à une religion étrangère pour pouvoir traverser Rome ? Il fallait que les proscrits eussent un bien vif désir de sauver leur vie pour se résigner à l’emploi de tels moyens […] [22].

À partir de 41 av. J.-C., les attaques s’intensifient lorsque Marc-Antoine s’installe en Égypte, et nous touchons là un point clé de la perception littéraire romaine de l’isiasme à la fin de la République et au Ier siècle ap. J.-C. Effectivement, l’implication de l’Égypte dans les guerres opposant les triumvirs Marc-Antoine et Octave contribue à cette intensification des attaques envers ce pays, son gouvernement incarné par Cléopâtre puis ses dieux. L’Égypte de ce temps n’est plus réellement le pays aux sagesses millénaires, mais un véritable danger politique susceptible de troubler la pax deorum (paix divine). Ovide, auteur augustéen, a définitivement adopté la propagande du triumvir vainqueur en confirmant que la reine d’Égypte est devenue un bouc-émissaire et en mettant en scène deux lieux religieux hautement symboliques.

Une reine d’Égypte, fière d’être la femme d’un général romain, tombera dans son fol orgueil, et aura menacé en vain d’asservir à Canope notre Capitole [23].

Chez Virgile que nous avions vu plus haut, l’affrontement divin est encore plus clair : les divinités présentes en Égypte sont désignées comme monstra, avec l’exemple probant du latrator Anubis (Anubis aboyeur), et affrontent Neptune, Minerve et Vénus. Ainsi, lorsque Rome est en danger, les accusations littéraires se font plus sévères, et attaquent autant les divinités isiaques présentes dans la Capitale que dans leur pays d’origine : ce ne sont pas seulement des peregrina sacra (cultes étrangers), dangereux lorsque présents à Rome, mais des dangers pour l’Empire tout entier. Cet argument de l’affrontement divin traversera les époques puisque Dion Cassius, au IIIe siècle, identifie encore Antoine à Osiris et Cléopâtre à Isis selon cette idéologie politico-religieuse pharaonique, avec cette reine comme menace :

Antoine […] abandonne aujourd’hui les coutumes de sa patrie pour adopter des moeurs étrangères et barbares, et, sans respect ni pour nous, ni pour les lois, ni pour les dieux de nos ancêtres, se prosterne devant cette femme comme si elle était Isis ou la Lune ? […] se donne à lui-même ceux d’Osiris et de Dionysos ? [24].

Tout est dit, selon les termes que Dion prête à Auguste : les cultes isiaques et tout ce(ux) qui s’y attachent sont des moeurs étrangères et barbares, sentence qui dominait et influençait les écrits du Ier siècle ap. J.-C., et qui perdure tant qu’Auguste est désigné comme exemple impérial.

L’évolution du débat littéraire païen au IIe siècle

Dion, au IIIe siècle ap. J.-C., se borne surtout à répéter la propagande augustéenne en qualité d’historien retraçant une époque lointaine, ce qui ne reflète pas nécessairement le climat religieux de sa propre époque, avec une famille d’origine orientale au pouvoir, un sénat orientalisé… Déjà au IIe siècle ap. J.-C., grâce notamment à des comportements impériaux plus tolérants envers l’isiasme [25], de plus en plus d’auteurs démontrent une certaine curiosité envers les divinités isiaques, alors que d’autres restent attachés aux exemples passés dans leur démarche traditionaliste.

Plutarque, par exemple, étudie les légendes et pratiques égyptiennes dans son oeuvre Isis et Osiris. Il réexamine leur mythe et en décrit les cérémonies ; il n’hésite pas à contredire ses prédécesseurs sur la sacralité des isea [26], préservés de la corruption et des scandales. Il multiplie les rapprochements entre Isis, Sérapis et des figures grecques comme Proserpine et Pluton, et il fait la part belle à Sérapis, plus seulement à Osiris. Enfin, il opère des parallèles entre la mythologie égyptienne et les légendes gréco-romaines, apportant encore du poids aux mystères isiaques qui honorent des δαιμόνων μεγάλων (puissants génies ou démons) :

Mieux vaut donc présenter ce qui se raconte sur Typhon, sur Osiris et sur Isis, comme formant une série d’aventures éprouvées non par des dieux ou des hommes, mais par des génies puissants […] [27].

À travers cette oeuvre qui évoque Platon, Hécatée, etc., on ressent le sérieux de la recherche du prêtre—car il est prêtre à vie d’Apollon à Delphes. Et il ne lésine pas sur le vocabulaire religieux mélioratif : θεῖα (divin), ἱερὸν λόγον (paroles sacrées), pour ne citer que quelques exemples. On est bien loin des monstra ou superstitiones. Même lorsqu’il les évoque comme anciens démons, c’est pour leur donner plus de pouvoirs, puisque connaissant la nature et les douleurs humaines, ils en sont plus puissants en les surpassant.

Dans ses Histoires, Tacite, qui est Quindecimuir Sacris Fatiundis [28], rapporte des traditions cultuelles égyptiennes dans de longues digressions [29]. Il cite les dieux Ammon, Apis et surtout Sérapis dont il fait une longue description des origines et qu’il introduit ainsi dans son récit :

Il se disait envoyé par une révélation de Sérapis, la principale divinité de cette nation superstitieuse […] [30].

Dans ce dernier extrait, bien qu’il confirme le caractère sacré des révélations et miracles sérapistes associés à Vespasien, qui est considéré comme héritier des vertus d’Auguste et bon exemple de princeps, il précise malgré tout que Sérapis est la principale divinité d’une superstitionibus gens. Il ne s’attaque pas directement au dieu, justement parce que ce dernier est intimement lié à un bon empereur ; il ne fait que s’y attaquer indirectement par le biais de son peuple. Tacite est un auteur curieux, mais il demeure un Romain peu sensible aux côtés irrationnels orientaux.

Dans les Vies des douze Césars, Suétone présente sa vision du prince idéal, respectueux de la religio selon les normes établies au début de l’époque impériale :

Quant aux rites étrangers, il (Auguste) avait le plus grand respect pour ceux qui étaient anciens et approuvés chez les Romains ; il méprisait tous les autres. […] D’un autre côté, dans son voyage en Égypte, il ne se détourna pas même pour voir le boeuf Apis […] [31].

Il présente élogieusement la politique d’Auguste, et par ce rappel de son hostilité envers Apis, divinité zoomorphe, on observe la reprise d’un ancien topos appliqué à un autre exemple qu’Anubis. Ce parfait princeps donne l’exemple qu’il méprise bien les peregrinarum caerimoniarum (rites étrangers) au sein même dans leur pays d’origine. Y ajoutant une distinction claire avec les mystères anciens connus depuis longtemps des Romains (sous-entendant les mystères grecs auxquels l’empereur est initié), l’auteur renforce cette idée d’un mépris impérial consciemment choisi envers les divinités égyptiennes. Se plaçant dans une perspective morale, Suétone félicite alors les empereurs suivants qui imitent son modèle et ces dispositions religieuses et ne cesse d’associer les mauvais exemples impériaux à ce qu’il considère comme des dérives religieuses. Suétone adhère à ce « traditionalisme romain », qui est toujours mobilisé à son époque, mais à moindre échelle qu’au Ier siècle.

Encore Crispinus ! et son nom dans mes vers reparaîtra souvent : c’est un monstre pervers, dont aucune vertu ne rachète les vices […] Que la dame ait un rendez-vous, elle veut être mieux parée que d’ordinaire, et vite, car déjà on l’attend aux jardins ou dans le temple d’Isis, cette déesse entremetteuse. […] Qui ne sait, Volusius Bithynicus, à quelles monstrueuses divinités les Égyptiens insensés ont voué un culte ? C’est le crocodile que les uns adorent, les autres tremblent devant l’ibis qui s’engraisse de serpents […] [32].

Quant à Juvénal, considéré comme le plus accusateur des auteurs païens envers l’isiasme, son oeuvre reprend et exagère tous les stéréotypes développés au siècle précédent sur l’Égypte et les divinités isiaques. Le personnage de Crispinus incarne ces stéréotypes, avec tous les traits distinctifs des parvenus que Juvénal vitupère, comme l’origine servile et surtout égyptienne : c’est lui que Juvénal qualifie de monstrum. Il qualifie ensuite Isis de Ienae (entremetteuse), déesse des courtisanes durant l’époque de Domitien. Ses prêtres sont accusés d’être des imposteurs et les fidèles d’Isis sont accusés de fanatisme, car ils prient des dieux-animaux et leur obéissent sans réflexion. Juvénal fait bien le lien entre le dominus impérial de son récit, Domitienle contraire d’un bon princeps—et les divinités isiaques. Ainsi, cette oeuvre atteste surtout de cette ambiance isiaque importante sous le règne de Domitien, ce qu’il désapprouve directement. Mais indirectement, l’auteur s’adresse aussi à ses contemporains du règne d’Hadrien, il les prévient du désordre engendré par ces divinités et leurs fidèles.

Encore une fois, la tendance littéraire semble évoluer selon la tendance politique, plus tolérante, voire favorable, et Juvénal est le dernier auteur païen à s’attaquer aux divinités isiaques sans se borner à répéter les paroles d’autrefois. Mais les accusations ne disparaissent pas pour autant : si le christianisme fait également partie des peregrina sacra qui ont été interdits, voire persécutés, à Rome, il ne connaît pas la même évolution officielle que l’isiasme lors du IIe et du IIIe siècle.

Round two : la lutte intra-peregrina sacra entre isiasme et christianisme

Ainsi peu à peu, les détracteurs littéraires de l’isiasme ne sont plus des païens traditionnels, mais désormais des auteurs chrétiens qui cherchent à défendre le christianisme en utilisant notamment les topoi païens du Ier siècle.

Les consuls Pison et Gabinius […] avaient interdit l’entrée du Capitole, c’est-à-dire du palais des dieux, à Sérapis, à Isis, à Harpocrate et à celui qu’on représente avec une tête de chien ; ils avaient renversé leurs autels et arrêté le cours de ces vaines et infâmes superstitions. Vous avez rétabli ces divinités dans tout leur éclat. Où est la religion, où est le respect dû à vos pères ? […] Je pourrai même vous montrer dans la suite que, semblables en ce point aux chrétiens […] vous méprisez, vous détruisez le culte de vos propres divinités, […] quoique vous ayez comme naturalisé parmi vous Sérapis [33].

Tertullien est un apologiste chrétien qui s’est fortement attaqué aux divinités isiaques dans plusieurs de ses écrits. Après avoir cité Varron comme référence, il réutilise l’exemple du rejet sénatorial tardo-républicain de l’isiasme. Ici, il définit les divinités isiaques comme superstitio, comme les Romains traditionalistes avant lui. Les attaques de Tertullien sont surtout des attaques envers ce qu’il considère comme un point faible du paganisme romain : alors qu’auparavant Isis et les autres étaient décriés par les Romains ayant une certaine présence d’esprit, ses contemporains du IIIe siècle les ont malgré tout peu à peu acceptés dans leur panthéon. Tertullien considère cela comme un argument de poids dans sa défense du christianisme. Ainsi, ci-dessus, détournant le principe de l’imitatio diabolica, il retourne les propres arguments païens contre le christianisme : les païens accusent souvent les chrétiens de ne pas rendre hommage aux dieux de l’État, et Tertullien, en donnant l’exemple de Sérapis « naturalisé », nous dit que les païens font alors la même chose qu’eux en honorant des divinités qui ne faisaient pas partie originellement de leur panthéon.

Les premiers apologistes chrétiens affichent souvent ce schéma général constant : la reprise de thèmes récurrents parmi les anciens topoi païens envers le christianisme ou des branches du paganisme soumises à controverse. Par exemple, cette imitatio diabolica reprend le topos du cannibalisme, dirigé alors contre l’Égypte et son peuple, car les chrétiens étaient accusés eux-mêmes d’anthropophagie [34]. Tertullien opère ce schéma [35] : il explique l’accusation païenne de cannibalisme et d’inceste envers les chrétiens, puis il retourne ironique cet argument, visant alors uolentibus initiaris (les initiés) qui vont voir le hiérophante (un haut prêtre). C’est là un schéma récurrent des apologies chrétiennes : les attaques spécifiques envers certains points du paganisme sont des réponses à ces mêmes attaques qui ont pu viser le christianisme. Ainsi, Isis, Sérapis et les autres, voire même l’Égypte, sont une cible de choix, comme l’est Mithra, chez Tertullien en particulier. Et vous avez d’ailleurs la réapparition d’un autre topos fréquent chez lui : l’Anubis à tête de chien.

Vous avez des dieux à tête de chien, d’autres à tête de lion, de boeuf, de bélier, de bouc, des dieux cornus, des dieux à jambes de chèvres, à queue de poissons et de serpents [36].

Tertullien reviendra plusieurs fois, comme Cyprien [37], sur la stupidité des fidèles qui osent se prosterner devant une telle image zoolâtre à Rome. Quant à Origène, qui s’attaque directement aux origines de tels comportements en Égypte, il réutilise l’argument de l’évhémérisme des divinités isiaques, en particulier de Sérapis :

Si les anciens Naucratites avaient aussi leurs dieux, et que les modernes en adorent un autre, depuis trois jours, savoir, Sérapis, qui n’avait jamais été dieu, cela ne nous obligera point à reconnaître une nouvelle divinité qui n’était point auparavant et qui jusque-là avait été inconnue aux hommes [38].

Round three : falsa contre vera religio

Si on considère le début du IIIe siècle comme l’époque d’officialisation impériale des divinités isiaques, la situation s’inverse au IVe siècle, avec le phénomène de christianisation dès le règne de Constantin. Ainsi, le combat reprend et le paganisme est à son tour persécuté officiellement, considéré comme falsa religio (fausse religion, avec des dieux inexistants) et non simple superstitio (religion existante mais excessive). Dans ce contexte religieux, les divinités isiaques sont de moins en moins évoquées directement dans les textes chrétiens. Néanmoins, on attaque toujours les Égyptiens sur leurs croyances, comme chez Eusèbe.

Puisque après la mort des saints patriarches entraînés par les usages des Égyptiens au milieu desquels ils vivaient, ils se livrèrent, comme je l’ai déjà dit, aux superstitions du polythéisme, de sorte qu’ils semblaient ne rien avoir qui les en distinguât, et adoptèrent leur culte erroné des idoles et leurs autres crimes [39].

Les auteurs autrefois païens et convertis, comme Lactance qui cite Juvénal [40], évoquent plus fréquemment les divinités et insistent sur le fait que, puisqu’ils ont des connaissances plus poussées du paganisme que les chrétiens de naissance, ils peuvent affirmer avec certitude que ces personnages ne peuvent être divins, car d’origine mortelle et sexualisée. Lactance, avec l’optique d’un païen qui se convertit, use et abuse ainsi du terme simulacra, tout comme Macrobe qui perpétue le thème de la décadence de la religio romaine ancestrale.

Je n’aurais jamais fini si je voulais rapporter ici le nom et les divers emplois de ces monstrueuses divinités, qui ne cèdent en rien à celle des Égyptiens [41]

Une ville adjacente à l’Égypte […] rend un culte qu’on peut dire extraordinaire à Sérapis et à Isis, mais elle témoigne que, sous ces noms, tout ce culte se rapporte au soleil ; […] soit lorsqu’elle place auprès de ce simulacre l’image d’un animal à trois têtes [42].

Pour percevoir le contexte politico-religieux gravitant autour de la « culture isiaque » à cette époque, avec plutôt la mise en avant d’une Égypte culturelle et non cultuelle, prenons l’exemple de l’obélisque du Latran, provenant de Karnak, dédié à Amon-Rê et objet de plusieurs projets. Étant le plus grand jamais connu, cet obélisque a découragé Auguste, puis Constantin qui le déplace jusqu’à Alexandrie mais meurt avant d’achever le projet. Le projet aboutit en 357 sous Constance II, qui le place dans la spina du Circus Maximus :

Figure 1

Reconstitution du Circus Maximus

Reconstitution du Circus Maximus

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Le geste est rapporté par Ammien Marcellin :

Parmi les ouvrages d’art de cette ville, j’ai vu moi-même des obélisques en grand nombre, simulacres gigantesques des dieux de l’Égypte […] On y voit gravée une innombrable variété de hiéroglyphes, et qui sont les archives mystérieuses de la sagesse des temps d’autrefois […] L’arrivée d’un obélisque à Rome, sous le règne de Constance, fit jouer aussitôt tous les ressorts de la flatterie. […] Mais Constantin, pour en faire la dédicace à Rome, temple de l’univers entier, commença par déplacer ce monument [43].

Ainsi, c’est parce que « Rome est le temple de l’univers entier » que Constantin aurait voulu cet obélisque à Constantinople, pour en faire une nouvelle capitale pareillement politique et religieuse tout en honorant la vieille capitale impériale. Ammien nous dit aussi que l’obélisque ne pouvait être lu, parlant de « sagesse d’autrefois ». Si Ammien, qui se présente comme visiteur de Thèbes, semble concevoir que la théologie égyptienne fait de ces monuments des représentations divines, il n’en parle pas moins comme d’« inventions » de ces dieux—figmenta. Il semble qu’à la fois Ammien respecte la religiosité égyptienne puisqu’elle est antique, et qu’il constate les changements depuis une sacralité avérée vers un oubli et une exploitation dépassée de ce caractère sacré à son époque. D’ailleurs, il n’utilise pas le vocabulaire habituel des auteurs du Ier siècle détracteurs de l’isiasme ; sacra est le meilleur exemple. Il n’attaque pas la religion égyptienne, mais il constate son effacement progressif jusqu’à son époque. Cette vision d’une sacralité égyptienne exploitée est certainement liée à sa vision des Égyptiens. Car les Égyptiens sont inclus dans ces peuples « barbares » envahissant Constantinople [44] : on revient à cet ancien topos du dangerpolitiqueque représentaient les Égyptiens, non plus pour Rome, mais pour la nouvelle capitale du IVe siècle. Ce topos ne met pas en doute, comme quelques siècles auparavant, l’ancienneté de la nation égyptienne, et on retrouve même le terme miracula, équivalent latin des « merveilles » égyptiennes d’Hérodote[45].

Quant à la présence de tels monuments à Rome, Ammien en parle comme d’objets qui font « jouer aussitôt tous les ressorts de la flatterie », en racontant l’historique impérial du transport de l’obélisque du Latran, placé à son époque dans le circus Maximus. Il parle d’un respect de la religiosité d’Auguste qui a initié le projet, mais qui l’a abandonné par scrupules religieux envers une consécration solaire Deo Soli. Cette délicatesse ne correspond pas aux autres gestes d’Auguste envers les cultes isiaques à Rome. Cette description d’Ammien démontre qu’Auguste aurait renoncé à son projet pour l’obélisque de Karnak non pas par déférence envers une quelconque divinité égyptienne, mais en y reconnaissant Apollon, son dieu tutélaire, qu’il laisse sur place, puis qu’il honore à Rome par le transport d’un autre monument solaire—celui du Circus Maximus, aujourd’hui piazza del Popolo—et par une dédicace personnelle sur un troisième obélisque—celui de son Horologium, aujourd’hui piazza di Montecitorio. Seul cet auteur parle d’un tel respect augustéen envers le Soleil en Égypte. Son récit est une preuve que le syncrétisme solaire de son époque pouvait inclure des divinités égyptiennes—sans les citer, Sérapis étant absent de cette oeuvre—et que selon lui, ce phénomène remonte au début de l’époque impériale. En outre, face à cette description, on peut ajouter que sans son texte, les Romains sont bien incapables de lire les hiéroglyphes, « sagesse d’autrefois », et qu’ils connaissent très peu Amon-Rê qui est le « Soleil » honoré par ces signes. Enfin, la place attribuée—un cirque—était autrefois un lieu de culte allégorique envers l’aspect cyclique du temps qui passe : on y trouvait des chars comme celui d’Apollon, douze portes comme le Zodiaque, des mouvements circulaires autour de la spina comme autour du soleil incarné par l’obélisque, etc.

Le détournement de la théologie héliopolitaine solaire pour la théologie romaine était devenu très symbolique au Ier siècle av. J.-C. sous Auguste, mais c’est une intention non mentionnée par Ammien au IVe siècle. C’est surtout une tradition devenue esthétique, si l’on se fie à cet auteur et aux absences de mentions au sujet de divinités égyptiennes à combattre. Le geste apparaît également comme une tradition sans prétention politique, semble-t-il, puisque ni Constantin ni son fils Constance ne délivrent de message en ce sens dans cet extrait. Pourtant, l’inscription qui fut gravée sur le socle sur les ordres de Constance démontre bien un message politico-religieux : elle parle de propager la gloire chrétienne, de victoire grâce à la croix, conjointement à une « victoire » constantinienne au profit de Constantinople [46]. On a donc une inscription à objectif politico-religieux, qui oppose deux peuples, deux cultures : autrefois, c’était la Rome traditionnelle contre l’Égypte sur les obélisques d’Auguste, désormais c’est la chrétienne Constantinople contre l’Égypte.

Selon Ammien Marcellin, qui omet cette intention impériale, le projet de déplacer cet obélisque semble simplement culturel, pour embellir Rome, et les divinités provenant d’Égypte seraient désormais objets d’intentions esthétiques plutôt qu’un problème religieux, ce qui est résumé selon nous par l’expression « simulacres des dieux » : ces divinités n’apparaissent plus comme un danger et peuvent être transportées dans une ville bastion du christianisme comme Constantinople.

Dernière survivance isiaque

En réponse à ces textes puis aux comportements impériaux du IVe siècle, on observe à Rome une réaction antichrétienne de la part des sénateurs, avec de nombreuses émissions de médaillons VOTA PUBLICA représentant sur au moins une face des divinités isiaques. Ces médaillons sont émis une fois par année pour le nouvel an et offerts en cadeau depuis le règne de Dioclétien ; les premiers datent de 306. On ne trouvera plus désormais de « monnaies » sans cette légende. Les types sont très variés et dans un premier temps, ils sont associés à la figure impériale qui se retrouve représentée sur le droit, pour associer l’empereur à cette initiative et surtout au sens de ces vota, soit souhaiter la prospérité pour la nouvelle année. Les divinités isiaques seraient de nouveau liées au pouvoir impérial, voire à chaque empereur puisqu’on a retrouvé des vota isiaques romains sous tous les règnes depuis le règne de Constantin jusqu’à celui de Valentinien II. Néanmoins, ce lien ne s’exprime qu’à travers ces médailles spécifiques émises une fois par an. C’est selon nous un lien majoritairement protocolaire, et les dernières théories supposent une initiative de production de la part de l’aristocratie sénatoriale païenne de Rome depuis au moins le règne de Constantin. Cette tradition païenne, qui survit aux règnes des premiers empereurs chrétiens et aux mesures de lutte contre le paganisme, disparaît avec le règne de Théodose Ier, dès 379 ap. J.-C. La plupart de ces vota sont alors dits anonymes : exempts d’effigie ou de légende impériales, les isiacologues tendent à affirmer qu’ils sont postérieurs au règne conjoint de Valentinien II, de Gratien et de Théodose Ier, donc depuis environ 379 et certainement jusqu’à la défaite d’Eugène en 394 [47].

Ces émissions de vota représentent un épisode particulier de l’histoire isiaque romaine en termes de quantité. En effet, ces émissions sénatoriales, ci-dessous figurées dans les proportions à partir de 284 ap. J.-C., représentent la quantité la plus importante de monnaies isiaques émises à Rome durant l’Empire, et ce malgré la christianisation:

Figure 2

Proportions numismatiques isiaques romaines par dynasties [48]

Proportions numismatiques isiaques romaines par dynasties 48

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En termes d’iconographie, c’est également un épisode particulier, puisque les types divins isiaques représentés se multiplient peu à peu sur les vota à effigie impériale :

Figure 3

Proportions iconographiques des vota publica romains isiaques avec empereurs

Proportions iconographiques des vota publica romains isiaques avec empereurs

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Cette multiplication apparaît surtout dès le règne de Julien, empereur connu comme adepte des religions païennes à connotation solaire. Et vous n’avez sur ce graphique que les grandes catégories divines, le graphique n’incluant pas les sous-catégories comme Isis lactans, pharia, Sérapis Trônant, les bustes, etc. Isis est toujours en majorité, avec notamment la figure d’Isis pharia ou pelagia sur un bateau [49] sur des monnaies où figure Constantin, ce qui indique que la fête isiaque du navigium existait toujours à Rome ; ou bien Isis lactans allaitant Harpocrate [50], très populaire dans la statuaire des trois premiers siècles, et dont la popularité ne faiblit pas sur les émissions anonymes, étant le deuxième type en terme de proportions après pelagia, que ce soit sur des monnaies avec Sérapis ou Isis au droit.

On remarquera avec surprise qu’Anubis, le chien de l’horreur venu d’Égypte, semble acquérir une popularité monétaire assez constante, placé par exemple sous le patronage de Valens [51]. Cette image n’est pourtant pas vraiment représentative du paganisme romain à opposer au christianisme : même si Anubis présente une toge romaine et un caducée, il est toujours illustré sous sa forme canine. En outre, pourquoi offrirait-on un médaillon de nouvelle année représentant un psychopompe, c’est-à-dire un conducteur des morts ? C’est donc un geste très ironique de la part des sénateurs-émetteurs de reprendre la divinité sous cette forme ayant subi le plus d’attaques par l’élite littéraire du Ier siècle, puis par les chrétiens. Il y a là le geste d’oser afficher une divinité longtemps décriée, et peut-être même d’opérer, comme Tertullien auparavant, une imitatio diabolica, ce qui semble signifier « vous vous moquez de nous mais vous faites de même ». Alors, afficher Anubis à tête de chien pourrait avoir pour but de rappeler aux chrétiens qui décriaient l’aspect animal d’Anubis qu’ils ont fait la même chose. Car depuis les débuts impériaux circulent des images du dieu chrétien sous forme d’âne, et la littérature latine est témoin de ce phénomène [52].

Figure 4

Isis Pelagia

Isis Pelagia

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Figure 5

Isis lacans

Isis lacans

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Figure 6

Anubis tenant le sistre

Anubis tenant le sistre

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Figure 7

Christ à tête d’âne, graffiti romain du IIes

Christ à tête d’âne, graffiti romain du IIes

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Figure 8

Sérapis tenant le globe

Sérapis tenant le globe

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Au contraire, on remarquera sur ce graphique l’absence de Sérapis, qui n’apparaît que s’il accompagne Isis, possiblement parce qu’Isis est la divinité isiaque préférée du peuple depuis le Ier siècle, alors que Sérapis a plutôt été le choix des empereurs intéressés par l’isiasme, tels que Commode et Caracalla. Sérapis ne sera figuré seul que sur les vota anonymes, souvent debout tenant un globe [53] sur le revers, et reprend de l’importance en étant placé sur le droit de la moitié de ces émissions anonymes, prenant donc la place de l’empereur. Ainsi, autant quantitativement que qualitativement, il semble que les derniers défenseurs du paganisme romain qui avaient encore un peu d’autorité et de moyens ont tenté de se dresser contre la christianisation de l’Empire en mettant en scène les divinités isiaques et en multipliant les tentatives (par la quantité et la variété) au fil du temps. En face, les attaques littéraires chrétiennes ne se sont pas vraiment intensifiées durant quatre siècles : elles sont plutôt passées progressivement du détournement des topoi païens du Ier siècle pour une lutte intra-peregrina sacra au IIIe siècle à l’effacement progressif de ces fausses divinités isiaques, désignées falsa religio. Malgré le sursaut isiaque monétaire par les sénateurs romains, la christianisation officielle de l’Empire nous permet de conclure que cette progression aboutira finalement à un effacement définitif du paganisme et de l’isiasme par un détournement au profit du chrétien, et à cette phrase générale de Saint Augustin :

On n’extermine pas les derniers païens mais on les convertit, on les change ; de même on ne détruit point les temples, on ne met pas en pièces les idoles, on ne coupe pas les bois sacrés ; on fait mieux, on les consacre à Jésus Christ [54].