Article body

Le livre Le Canada français en images est d’abord et avant tout un ouvrage visuel. Le livre offre au lecteur une vue d’ensemble de la production artistique de Jean-Baptiste Lagacé (1868-1946) en reproduisant (en couleurs) 30 de ses oeuvres. Ces illustrations sont issues d’un corpus de plusieurs centaines d’images, lesquelles sont disponibles dans une édition entièrement numérique publiée par la même auteure chez Fides. Rapidement, il apparaît évident que l’ouvrage papier n’est qu’une introduction à l’édition numérique, ce qui laisse perplexe quant à sa pertinence.

Le livre comporte deux parties. La première est la reproduction (en double) des oeuvres de Lagacé. Ainsi, en plus de les découvrir au début de l’ouvrage, le lecteur les retrouve à la fin sous forme de cartes postales détachables. La deuxième partie du livre est une introduction à la vie professionnelle et à la production artistique de Lagacé par l’historienne de l’art Olga Hazan. S’étendant sur 20 pages, le commentaire d’Hazan porte sur trois aspects précis de l’oeuvre de Jean-Baptiste Lagacé. En premier lieu, elle détaille ses activités professionnelles, à la fois en tant qu’artiste-illustrateur que comme professeur d’histoire de l’art. Selon Hazan, Lagacé a été, ni plus ni moins, l’instigateur d’une véritable culture artistique au Québec. Après avoir précisé le rôle qu’il a joué comme professeur d’histoire de l’art, Hazan rappelle aussi l’implication de Lagacé dans l’enseignement du dessin aux différents niveaux scolaires. Dans un deuxième temps, l’historienne s’intéresse au contexte de production des images composées par Lagacé. Hazan se penche sur deux corpus précis : les tableaux historiques destinés aux écoliers de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) et les croquis des chars allégoriques des défilés de la Saint-Jean-Baptiste. Tout comme les tableaux historiques qui visaient à instruire la jeunesse sur l’histoire « héroïque » de son peuple, les défilés de la Saint-Jean participaient à la diffusion de l’histoire en la présentant aux foules rassemblées annuellement à cette occasion. Finalement, dans la troisième portion de son commentaire, l’auteure analyse chacune des 30 images reproduites dans l’ouvrage. Pour ce faire, elle les classe en cinq groupes : « Tableaux tirés de l’histoire du Canada (1921) », « Éducation et transmission (défilés de 1930 à 1939) », « Scènes de la vie d’autrefois (défilés de 1925 à 1941) », « Chansons de France et du Canada français (défilés de 1925 et 1928) », « Contes et légendes du Canada français (défilés de 1929, 1936, 1937 et 1938) ». L’argumentaire d’Hazan est pertinent, fouillé et manifeste la grande érudition qu’a l’auteure sur l’artiste étudié. C’est probablement en raison de celle-ci qu’elle magnifie un peu trop le rôle qu’a eu Lagacé dans la culture québécoise : s’il faut certes mieux connaître son histoire et son influence, il m’apparaît un peu catégorique de faire porter à Lagacé seul la naissance d’une culture artistique moderne au Québec.

Olga Hazan mentionne avec raison que la production de Lagacé « témoigne aujourd’hui de l’efficacité de l’image dans le processus de reconstruction de l’histoire, à la fois pour édifier, instruire et divertir, les petits comme les grands » (p. 41). En ce sens, le livre est un apport indéniable à l’histoire de la culture visuelle au Québec et à l’importance d’étudier les images pour mieux comprendre le passé. Ainsi, les historiens de l’éducation et de l’enseignement de l’histoire auraient tout intérêt à allier à leur étude des textes celles des images. Les illustrations de Lagacé présentées dans le livre sont instructives à deux niveaux. D’abord, en tant que sources historiques, elles peuvent nous renseigner sur certaines pratiques du passé. Puis, elles témoignent de la représentation de l’histoire nationale que se faisait un artiste dans les premières décennies du XXe siècle.

Malgré plusieurs mérites, notamment la qualité des reproductions, certains irritants, qui se rapportent à l’édition plutôt qu’à l’argumentaire, se rencontrent durant la lecture. D’abord, les renvois au livre numérique (qui ne nous est pas accessible) sont trop fréquents. En plus de réduire l’intérêt du livre papier, ces renvois augmentent l’effet produit par l’ouvrage : celui de nous laisser sur notre faim. Ceci dit, l’auteure ne manque pas de nous indiquer toutes les ressources disponibles pour en savoir davantage sur ce sujet passionnant. Ensuite, nous ne comprenons pas bien le choix de l’éditeur d’inclure la série de cartes postales détachables. Est-ce qu’on a vraiment pensé qu’elles seraient utilisées pour communiquer avec nos proches ? D’autant que, dans certains cas, on comprend mal dans quelles circonstances le lecteur voudrait mettre à la poste des images qui « véhiculent des préjugés, inacceptables aujourd’hui, notamment vis-à-vis des peuples autochtones » (p. 40).