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Associate professor à la Portland State University, Catherine McNeur se distingue par les multiples prix gagnés pour ses travaux d’histoire environnementale. Son ouvrage Taming Manhattan: Environmental Battles in the Antebellum City s’est ainsi vu décerner le Victorian Society of America Metropolitan Chapter Book Prize.

Cet important livre révèle les tensions sociales reliées à l’environnement et à la ville au XIXe siècle, mais aussi les relations dynamiques entre ce même environnement, les humains, l’architecture et les êtres à Manhattan. L’ouvrage nous amène à mieux concevoir comment la ville était vécue et ressentie à l’époque précédent la guerre de sécession américaine, c’est-à-dire entre 1815 et 1865. Le titre du livre est loin d’être un choix anodin : Taming Manhattan évoque d’emblée une ville en manque de structure, mais qui, au fil du temps, devient moins animale, plus contrôlée et moins indomptée. L’auteure propose ainsi une nouvelle manière d’envisager l’expansion de Manhattan au XIXe siècle en établissant les liens entre le domptage des animaux et de l’environnement, et le désir connexe d’assujettir les humains et de s’approprier l’espace urbain.

Tel que l’exprime si bien C. McNeur dans son introduction : « [n]eighbors from all social classes found in the urban environment a means for controlling the dramatic physical, social, and economic changes facing the city. It made the uncontrollable seem controllable »[1]. Chacune des classes sociales possédait une perception unique de ce que devraient être la ville et son environnement. Pour les moins fortunés, les déchets et les animaux qui se nourrissaient dans les rues faisaient partie d’une économie informelle qui leur permettait de subvenir à leurs besoins, tandis que pour les biens nantis, ces pratiques et ces bêtes n’avaient pas leur place dans la ville, mais bel et bien à la campagne. Certains d’entre eux croyaient qu’ainsi, leur présence aurait un moins grand impact sur les odeurs, l’air pur et les maladies propagées dans la ville. L’auteure nous rappelle que ces dynamiques relationnelles et de pouvoir sont toujours contestées et débattues dans les villes de nos jours.

Le premier chapitre de l’ouvrage introduit ce débat par le biais d’une analyse des chiens et des cochons qui habitaient, se promenaient et vivaient de la ville. Il nous présente l’animal de compagnie, l’animal de subsistance, et les différences entre le chien, le cheval et le cochon pour les New Yorkais de l’époque. Si le chien est souvent perçu comme étant un animal de compagnie, le cochon est presque toujours considéré comme une nuisance, tandis que le cheval était reconnu pour sa valeur économique et sociale et pour son utilité. Malgré que ce premier chapitre se concentre plus sur les questions de perception des animaux urbains qu’environnementales, il est nécessaire pour établir le rythme de l’ouvrage puisque ces diverses questions se développent en tandem dans la ville à l’époque.

Ces dynamiques interespèces nous entraînent dans les débats présents dans les archives municipales et les journaux de l’époque étudiés par McNeur. Par son analyse d’Union Square, d’Eleventh Ward Park et de Central Park, l’ouvrage nous permet de mieux comprendre que l’espace vert dans la ville n’a pas toujours été perçu comme un espace partagé et public. Nous saisissons aussi que les solutions sensées rendre plus vivable la ville qui se densifie n’avaient pas le même effet pour les gens des quartiers défavorisés, tels que ceux et celles du quartier Five Points. L’analyse complexe de McNeur met au jour des dynamiques genrées (« trees feminized these spaces »[2]), ainsi que les relations inégales qui se perpétuent dans l’espace urbain.

Il en va de même de la question de l’hygiène publique. Ramasser les ordures et les cadavres d’animaux qui s’accumulaient dans les rues devenait un défi de taille pour l’administration municipale. L’arrivée du choléra à New York exacerbe la situation, amenant les échevins à se tourner de plus en plus vers des solutions invasives pour les citoyens, telles que la vérification à domicile par des inspecteurs. L’auteur montre comment l’espace privé est devenu ainsi public. La santé des citoyens passait d’abord et avant tout par un contrôle plus complet de l’environnement urbain, des êtres non humains, des déchets et des espaces publics et privés de Manhattan.

En effectuant un retour intéressant sur les animaux dans la ville, l’auteure explore aussi le lien entre la densité urbaine, l’alimentation et les déchets qui en résultent. Le « swill milk », provenant de vaches malades confinées à de petits espaces et nourries avec de la drêche, était vendu aux citoyens une fois blanchis avec de multiples produits. Cet exemple permet de comprendre comment on cherchait à optimiser la ville, et aussi comment, parfois, les solutions rapides menaient à d’autres difficultés. Les endroits qui tiraient leur subsistance des déchets et ne pouvaient s’offrir que le « swill milk », tel Five Points, étaient remplis de familles d’immigrants et d’Afro-Américains. On les appelait souvent la « swinish multitude », c’est-à-dire la majorité porcine. Comme l’exprime si bien l’auteure : « Their environment had essentially turned them into animals ».[3] Cette façon d’associer certains êtres humains à des animaux s’explique par la volonté des « New Yorkers […] to determine what—and who—belonged within the city limits ». Ceux que l’on souhaite exclure se voient regrouper : c’est-à-dire les animaux, les immigrants et les Afro-Américains.

On le constate : la force de cet ouvrage réside dans sa capacité à présenter avec fluidité des dynamiques urbaines complexes. L’auteure parvient à nous faire comprendre comment la ville se développe et se partage, mais reste, malgré tout, indomptable. Destiné à un public instruit, son travail est néanmoins accessible et se lit tel un récit qui se révèle au fil des chapitres. McNeur démontre en somme comment New York au XIXe siècle était d’abord et avant tout partagée, diversifiée et changeante.