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L’historienne de formation et ancienne directrice de cabinet des Premiers ministres René Lévesque et Pierre-Marc Johnson, Martine Tremblay, a tracé au sein d’une monographie essentiellement descriptive et relativement classique dans son contenu, l’histoire du Bloc québécois et de son action parlementaire, de sa naissance dans la foulée du rejet de Meech, jusqu’à l’élection fédérale de 2011. Le principal intérêt de cet ouvrage, qui se révèle être l’intention maîtresse de l’auteure, est sa volonté d’offrir une première interprétation générale et indépendante sur le parcours d’un parti porté, à l’origine de sa fondation, par la promesse d’une longévité courte, conditionnelle à la tenue d’un second référendum sur l’indépendance du Québec. L’objectif énoncé dès l’avant-propos est double : comprendre d’une part les motifs inhérents à la longévité du Bloc québécois et, d’autre part, décrire le déroulement des événements politiques ayant jalonné son histoire. Notons à ce propos que l’analyse de M. Tremblay s’insère au sein d’une approche historiographique promouvant le caractère distinct de la société québécoise au regard de la fédération canadienne.

Le Bloc québécois, en raison de son émergence inattendue, représente au sens de l’auteure un « phénomène unique dans l’histoire canadienne et, sans doute, en Occident » (p. 10). Elle le conçoit telle l’expression d’une rébellion tranquille vouée à contrecarrer, entre 1993 et 2011, les décisions fédérales jugées nuisibles au Québec. M. Tremblay peint conséquemment les bloquistes sous les traits d’un groupe parlementaire responsable et constructif. C’est le premier fil conducteur de son écrit. Si ces derniers ont commis des erreurs et échoué en certaines occasions, dans leur opposition contre la Loi sur la clarté référendaire par exemple, ils ont mené tous les combats requis pour protéger les intérêts fondamentaux du Québec, embrassant des enjeux parfois pancanadiens pour y parvenir, tels le scandale des commandites, le déséquilibre fiscal ou les questions relevant de la politique étrangère. La seconde liaison de l’ouvrage témoigne de l’imbrication entre l’histoire du Bloc québécois et celles de ses principaux chefs, Lucien Bouchard et Gilles Duceppe.

La Rébellion tranquille se compose de trois parties inégales et offre, en plus de repères chronologiques et d’un index des noms propres, une bibliographie particulièrement fouillée. La première articulation, formée des trois premiers chapitres, porte sur la conjoncture politique post-Meech et les personnalités qui ont présidé à la naissance du Bloc québécois. M. Tremblay montre comment L. Bouchard, appuyé par des députés fédéraux démissionnaires, réussit à catalyser le ressentiment québécois en une coalition parlementaire hétérogène, qui conduit à la naissance de son parti en août 1990 avec l’élection d’un premier député indépendantiste, G. Duceppe.

La seconde section contient les chapitres quatre à neuf. On y suit avec minutie le parcours de L. Bouchard et de son entourage, de la coalition Bélanger-Campeau, au référendum de 1995. Ce faisant, sous la lorgnette d’un récit personnel, sont illustrés les premiers pas du Bloc québécois. Sa « mise en orbite » (p. 154), attribuée à l’échec de l’entente de Charlottetown, a offert à l’entourage de L. Bouchard le souffle essentiel à l’élaboration d’une organisation électorale au sens classique du terme. Cette approche, en plus d’avoir assuré le succès de la campagne bloquiste de 1993, a posé la première pierre d’un système faisant du Bloc québécois une opposition officielle redoutable, lui permettant d’acquérir un certain respect du Canada anglais, initialement hostile à sa présence. C’est une stratégie qui a aussi consacré une première distanciation entre ce groupe parlementaire et son homologue provincial, le Parti québécois, comme en attestent leurs tiraillements publics du printemps 1995 quant à la démarche référendaire.

Les sept chapitres restants restituent les efforts déployés par le second successeur de L. Bouchard, G. Duceppe, afin d’assurer la continuité du Bloc québécois, en débit des embûches rencontrées lors de ses premières années à la tête du parti. Ce tableau esquisse les remodelages subis par la formation indépendantiste sous l’influence de son nouveau chef, un « homme d’appareil et d’organisation » (p. 587), alors qu’un troisième référendum, au lendemain de 1995 et jusqu’à 2003, paraissait imminent. Renforçant la rigueur, la discipline et l’équilibrisme inculqué à la culture du Bloc québécois en 1993, consolidé par des cohortes de députés compétents, G. Duceppe réussit à positionner sa formation comme un incontournable sur la scène fédérale, en particulier face aux gouvernements fédéraux minoritaires successifs de Paul Martin et de Stephen Harper. Précisons, enfin, les maigres efforts déployés dans ces chapitres pour circonscrire les facteurs structurels ayant contribué à la débâcle du Bloc québécois lors des élections fédérales de 2011, sans oublier le bilan nuancé des années bloquistes à Ottawa élaboré en guise de conclusion.

Le récit de M. Tremblay, conformément à son second objectif, construit un éclairage inédit concernant des épisodes politiques incontournables, telle la coalition fédérale manquée de 2008. Quant à son premier but, elle y répond de façon originale, par un travail de recherche impeccable mettant en relief l’action de G. Duceppe et de son entourage. On regrette cependant son choix éditorial d’évacuer les points de vue extérieurs à la perspective bloquiste. En élargissant son cadre de recherche, l’auteure aurait offert un portrait plus critique de l’action du Bloc québécois entre 1990 et 2011.