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Les Petites Antilles françaises au début de l’époque coloniale sont le parent pauvre de la recherche en histoire. Mis à part les ouvrages de Jacques Petitjean-Roget, Paul Butel, Philip Boucher et Jean-Pierre Sainton[1], la recherche se concentre principalement sur le XVIIIe siècle et/ou Saint-Domingue. Cet ouvrage de Michael Harrigan, s’il n’a pas pour objet en tant que tel l’étude des sociétés coloniales des Petites Antilles françaises du XVIIe siècle, permet, grâce à l’analyse de textes de cette époque, d’avoir un aperçu de ces sociétés et de leur culture, d’un point du vue interne et externe. À partir de cette étude des textes du XVIIe, il fait ressortir les mentalités de cette « frontier era » (période du début de la formation des colonies), selon le terme de Philip Boucher, ce qui n’avait pas été fait auparavant. Il complète ainsi la présentation faite par Réal Ouellet dans ses ouvrages de 2014[2].

L’ouvrage est divisé en six chapitres dont les cinq premiers correspondent aux trois angles d’analyse utilisés par l’auteur, le sixième étant une synthèse de ces trois angles. Ainsi, les deux premiers chapitres étudient le processus qui a amené les Africains à être réduits en esclavage, à l’état d’outils de production dans les plantations atlantiques (p. 97). Le premier décortique les récits du XVIIe pour faire ressortir la façon dont les auteurs et leurs contemporains concevaient et décrivaient l’esclavage, mettant ainsi l’accent sur leur bagage intellectuel. Le deuxième se penche sur l’évolution de l’esclavage depuis l’Antiquité, la conception que les Européens en Afrique en avaient et son évolution suite au développement de la traite atlantique. Le deuxième angle d’analyse étudie la conceptualisation de leur pouvoir par les colons. Les chapitres trois et cinq répondent à cet angle. Le chapitre trois étudie le rôle des esclaves dans la mise en valeur des terres par la culture des produits destinés à l’exportation, l’exploitation du travail des esclaves par les maîtres et les limites de cette exploitation. Le chapitre cinq se penche de façon plus précise sur le pouvoir des maîtres sur les esclaves, dans sa dimension physique : contrôle des déplacements des esclaves, mais aussi châtiments qui peuvent leur être infligés et leurs limites. Le troisième angle d’analyse, dans le chapitre quatre, étudie les écrits comme instruments de pouvoir, car ils n’étaient accessibles qu’à une minorité de la population. Ces écrits participent, par leur circulation à la formation de la culture et de la société coloniale et sont ainsi des outils de pouvoir. Ce chapitre met en avant l’importance stratégique des sources étudiées par l’auteur, notamment les correspondances, ce qui complète l’historiographie des Antilles françaises. Le dernier chapitre, enfin, étudie le concept de société aux colonies, et l’organisation de ces sociétés. Il ressort que les esclaves, bien que faisant partie de ces sociétés en étaient exclus, ce que l’auteur exprime par l’idée de frontières internes et externes à la colonie (p. 33).

Pour mener à bien son étude, l’auteur utilise un ensemble de récits hétérogènes : des relations de missionnaires, des lettres non destinées à la publication, les correspondances des gouverneurs, notamment la série C9A, qui porte sur Saint-Domingue. Il aurait été intéressant d’étudier également les séries C8A et C8B qui portent sur la Guadeloupe et la Martinique. La colonisation de ces deux îles ayant précédé celle de Saint-Domingue, il aurait pu être judicieux d’étudier les correspondances de leurs gouverneurs. L’auteur compare les différentes versions des textes conservés aux archives, qui sont par ailleurs bien référencées, ce qui en fait un ouvrage rigoureux.

Il aurait été pertinent de séparer les îles étudiées, exercice difficile, les missionnaires circulant entre celles-ci, mais important, car leur développement ne s’est pas fait au même rythme. De plus la période étudiée est un peu longue : l’auteur explique lui-même que sa définition de « frontier era » est plus longue que celle de Philip Boucher, mais il aurait pu être plus judicieux de distinguer les périodes étudiées : la première « frontier era » jusqu’en 1660, la deuxième de 1660 à 1750, période pendant laquelle les sociétés coloniales se transforment. Ce qui aurait permis de faire ressortir l’évolution des mentalités en même temps que l’évolution du contexte colonial.