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Une politique du bien commun au Canada est non seulement possible, mais nécessaire[Record]

  • Charles Blattberg

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  • Charles Blattberg
    Professeur titulaire de philosophie politique, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3J7, Canada

À la fin de son texte « Une politique du bien commun au Canada est-elle possible? », Stéphane Courtois avance la critique suivante au sujet de ma philosophie politique « patriotique » : devant les défis du pluralisme dans les sociétés contemporaines, l’affirmation d’un idéal qui suppose que les citoyens dans un pays comme le Canada puissent affirmer une conception substantielle de leur bien commun (une conception qui représenterait, entre autres, un rapprochement des différentes communautés nationales dans le pays), n’est-elle pas au bout du compte irréaliste, voire utopique? (Courtois, 2010, 281) Bien sûr, je n’ai jamais caché ma conviction selon laquelle le bien commun ne peut être développé que par le mode du dialogue extrêmement fragile qu’est la conversation, et non par celui, plutôt antagoniste, qu’est la négociation. Cela parce que même si la négociation permet de trouver des accommodements raisonnables aux conflits, seule la conversation peut mener à de véritables rapprochements. Mais qu’en est-il de la conversation en politique? Étant donné l’immense disparité de pouvoir qui existe entre les citoyens, mon manque de réalisme s’aggraverait d’une bonne dose de naïveté. En fait, ces deux critiques sur l’utopie et la naïveté tendent à venir de disciplines différentes : c’est de philosophes comme Courtois que vient la suggestion que mon approche est utopique, tandis que les politologues, comme Éric Montpetit et Alain Noël, la trouvent naïve. Ainsi, Montpetit écrit que l’approche patriotique vise à remplacer la vie politique « normale », qui relève du pouvoir, par « l’activité intellectuelle » qui se réduit à l’affirmation de « visions » dans la conversation (Montpetit, 2008, 21; traduction libre), alors que Noël classe le patriotisme parmi les approches qui, « d’une manière plutôt abstraite », mettent trop l’accent sur les principes et pas assez sur le pouvoir (Noël, 2008, 428, 432; traduction libre). Michel Seymour se joint quant à lui aux deux critiques. Il relève la naïveté, parce que le patriotisme échoue à voir que « dans la réalité concrète des rapports de domination politiques », on passe de la force à la négociation, puis à la conversation « et non l’inverse ». Il souligne aussi l’utopie liée à ma croyance en l’existence d’une « illusoire communauté politique » et à ma conception de la communauté nationale qui va à l’encontre de l’immense majorité des gens (y compris mes camarades les Canadiens anglais) – qui, je dois le présumer, souffrent d’une forme de « fausse conscience » (Seymour, 2008, 125, 123, 257). En somme, on pourrait dire que je rêve de l’impossible : de concitoyens qui feraient preuve d’une générosité jusqu’ici inconnue lorsque des conflits de fond portent sur des valeurs jugées primordiales. Voilà un idéal aimable, même touchant, mais totalement irréaliste. Il y a pourtant ici une grande ironie. J’estime en effet que c’est mon approche qui est la plus réaliste et que l’incapacité à le percevoir est elle-même le résultat de l’utopie et de la naïveté. Le réalisme du patriotisme est fondé sur l’idée qu’il est souvent dans l’intérêt des gens de converser. Non parce que la conversation suppose une doctrine smithienne de « l’intérêt personnel éclairé » selon laquelle, grâce à une main invisible, on promeut les intérêts de la société à travers l’avancement de ses propres intérêts (Smith, 1991, livre 4, chapitre 2, paragraphe 9). Le patriotisme ne suppose pas non plus une doctrine tocquevillienne de « l’intérêt bien entendu » qui suggère qu’il est, en fin de compte, dans l’intérêt personnel de chaque membre d’une communauté de faire des sacrifices limités au nom du bien de tous (Tocqueville, 1961, partie 2, chapitre 8). La réconciliation des valeurs …

Appendices