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« Programmer l’imprévisible » : la programmation comme pragmatique radicale[Record]

  • Suzanne Leblanc

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  • Suzanne Leblanc
    Université Laval

Lors d’un colloque récent intitulé Edit ! normes, formats, supports, Ruedi Baur faisait remarquer qu’une recherche peut être fondamentale, même lorsque appliquée à des sujets réels. C’est dans cette foulée que se donne à lire le texte de l’artiste invité Ruedi Baur accompagnant, dans le dossier intitulé « Programmer l’imprévisible », la matière visuelle de quelques projets extraits du corpus substantiel élaboré par ce dernier et son équipe depuis une vingtaine d’années dans le domaine de l’identité visuelle et de la signalétique. Ces projets sont présentés comme les étapes dans la recherche d’un certain type d’efficacité programmatique, de laquelle sont écartés d’entrée de jeu les « systèmes répétitifs basés sur un nombre très limité d’éléments », qui constituent le degré zéro de cette recherche, et que Baur critique dans le chapitre 1 de son dossier, pour passer à un certain nombre de ses propres réalisations qui intègrent progressivement les caractéristiques fondamentales du type de programmation recherchée. Le chapitre 2 du dossier traite ainsi des « systèmes basés sur un logotype évolutif » (programmes d’identité visuelle, le premier pour l’an 2000 en France, et le second, pour l’année France-Russie) et le chapitre 3, des « systèmes basés sur un langage visuel plus complexe » (programme de signalétique pour l’aéroport Cologne-Bonn et programme d’identité visuelle pour l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris). Le chapitre 4 introduit, en guise d’horizon, la possibilité de « systèmes se reprogrammant entre chaque apparition » et il présente à cet égard quelques « schémas théoriques » d’ordre heuristique de même qu’un projet d’identité visuelle encore à l’étude pour un centre de design à Saint-Étienne. Le dossier de Ruedi Baur prend ainsi une allure argumentative, procédant d’un concept universalisant de design, dans lequel la programmation d’identités visuelles et de signalétiques s’effectue de manière normative et décontextualisée (le degré zéro de la programmation recherchée), à l’idée d’une « programmation contextuelle » qui se réfère à ces « formidables modèles » que constituent les structures linguistiques. Ce sont celles de ce que l’on convient d’appeler « langages naturels », par opposition aux « langages artificiels » qui s’élaborent dans un registre allant des formalismes logiques et mathématiques aux codes visuels dont la réglementation présente une dimension légale. Contrairement à ces formalismes et à ces codes, les langues vivantes (parlées et écrites) ont une capacité créative qui rend possible, pour reprendre les mots de Ruedi Baur, « d’intégrer le nouveau, de s’accommoder de l’imprévisible, de permettre l’usage singulier, la création de l’exceptionnel et du normal ». Si aucun des projets présentés ne parvient selon Baur à la puissance créative de ce que l’on pourrait appeler ce « naturalisme langagier », certains programmes présentant un caractère d’évolutivité et de reprogrammabilité y travaillent objectivement, en application. Il est à cet égard très significatif que Ruedi Baur procède, en quelque sorte in situ, dans son dossier, à l’esquisse de trois « reprogrammations », adaptant deux programmes d’identité visuelle (l’an 2000 en France et l’année France-Russie) ainsi que le programme signalétique de l’aéroport Cologne-Bonn, au thème de son intervention dans le cadre du présent numéro. Je n’entreprendrai pas ici de faire une analyse des programmes d’identité visuelle et de signalétique dont Ruedi Baur résume lui-même de manière incisive, dans le texte accompagnant les documents visuels de son dossier, les tenants et les aboutissants. Je m’occuperai plutôt de répondre réflexivement à un certain nombre de considérations formulées dans ce texte concernant le développement des langages impliqués dans ces programmes, en désignant quelques entreprises de théorisation du langage auxquelles j’estime que ces considérations répliquent sur le plan philosophique et épistémologique. J’espère ainsi montrer, dans …

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