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Les rythmes du désir filmique chez Gustav Deutsch[Record]

  • Michael Cowan

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  • Michael Cowan
    McGill University

Dans une étude de 1929 sur le cinéma de Hollywood, l’auteur René Fülöp-Miller se demandait si le pouvoir de fascination des images cinématographiques ne résultait pas d’une très ancienne force, celle du rythme de l’union sexuelle : « On dit que, depuis les temps immémoriaux, le rythme primordial (Urrhythmus) de l’étreinte des sexes a produit toutes les formes de l’art, et que ce rythme primordial célèbre aujourd’hui sa résurrection dans une forme propre à notre ère : le film. » Cette phrase, recontextualisée, pourrait servir d’épigraphe au film de Gustav Deutsch : FILM IST. a girl & a gun (2009). Construit à partir d’images d’archives tirées des quatre premières décennies du cinéma et accompagné d’extraits de textes antiques d’Hésiode, de Sappho et de Platon, le film met en scène une sorte d’histoire du monde à la fois cinématographique et mytho-cosmologique en cinq actes – histoire qui semble mue par le rythme primordial de l’attraction érotique. Comme l’a montré Tom Gunning, tandis que l’oeuvre de Deutsch effectue des opérations de recontextualisation et de resignification communes aux films « found footage » depuis le travail fondateur de Lev Koulechov et Esfir Schub dans les années 1920, l’originalité de son remontage repose précisément sur la façon dont il insère les images qu’il recycle dans un mouvement cosmologique de quête d’union : « Deutsch forces Kuleshov’s montage beyond the simple creation of meaning to reveal a primal desire of images to unite and generate new figures of significance. » En effet, ce désir et ses rythmes constituent un des sujets principaux du film qui se manifeste non seulement par maintes images de l’attraction corporelle, mais aussi et surtout par un usage systématique du montage associatif à travers lequel des êtres et des choses de toutes sortes – humains, animaux, plantes, vagues, soldats, bombes ou spermes – révèlent leur attraction les uns pour les autres sur l’écran. Comme ces images de plantes filmées en accéléré qui semblent se tendre vers l’oreille des géologues auscultant une roche ou imiter les mouvements de bras d’un hercule de foire, presque toutes les images de mouvement enchaînées dans le montage de Deutsch paraissent investies d’une finalité dont la fin, toujours provisoire, est livrée par les images voisines. On sait que le rythme a souvent été vu comme la clé de l’esthétique cinématographique, et ceci surtout dans le cinéma expérimental non narratif au moins depuis les années 1920. Il est utile toutefois de se rappeler que la signification de ce mot n’est pas toujours la même. Pour les spectateurs des danses serpentines et pour certains théoriciens français du cinéma des années 1920, le « rythme cinématographique » renvoyait à une expérience éminemment bergsonienne de la durée et du flux, et ceci – comme le remarque Laurent Guido –, malgré les critiques que Bergson lui-même, réagissant aux démonstrations de la chronophotographie, avait lancées contre le « mécanisme cinématographique » comme incarnation d’une habitude intellectuelle visant à découper le mouvement et à disséquer l’écoulement du temps. Mais le terme a souvent reçu une tout autre signification – par exemple dans la pensée de Peter Kubelka qui célébre justement l’aspect chronophotographique du cinéma. Pour Kubelka en effet, le cinéma n’est pas tant un « art du mouvement » à l’instar de la danse qu’un art de l’arrangement d’images fixes. En effet, la dignité de l’art cinématographique consisterait précisément à nous faire sortir de l’écoulement « informe » de la vie en créant des structures porteuses d’une « harmonie » et d’un équilibre mathématiques, structures qui auraient plus d’affinité avec l’art statique de l’architecture (Kubelka emploie souvent la métaphore du temple) qu’avec …

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