Artiste invitéGuest Artist

James Coleman, Carosello (1972)[Record]

  • Larisa Dryansky

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  • Larisa Dryansky
    Université Paris-Sorbonne / INHA

En revanche, la tentation peut être grande de voir dans le titre et le sujet photographié (le manège) une référence au dispositif même du carrousel à diapositives selon une sorte d’auto-réflexivité moderniste entendue au premier degré. Coleman, cependant, rejette fortement cette lecture qui rabattrait la pièce sur un discours de la spécificité du médium en limitant tout compte fait la portée. Si Carosello a autant de prix aux yeux de son créateur c’est parce que l’oeuvre permettrait de toucher à l’importance paradigmatique de la projection dans sa réflexion au-delà de la question de l’appareil. Plus précisément, cette pièce qui confronte diapositives et photographies entraîne d’après Coleman « a shifting out of the photographic image, questioning its stability as document and bringing it into what is effectively projection ». En ce sens, on peut comprendre les instantanés flous du parc comme des sortes de seuils par delà desquels le spectateur est invité à se plonger dans la projection entendue telle un dépassement de la photographie. Se découvre alors une succession de vues colorées ponctuées de touches lumineuses (les ampoules ornant le manège) qui, sans suivre une progression strictement linéaire, n’en effectue pas moins un passage vers une abstraction croissante, la dernière diapositive dans la série se donnant comme un ensemble de taches de couleur et de lumière barré d’une grande traînée rose-blanche pareille à une coulée de peinture. Par cette opération, l’image photographique se détache de sa référence à un objet externe pour devenir le support à la fois flottant dans l’espace et éphémère des projections du spectateur : il ne s’agit plus vraiment de voir mais bien de projeter. La photographie elle-même est ainsi soumise à une sorte de liquéfaction, comme nous incite encore plus directement à le comprendre Canal, une pièce plus ancienne que Coleman relie explicitement à Carosello (voir la figure 1). Cette oeuvre non datée, mais vraisemblablement réalisée assez tôt dans le travail de l’artiste, consiste en une diapositive montrant la surface d’un canal sur laquelle flottent quelques feuilles de nénuphar et des branchages. Au premier plan apparaissent des roseaux, tandis que l’on distingue au fond de la composition les berges couvertes d’herbe. L’eau reflète le ciel et la végétation alentour. La pièce combine plusieurs niveaux de projection depuis la projection de la lumière du soleil dans la nature jusqu’à la diapositive projetée en passant par la surface du canal sur laquelle tous les éléments extérieurs viennent se projeter. De ce point de vue, ce plan aquatique n’est pas sans faire penser à une plaque photographique, à cette différence près – majeure pour Coleman – qu’il s’agit d’un substrat mobile et non inerte, sur lequel les images se posent de façon toujours temporaire. Cette association entre la projection et la liquidité est aussi à mettre en rapport avec la translucidité de l’image lumineuse projetée. Parmi les théoriciens de la photographie que Coleman aime à citer il est intéressant de relever le nom du philosophe Roger Scruton. Dans son essai « Photography and Representation » (1981), celui-ci développe ainsi l’idée selon laquelle « photography is transparent to its subject, and if it holds our interest it does so because it acts as a surrogate for the represented thing. » En effet, d’après Scruton, l’image photographique entretient avec le sujet qu’elle représente une relation causale et non intentionnelle comme le fait la peinture. C’est ce qui explique que la photographie ne peut prétendre être un art de la représentation au sens plein du terme. Comme répondant par anticipation à cette analyse, les multiples strates de reflets et de projections à la surface de l’eau dans Canal déjouent l’effet …

Appendices