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Nurith Aviv, Signer en langues (2016)[Record]

  • Myriam Suchet

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  • Myriam Suchet
    Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle

« Traduire » : le titre de ce numéro d’Intermédialités est identique à celui du troisième volet de la trilogie cinématographique de Nurith Aviv comprenant également D’une langue à l’autre (2004) et Langue sacrée, langue parlée (2008). Ce film donne à entendre dix traducteurs et traductrices qui témoignent de leur expérience de traduction de l’hébreu vers une autre langue. Chacun parle dans sa langue : Sandrick Le Maguer (français); Angel Sáenz-Badillos (espagnol); Yitshok Niborski (yiddish); Anna Linda Callow (italien); Sivan Beskin (russe); Manuel Forcano (catalan); Chana Bloch (anglais); Anne Birkenhauer (allemand); Rosie Pinhas-Delpuech (français); Ala Hlehel (arabe). Chaque séquence, qui nous mène dans un lieu différent (Brest, Boston, Malakoff, Milan, Tel Aviv, Barcelone, Berkeley, Jérusalem, Paris, Acre), s’ouvre sur le plan fixe d’une fenêtre. Puis, la lumière se fait sur le traducteur ou la traductrice qui sort, progressivement, de l’ombre. Cette « énonciation filmique » suggère beaucoup de ce qu’est l’acte de traduire. Les fenêtres, qui évoquent aussi les lettres hébraïques, comme le souligne volontiers la réalisatrice, constituent selon moi l’envers (ou le négatif) de l’idée reçue selon laquelle chaque langue découperait une vision du monde qui serait singulière et de ce fait intraduisible. Ici, aucune langue n’enferme dans un génie essentialisé, et la traduction, tout en étant incarnée et située, invite à regarder dehors. Pour ce dossier d’artiste, nous avons opté pour une autre oeuvre : Signer en langues, présentée du 14 décembre 2016 au 20 mars 2017 dans le cadre de l’exposition Après Babel, traduire sous le commissariat de Barbara Cassin. Comme je l’explique dans l’introduction générale, ce court métrage met en scène Emmanuelle Laborit signant un même terme dans plusieurs langues des signes — dans les deux extraits disponibles ici, il s’agit de l’adjectif « bleu » et l’expression « faire l’amour » (voir les figures 1 et 2). Bien que seule la dimension iconique soit convoquée dans ces traductions, qui ne mettent pas en jeu la syntaxe et ne constituent pas une création en langue signée, il m’a semblé que cette oeuvre de Nurith Aviv pouvait entrer en résonance avec l’article de Julie Chateauvert et contribuer à décloisonner la réflexion entre langues parlées et signées. J’ai également souhaité faire écho, dans l’espace de ce numéro d’Intermédialités, à cet autre dispositif de réflexion qu’est l’exposition. Le « tournant curatorial » de la recherche, remarqué par des commissaires et des artistes comme Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros, n’est pas sans rapport avec la traduction : On pourrait ainsi considérer qu’exposer, en tant qu’acte d’agencer des pensées sensibles, est une forme de traduction. Sans doute faudrait-il préciser que la traduction dont il s’agit est intermédiale, puisqu’il s’agit de mettre en relation des espaces, des oeuvres, des artefacts, des discours et des temporalités dont les matérialités spécifiques sont mises en avant. Consacrer une exposition à l’acte de traduire revient, dès lors, à interroger la traduction à la puissance deux, puisqu’il s’agit à la fois de son objet et de son mode opératoire. Ne pourrait-on pas en dire de même de ce numéro « Traduire », qui associe l’espace des pages, le volume du numéro virtuel et la cartographie de la plateforme Insight pour déployer une réflexion critique, esthétique, polyphonique, hétérolingue et indisciplinaire ?

Appendices