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Y retourner, revisiter. Michel Campeau et The Americans[Record]

  • Suzanne Paquet

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  • Suzanne Paquet
    Université de Montréal

Michel Campeau s’emploie sporadiquement, depuis quelques années, à revisiter la célèbre série de photographies The Americans de l’artiste suisse-américain Robert Frank. En 1958, le livre Les Américains, comprenant 83 photographies prises par Frank tout au long d’une traversée des États-Unis, était publié en France chez Delpire; puis, en 1959, The Americans paraissait aux États-Unis avec une courte préface de Jack Kerouac, incontournable représentant de la Beat Generation ayant lui aussi inlassablement sillonné le pays. The Americans fit époque par le style désinvolte et apparemment spontané des images de Frank, qui semblaient prises « à la sauvette », à l’instar de celles de ses contemporains européens identifiés comme les « photographes humanistes », mais sans que ses compositions soient aussi soignées que les leurs. C’est ainsi que Frank fut considéré, aux États-Unis, comme étant à l’origine d’une forme de photographie, ou d’un style qui a été qualifié de nouveau documentaire et reconnu comme photographie artistique à part entière. Ce type de photographie s’attachait aux choses banales (« the commonplace ») selon John Szarkowski, tout en les captant avec une certaine distance, une touche de sympathie ⎯ qui souvent pouvait s’apparenter à de l’ironie ⎯ et sans les intentions de « réforme sociale » des photographes documentaires des précédentes générations. Campeau se dit artiste et collectionneur. À ce titre, il aime bien porter son regard en arrière, récupérer les photographies des autres, les amateurs tout particulièrement, ou saisir et dépeindre les instruments et les lieux du temps de l’argentique, appareils et chambres noires notamment. Et s’il n’est pas le premier à reprendre et à reconsidérer Les Américains, sa méthode est certes singulière et fascinante, en ce qu’il cherche à apparier des images d’amateurs anonymes à celles de Frank, avec la plus minutieuse attention; au gré de ses trouvailles, les images sélectionnées peuvent être remplacées par d’autres, plus adéquates selon lui. Ce projet des Américains de Campeau est conséquemment devenu un work in progress n’ayant pas trouvé de forme définitive et ayant porté quelques titres successifs : une maquette de livre associe les photos de Frank avec les images anonymes collectionnées; des reproductions de ces images sont glissées dans les pages de diverses éditions de l’ouvrage de Frank; quelques épreuves de grand format ont été exposées. Le projet présente, par son processus, un curieux jeu d’allers et retours, de retournements, entre la photographie analogique (argentique) et la photographie numérique, entre les sphères privée et publique. Le photographe-collectionneur surveille, sur le site de vente en ligne eBay, l’apparition de photographies couleur des années 1950, surtout des diapositives, et, lorsque certaines suscitent son intérêt, il mise et s’en empare. Les images ainsi acquises sont des positifs uniques, de petits morceaux de celluloïd montés dans des cadres de carton; elles ont toutefois dû être numérisées aux fins de leur monstration sur le site de vente (où elles ne pourraient être visionnées sans ce glissement médial), intégrant de facto la culture numérique actuelle fondée sur l’intense circulation des images, l’hyper-visibilité et la pratique généralisée de l’appropriation. Les photographies parviendront à Campeau dans leur état matériel original, par la poste ⎯ médium analogique s’il en fut. Il les numérisera et les archivera, pour éventuellement les imprimer sur papier s’il souhaite les exposer. Les images migrent ainsi d’un support à l’autre, d’une époque à l’autre et passent d’un usage domestique à la vie publique ⎯ en ligne puis au musée ⎯, d’une situation vernaculaire à un contexte artistique, voire institutionnel, acquérant une visibilité et un statut dont leurs anonymes créateurs et créatrices n’auraient pu soupçonner l’avènement. Le parti pris de Campeau pour la couleur est révélateur de son …

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