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Introduction

La RSE, telle que définie par le Livre vert de la Commission européenne (2001, p. 8) est « l’intégration volontaire par les entreprises des préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». À ce titre, on la considère de plus en plus non seulement comme une variable stratégique de gestion des PME dans un contexte où l’État a reculé face à ses missions sociales et économiques, voire environnementales, mais également comme une réalité qui s’impose à tout type d’entreprise quelle que soit sa taille. La RSE ne doit pas être considérée comme un phénomène de mode pour cette catégorie d’entreprises, car il est question de concilier les différents enjeux tant économique et financier, qu’environnemental et social. La RSE, qui est une traduction du développement durable (Gendre-Aegerter, 2008 ; Ben Boubaker-Gherib, 2009), est restée pendant longtemps l’apanage des grandes entreprises jusqu’à ce que certaines institutions, notamment l’Union européenne, le PNUE[1], le CSR Europe[2], etc., démontrent que la PME est un acteur économique majeur dans le développement de la RSE. La PME ne fait pas l’objet d’une restriction spécifique en matière de RSE, et elle est tenue d’observer les dispositifs règlementaires. Ceci dénote de sa capacité à apporter des solutions durables au développement en termes de progrès environnementaux ou sociaux au sens de Forget (2011).

Les PME camerounaises sont pour la plupart familiales et le rôle du dirigeant est imbriqué dans celui de l’entreprise. Le dirigeant détient tous les pouvoirs et ses objectifs sont confondus avec ceux de l’entreprise. Dans la quasi-totalité des PME camerounaises, les actionnaires sont généralement des prête-noms, les fournisseurs et les clients qui sont les principaux partenaires s’intéressent peu à l’activité de l’entreprise (Sangué Fotso, 2011). Le mode de gestion de la PME, basé sur le « fait » et caractérisé par l’intuition et la spontanéité, accorde un intérêt particulier à la RSE en ce sens que les limites culturelles du dirigeant sont également celles de l’entreprise. Si la RSE est peu étudiée dans les PME (Paradas, 2010), cela constitue une remise en cause de sa spécificité selon Torrès (1997), dont l’une des principales caractéristiques est le schéma cognitif du dirigeant. Le rôle dominant du dirigeant de PME dans la prise de décision montre à suffisance que sa perception de la RSE constitue une source privilégiée de l’étude de ce concept.

La pluralité des travaux sur la RSE ces dernières années (Berger-Douce, 2015 ; Allix-Desfautaux et Luyindula, 2015 ; Debruyne, 2015 ; Amami et Maalej, 2015 ; Ben Hassine et Ghozzi-Nékhili, 2013 ; Igalens et Tahri, 2012) permet de constater que les résultats sur le plan empirique sont divergents et peu concluants. Il semble important, dans le cas des PME, de poursuivre les investigations dans ce domaine, afin de cerner le type de RSE pratiqué et les mobiles, pour ainsi faire émerger un consensus quant à la conceptualisation de la RSE. Au Cameroun, la connaissance de la RSE reste encore assez vague pour la plupart des PME, et peu de recherches ont été menées, ce qui induit une insuffisance de connaissances dans cette catégorie d’entreprises, qui constitue l’essentiel du tissu économique. Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016) s’intéressent à dresser les réalités de la RSE dans les entreprises camerounaises notamment les PME et les grandes entreprises tout en mettant en exergue les motivations et les freins. Etoundi Eloundou (2014) et Etogo et Estay (2013) abordent la problématique de la RSE et du DD dans les PME sous le prisme de l’éthique. Ondoua Biwolé (2012) relève pour les PME camerounaises, l’impérieuse nécessité de s’arrimer aux problématiques de DD afin d’assurer leur compétitivité et leur pérennité. Les résultats de ces recherches montrent que le débat sur la problématique de la RSE au Cameroun est loin d’être clos. Notre recherche se situe dans le prolongement de ces travaux tout en privilégiant le rôle central joué par le dirigeant propriétaire[3] dans la pratique de la RSE tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise.

L’objectif de cette recherche est de comprendre les représentations que les dirigeants de PME se font de la RSE, dans le but de cerner les différents enjeux et réalités qui guident leur engagement responsable. Pour cela, nous formulons la question de recherche suivante : comment les dirigeants de la PME camerounaise appréhendent-ils la notion de RSE et la mettent-ils en pratique ? Pour ce faire, nous présenterons d’abord le contexte théorique à travers l’analyse des déterminants de la perception de la RSE. Ensuite, nous préciserons notre démarche méthodologique. Enfin, nous exposerons et discuterons les résultats obtenus.

1. Les déterminants de la perception de la RSE par les PME : une analyse théorique

La RSE n’est pas un concept nouveau, même si elle cristallise une forte attention et fait l’objet de débats sur le plan conceptuel. Son appropriation ne fait pas l’unanimité et renvoie au flou conceptuel en termes de signification et de représentation (Acquier, Aggeri et Abrassart, 2004 ; Gond et Mullenbach-Servayre, 2004 ; Aggeri, Pezet, Abrassart et Acquier, 2005 ; Pesqueux, 2011). L’évolution du contenu de la RSE traduit la dynamique des mutations environnementales des affaires et la cognition managériale qui situent le dirigeant de la PME au coeur de son entreprise. L’appropriation de la RSE par les dirigeants de PME passe par la compréhension de leur cognition managériale et l’analyse des environnements interne et externe qui permettent d’éclairer leur mode de décision. Pour y parvenir, il semble intéressant de préciser la notion de RSE.

1.1. La RSE, une notion polysémique aux origines lointaines

Au regard de l’importance des travaux qui s’y rapportent, la RSE, de sa traduction anglaise de Corporate Social Responsability, constitue le champ de recherche dominant en gestion ces dernières décennies. De ces travaux, il ressort que la RSE est une notion multidimensionnelle en raison de l’ambiguïté qui existe entre les conceptions juridique, philosophique et morale. Chaque auteur l’appréhende en fonction de ses convictions ; de sa culture et de son territoire d’étude. C’est à partir des travaux de Bowen (1953) que la RSE commence à émerger dans la littérature. Il aborde, en effet, la RSE comme une obligation pour les chefs d’entreprises de mettre en oeuvre des stratégies, de prendre des décisions et de garantir des pratiques qui soient compatibles avec les objectifs et les valeurs de la communauté en général. À la suite des travaux de Bowen, la RSE a connu un début de formalisation avec les travaux d’Ackerman (1975) et Carroll (1979). Le premier rappelle la nécessité pour une entreprise de produire des biens et des services utiles à la société tout en gardant son objectif de maximisation du profit ; le second a développé la typologie des quatre responsabilités.

La définition de la RSE est influencée par les approches juridique, institutionnelle et socioéconomique, voire culturelle. La complexité de sa conceptualisation tient à l’importance des trois concepts suivants : l’entreprise, la responsabilité et le social/sociétal. L’entreprise se conçoit non pas sur les fondements de la théorie économique classique, mais sur sa finalité qui ne la réduit pas à la seule création de richesses. La responsabilité[4] implique la dimension morale et éthique qui place l’organisation et l’homme au coeur des conséquences de ses activités économiques. Elle renvoie également au regard de la société sur les activités de l’entreprise et sur les respects des lois et règlements. Le terme social/sociétal[5] traduit la prise en compte de toutes les parties prenantes qui composent la société. La conceptualisation de la RSE est en construction permanente tant sur le plan théorique que managérial. Dans cette perspective, Gond et Mullenbach-Servayre (2004) ont identifié trois théories : la théorie des parties prenantes et la théorie contractualiste permettant de construire la RSE ; la théorie néo-institutionnelle permettant de comprendre ses principes. À ce triptyque théorique, d’autres approches théoriques ont été développées, notamment la théorie des compétences, qui regroupe les approches évolutionnistes, cognitives et postmodernes, et la théorie de la régulation, qui recouvre les approches politiques.

De ce qui précède, nous convenons avec Gond (2006) de la difficulté à adopter une approche plurielle de la RSE en raison de l’ambiguïté sémantique qu’elle recouvre. Au total, plusieurs recherches et réflexions ont eu pour objectifs de conceptualiser la RSE et de fournir aux dirigeants des outils et des modèles pour son opérationnalisation et l’évaluation de son impact (Carroll, 1979 ; Wood, 1991 ; Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007 ; CIDD[6], 2005 ; ISO 26000, 2010, etc.). Selon Capron et Quairel-Lanoizelée (2004), la RSE s’est développée et a évolué au fil des années pour occuper aujourd’hui une place de choix dans la stratégie d’entreprise. Une étude précise à cet effet que plusieurs définitions de la notion de RSE se sont succédé par sédimentation, l’une complétant l’autre, et développant un consensus sur l’idée que la RSE réfère aux obligations d’une firme envers la société ou plus spécifiquement envers les parties prenantes de cette firme. Ces dernières sont les personnes ou les groupes qui peuvent être influencés par la société à cause des intérêts qu’ils en tirent (Freeman, Harrison, Wicks, Parmar et De Colle, 2010). Compte tenu de l’objet d’étude, nous définissons la RSE comme un mode de régulation des comportements des acteurs qui développent des intérêts mutuels de façon contingente et indispensable. Une PME responsable serait celle qui contribue volontairement ou involontairement au bien-être de son personnel et de la société.

1.2. La cognition managériale des dirigeants de PME à l’égard de la RSE

Le comportement organisationnel constitue un préalable important à la mise en oeuvre de la RSE dans les PME. Toutefois, il ne représente pas la priorité de l’engagement social en raison du rôle prépondérant du dirigeant qui est lié à ses valeurs personnelles et évidemment à sa cognition managériale (Schneider et Angelmar, 1993 ; Laroche, 1995 ; Lauriol, 1998 ; Vidaillet, 2003 ; Cossette, 2004). À cet effet, Paradas (2006) souligne que le dirigeant- propriétaire[7] de la PME est souvent le seul maître à bord, à qui appartient l’entière responsabilité des choix stratégiques en matière d’adoption des bonnes pratiques RSE. La prise de conscience des dirigeants de PME sur les nouveaux enjeux liés à leurs activités les amène à concilier les logiques sociales, culturelles, environnementales et économiques. La problématique de la posture managériale à adopter à l’égard de la RSE revêt une importance capitale. C’est dans cette optique que Wood (1991) relève que la responsabilité de l’entreprise n’est pas réalisée par les acteurs organisationnels abstraits, mais bien par des acteurs humains.

Dans le processus managérial de la PME, le comportement cognitif s’apparente à un état d’esprit qui permet au dirigeant de construire la réalité à travers ses connaissances, et d’expliquer, comme le précise Gendre-Aegerder (2008), ses décisions stratégiques. Dans cette optique, la PME est le reflet du fonctionnement cognitif de son dirigeant-leader. La RSE n’est pas à considérer comme une alternative aux activités principales de l’entreprise, mais comme un outil de gestion à la disposition des dirigeants. C’est-à-dire un outil sur lequel le dirigeant peut se fonder pour développer sa stratégie, motiver et assurer une bonne qualité de vie à son personnel dans le but d’atteindre ses différents ordres d’objectifs notamment personnels, économiques, sociaux, environnementaux et culturels. De façon prosaïque, cet outil vise, in fine, l’amélioration de la performance globale et la recherche d’un avantage concurrentiel comme précisé fort opportunément par Berger-Douce (2015).

L’ancrage managérial, fortement influencé par la culture et le style de management, est important pour comprendre la RSE, car celui-ci permet de donner un sens à cette dernière. Selon Thévenet (2014, p. 46), la culture d’entreprise est « un ensemble de références partagées dans l’organisation, construites tout au long de son histoire en réponse aux problèmes rencontrés dans l’entreprise ». Ainsi, les caractéristiques personnelles des dirigeants de PME qui s’écartent des principes de la théorie néoclassique sont au coeur de leur mode de gestion et font émerger trois variables : Homo oeconomicus, où le dirigeant est essentiellement focalisé sur la recherche des résultats et profits ; Homo politicus, qui implique que le dirigeant veuille garder le pouvoir de son entreprise et le Pater familias, qui exprime la volonté du dirigeant de bâtir une dynastie. L’approche heuristique est développée par les dirigeants de PME pour asseoir les bonnes pratiques RSE parce que la gestion des flux d’informations dépend de leur valeur. Les valeurs sont caractérisées par les normes sociétales, les normes économiques, la formation, l’origine sociale du dirigeant, le processus familial d’apprentissage, les expériences professionnelles et l’activité de l’entreprise. Dans ces conditions, nous estimons que le fondement de la RSE n’indique pas la taille de l’entreprise pour son déploiement. La PME constitue une entreprise au sens idéal du terme en dépit de son style de management et d’organisation qui diffère de la grande entreprise. L’éthique, qui apparaît comme l’une des variables clés de la RSE, ne repose pas par exemple, sur la taille de l’entreprise. Néanmoins, l’éthique repose selon Courrent (2003) sur le pouvoir détenu par le dirigeant sur ses parties prenantes. Cet auteur considère l’éthique comme une justice distributive qui se caractérise par un rapport à autrui, où les dirigeants doivent se représenter l’intérêt des autres partenaires. La résilience de l’éthique s’appuie sur la valeur du dirigeant qui est placé au centre des préoccupations de l’entreprise, comme le précisent Leroux et Van de Portal (2011). Il s’ensuit alors dans les PME que le dirigeant détient tous les pouvoirs décisionnels (Sangué Fotso, 2011) pour incarner une certaine éthique.

Du point de vue managérial, Saulquin et Schier (2005) identifient deux comportements de dirigeants, selon qu’ils considèrent la RSE comme une opportunité ou comme une contrainte. La RSE, perçue comme une contrainte, est d’ordre procédural et instrumental et constitue un inducteur de coût qu’il faut réduire pour atteindre les objectifs de performance. La RSE, en tant qu’opportunité, participe de la représentation de l’ensemble des parties prenantes et implique un instrument d’amélioration de la cohérence organisationnelle. De plus, elle développe une dynamique de groupe. Elle concilie les différents ordres d’intérêts qui traduisent les stratégies d’engagement sociétal développées par Berger-Douce (2007) sous forme de matrice, dont l’objectif est de faire évoluer les schémas mentaux des dirigeants entrepreneurs. L’adoption d’une démarche RSE, comme le notent Frémeaux et Noël (2014), servirait les intérêts économiques de l’entreprise en répondant à ses besoins de légitimation interne et externe. Ce qui correspond à une logique utilitariste de la RSE (Porter et Kramer, 2011 ; Biwolé Fouda, 2014).

La proximité managériale, qui est l’une des techniques de gestion des PME, conduit à développer le dialogue entre les différents acteurs organisationnels impliqués et permet de repérer les attentes, de réduire les conflits et de déployer des dispositifs en phase avec la RSE. Or, le frein à l’émergence de la RSE dans les PME reste l’insuffisance des ressources financières (Lapointe et Gendron, 2005 ; Berger-Douce, 2008). Les actions en faveur de la RSE sont, comme l’indique Berger-Douce (2008), ponctuelles et ne relèvent pas d’une démarche structurée ; elles ne s’appuient pas non plus sur la réalité économique de la PME, encore moins sur sa raison d’être (Bonneveux, 2010). Elles requièrent une approche spécifique adaptée à la nature informelle des PME (Oueghlissi, 2013).

Selon la sensibilité du dirigeant de la PME à la RSE, nous pouvons identifier avec Carroll (1979), trois facteurs susceptibles d’expliquer l’engagement social : une posture de refus caractérisée par l’indifférence absolue et qui appelle à la responsabilité de l’État ; la contestation, qui traduit le caractère inadapté, inapproprié et contraignant des dispositifs règlementaires ; l’anticipation et l’adaptation comme vectrices de réalisation des actions responsables. Fort de ce qui précède, il est probable que les dirigeants adoptent une attitude vague à l’égard de la RSE en fonction de leurs logiques d’action qui n’intègrent pas une démarche structurée en faveur des parties prenantes. Soulignons à cet effet que les pratiques responsables sont divergentes par rapport aux grandes entreprises. Les PME mettent en oeuvre des pratiques responsables, soit pour répondre aux attentes nouvelles de la société, soit pour répondre aux contraintes, notamment celles imposées par les grandes entreprises qui intègrent la RSE dans leurs politiques d’achat et/ou de sous-traitance (Brodhag, 2012). La spécificité des formes organisationnelles de la PME (Julien et Marchesnay, 1996 ; Torrès, 1999) amène à s’intéresser à l’étude de son environnement interne et externe pour cerner les enjeux de la RSE.

La PME représente une forme organisationnelle spécifique bien ancrée dans la quasi-totalité des économies du monde. Il est fort probable que leur poids économique puisse imposer leur mode de fonctionnement et faire entendre leur voix. C’est ainsi que leur engagement social peut induire in fine la performance. Dans l’approche managériale, la performance reste un concept flou et confus dans l’esprit des dirigeants de PME. Ainsi, la performance peut être appréhendée comme l’atteinte de l’équilibre économique, social, politique et environnemental à l’égard de l’ensemble des parties prenantes. Cette vision de la performance s’inscrit en droite ligne des travaux menés à ce sujet en Afrique (Sogbossi Bocco, 2010 ; Ondoua Biwolé, 2012 ; Wong et Yaméogo, 2011 ; Lado, Ambassa, Ngnodjom et Nkoulou, 2012 ; Pigé et Sangué Fotso, 2014 ; Pigé et Bigou-Laré, 2015).

Le cadre théorique commun pouvant mieux expliquer la RSE et la performance nous semble être la théorie des parties prenantes. La performance s’inscrit dans les missions organisationnelles qui dépendent des valeurs managériales des dirigeants. La prise en compte de l’approche parties prenantes comme le relève Pigé (2015), est d’accepter que la performance de l’entreprise ne puisse pas être mesurée par un indicateur unique, mais que cette performance soit un concept multidimensionnel qui prenne en compte la performance de l’entreprise du point de vue de chaque partie prenante.

1.3. Les théories explicatives de la perception de la RSE par les dirigeants de PME

La gestion de la PME s’entend comme une combinaison optimale de ressources mobilisées pour l’atteinte des objectifs. Ces ressources se trouvent simultanément dans les environnements interne et externe à la PME. Pour cerner le fonctionnement de la PME, qui repose sur une personne clé qu’est le dirigeant (Paradas, 2007 ; Marchesnay, 2004 ; Torrès, 2004), il semble important d’analyser son environnement à travers la théorie des ressources, la théorie des parties prenantes et la théorie néo-institutionnelle.

1.3.1. La théorie des ressources comme facteur de compréhension de l’environnement interne

L’idée est de montrer que la RSE ne peut pas se réduire à une approche instrumentale permettant de faire face aux obstacles relatifs à la motivation et à la conviction du personnel, à la taille, à la structure centralisée, à la disponibilité des ressources matérielles et financières, mais qu’elle doit constituer un pan de la stratégie organisationnelle. La RSE, en tant que modalité de stratégie organisationnelle à la disposition des dirigeants, est dépendante de l’organisation. Celle-ci peut être une force ou une faiblesse. La PME évolue dans le temps, ce qui signifie qu’elle constitue, comme l’avait précisé Penrose (1959), une collection de ressources, dont la croissance résulte de l’accumulation des moyens idiosyncrasiques. Cette vision de l’entreprise issue des travaux de Penrose démontre que la PME se situe dans une approche apprenante en matière de RSE et relève de la cognition managériale qui modifie sa représentation.

Les dirigeants s’appuient sur des ressources pour développer leur stratégie. Ce qui signifie, d’après Pfeffer et Salancik (1978), que l’entreprise dépend de son environnement et que sa pérennité est fonction de son aptitude à gérer les besoins des groupes, dont les ressources et le soutien lui sont indispensables. Dans cette optique, l’approche par les ressources montre que la RSE est une ressource stratégique que les PME doivent gérer et valoriser pour réduire les conflits d’intérêts. Capron et Quairel-Lanoizelée (2007) estiment, à cet effet, que les entreprises s’engagent dans les actions RSE par contrainte afin de répondre aux pressions des pourvoyeurs de ressources. La relation entre le dirigeant et les autres parties prenantes s’analyse en termes d’apport de ressources. La mise en oeuvre d’un processus RSE suppose une cohérence entre la représentation de l’entrepreneur, les ressources, les outils, dont il dispose et les pressions de l’environnement (Quairel-Lanoizelée et Auberger, 2004).

La théorie des ressources se fonde plus sur une conception utilitariste de la pratique de la RSE que sur une approche éthique, et permet d’analyser le rôle et la place du dirigeant. Ainsi, la RSE dans les PME est réactive et adaptative. La vulnérabilité de cette catégorie d’entreprises, en termes de ressources, ne favorise pas une démarche proactive de la RSE. Les ressources sont essentiellement orientées vers le dirigeant qui initie les actions RSE et conditionnent, comme l’indique Koenig (1996), le cadre de référence de l’entreprise qui encadre son fonctionnement.

1.3.2. L’approche par les parties prenantes et la théorie néo-institutionnelle comme prisme de lecture de la RSE à travers l’environnement externe

L’approche contractuelle de la RSE s’inscrit comme une réponse à un nouvel ordre managérial relevant d’une problématique ancienne (Bowen, 1953 ; Preston et Post, 1975 ; Carroll, 1979). Il ressort de la littérature, notamment des travaux de Freeman et Freeman et al. (1984, 2010), que l’engagement des PME dans le développement durable et la RSE, s’envisage à partir de la théorie des parties prenantes (désormais TPP) qui permet de décrire, d’évaluer et de gérer les responsabilités de l’entreprise. Son apport réside dans le fait qu’elle induit une vision interactionniste de l’entreprise en mettant en relation celle-ci et ses différents partenaires. L’influence des parties prenantes (désormais PP) dépend, d’une part, de la perception des dirigeants et de la hiérarchie qu’ils établissent entre les différentes attentes, surtout lorsque celles-ci sont contradictoires (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007), et, d’autre part de leur capacité à optimiser l’exploitation des ressources. La problématique de la rareté des ressources et les incitations à court terme conduisent les dirigeants à adopter un comportement responsable ou opportuniste vis-à-vis des parties prenantes en fonction des objectifs poursuivis, généralement la maximisation du profit. La recherche immodérée du profit entraîne souvent l’adoption du comportement opportuniste envers les PP. Ce qui amène Harrison, Bosse et Philips (2010), à préciser que l’orientation PP peut être interprétée comme une ressource rare sur laquelle il faut améliorer la qualité d’écoute et apporter des réponses aux attentes de l’ensemble des PP.

L’approche néo-institutionnelle sociologique postule que la RSE est un moyen de légitimer les activités de l’entreprise dans son environnement. Ceci signifie qu’on ne peut comprendre la PME que si l’on admet le fait qu’elle est un construit psychologique de son dirigeant et qu’elle est construite par son environnement social. Les priorités de la PME semblent tournées vers les relations entre l’entreprise et ses environnements humains internes et externes en vue de concilier les différents intérêts tout en préservant l’objectif de création de richesses et d’amélioration de la société (Pluchart, 2011). Nous estimons que la RSE dans les PME est fortement influencée par la qualité des relations que le dirigeant-propriétaire entretient avec ses partenaires et collaborateurs.

Globalement, il est admis dans la littérature que la TPP qui considère l’entreprise comme un noeud de contrats (Preston et Post, 1975 ; Freeman, 1984 ; Freeman et al., 2010 ; Carroll, 1979 ; Férone, Debas, Genin et Hervier, 2004 ; Gond et Mullenbach-Servayre, 2004 ; Harrison, Bosse et Philips, 2010) entrevoit la RSE comme la résultante d’une pression institutionnelle et souligne l’importance de l’environnement institutionnel dans la compréhension du comportement des acteurs. L’encastrement de la PME dans une communauté d’appartenance démontre que la RSE est liée à l’existence d’un contrat tacite entre l’entreprise et la société (Gond et Mullenbach-Servayre, 2004). L’approche actuelle de la RSE selon Freeman et al. (2010) consiste à intégrer l’éthique comme variable importante de la relation entre l’entreprise, les parties prenantes et la société. La TPP et ses différents développements (Freeman et al., 2010 ; Harrison, Bosse et Philips, 2010), tendent davantage vers une justification utilitariste de l’engament social des entreprises. Subséquemment, la pratique de la RSE est guidée par des comportements éthiques à l’endroit des PP qui favorisent la relation du type « gagnant-gagnant ».

Le contrepoids du passivisme des PP dans les PME reste les institutions. La stabilité institutionnelle qui caractérise l’environnement des PME dans les pays en développement a un impact direct ou indirect sur l’adoption des pratiques RSE. Toute entreprise, quelle que soit sa taille, a vocation à se légitimer dans son environnement. La théorie néo-institutionnelle (désormais TNI) est pertinente pour analyser les facteurs explicatifs externes de la perception qu’ont les dirigeants de la PME sur la RSE. Ben Boubaker, Gherib, Spence et Ondoua Biwolé (2009) montrent que la TNI suivant laquelle l’entreprise est encastrée dans un milieu social est appropriée pour analyser l’engagement social des PME du Sud lancées sur la voie du développement durable. Le recours à la TNI a été également recommandé par DiMaggio et Powell (1983), Wood (1991), Suchman (1995), Scott (2001). La TNI s’appuie sur l’environnement institutionnel et l’arrangement institutionnel au sens de North (1990) à travers deux variantes que sont la normativité et la légitimité. Il s’agit d’apporter des réponses institutionnelles aux contraintes imposées par l’environnement. S’il est vrai que Paillot (2006) a souligné la nécessité d’intégrer la normativité dans la compréhension de la RSE, il n’en demeure pas moins vrai que l’analyse positive de la RSE, qui ne consiste pas à faire un inventaire empirique des pratiques, mérite d’être mentionnée. Cette dimension positive renvoie au caractère substantiel de la RSE, complémentaire au volet procédural. À côté des institutions normatives développées par Quairel-Lanoizelée (2004) ou Bensebaa et Béji-Bécheur (2005) pour cerner les pratiques RSE, il convient d’intégrer les institutions positives, qui recouvrent les institutions traditionnelles ayant une influence sur l’organisation et le fonctionnement des PME. Les pays en développement sont caractérisés par la faiblesse des institutions (Henry et Carcas, 2008 ; Idemudia, 2011 ; Biwolé Fouda, 2014), ce qui donne une autre vision de l’analyse de la RSE dans les PME. Cette analyse se structure autour des enjeux perçus en termes d’intérêt à travers les arrangements institutionnels, la contrainte organisationnelle et la régulation. La RSE s’inscrit alors dans une logique de rapport de force entre le dirigeant-propriétaire, principal porteur de la vision de la PME, et la société. C’est à cet instant que la valeur éthique est fondamentale pour circonscrire la RSE. Les modèles intégratifs développés par Champion et Gendron (2003), Maignan et Ferrell (2004) sont impératifs pour appréhender la RSE dans une perspective institutionnelle. Les PME s’approprient certaines lois et règles parce qu’elles correspondent aux attentes de la société (Zucker, 1991).

2. Méthodologie de la recherche

L’objectif de cette recherche est d’appréhender la perception que les dirigeants de PME ont de la RSE, afin d’en saisir les enjeux et les réalités pour les PME camerounaises. Nous mettons l’accent sur le point de vue du principal acteur organisationnel de la PME qu’est le dirigeant, de manière à identifier les enjeux relatifs à son engagement social. Cette étude, de type exploratoire, s’inscrit dans une approche qualitative inductive (Spence, 2007). En raison de la spécificité et de l’émergence de la question de recherche traitée, et surtout de la rareté des informations dans ce domaine dans les pays en développement comme le Cameroun, nous avons privilégié l’étude de cas (Hlady-Rispal, 2002). Les cas qui constituent l’unité d’analyse sont représentés par les dirigeants de PME. Eisenhardt (1989) et Yin (2003) préconisent que dans le processus d’une telle étude qualitative, le chercheur peut procéder par des observations directes, des entretiens semi-directifs à l’aide de guides d’entretiens souples et thématiques ou des études documentaires. Notre position épistémologique s’appuie sur le paradigme interprétativiste (Girod-Séville et Perret, 1999) et notre processus de raisonnement est de type abductif.

La sélection des dirigeants a été faite à partir de la définition officielle de PME/PMI au Cameroun qui découle de la loi n° 2015/010 du 16 juillet 2015 portant promotion des petites et moyennes entreprises (PME). Les critères permettant de définir la PME au Cameroun portent uniquement sur l’effectif du personnel et le chiffre d’affaires. On note d’après cette loi, trois catégories de petites et moyennes entreprises (PME) à savoir : la très petite entreprise (TPE), qui emploie au plus cinq personnes avec un chiffre d’affaires n’excédant pas 15 000 000 FCFA[8] ; la petite entreprise (PE), dont l’effectif est compris entre six et vingt personnes et, dont le chiffre d’affaires hors taxes est compris entre 15 et 250 millions de FCFA ; la moyenne entreprise (ME) est celle qui emploie entre 21 et 100 personnes et, dont le chiffre d’affaires hors taxes est compris entre 250 millions de FCFA et 3 milliards de FCFA. Globalement, toute entreprise est considérée comme PME au Cameroun, si elle emploie au plus 100 personnes et que son chiffre d’affaires annuel hors taxes n’excède pas 3 milliards de FCFA.

Notre échantillon est constitué de vingt-deux cas, dont vingt et un ME et un responsable de la chambre de commerce répartis dans trois villes représentatives de l’économie camerounaise à savoir : Douala (capitale économique) avec dix PME ; Yaoundé (capitale politique) avec huit PME et Mbalmayo (ville située à 45 kilomètres de Yaoundé) avec trois PME. L’hétérogénéité des secteurs d’activité a été retenue afin de favoriser la richesse des données collectées. Les entreprises ont été choisies sur la base de la disponibilité des dirigeants à participer à l’enquête, et sur la variété et la représentativité que revêtent ces PME à pouvoir répondre à la question de recherche, et non pour des raisons de généralisation statistique. De notre connaissance de la structure économique du Cameroun, les entreprises interrogées reflètent mieux la diversité managériale des PME, en dépit de l’absence de statistiques pouvant confirmer notre affirmation. La principale difficulté est la réticence des dirigeants, en raison de la crainte de divulgation des informations au fisc. La synthèse de l’échantillon est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

Synthèse échantillon des dirigeants de PME interrogés

Synthèse échantillon des dirigeants de PME interrogés

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Les données ont été collectées à partir des entretiens menés auprès des dirigeants de PME. Ces entretiens, de type semi-directif, ont été réalisés en face-à-face avec un guide d’entretien permettant de cerner la perception que les dirigeants ont de la RSE, les enjeux de la pratique de la RSE pour une PME, le rôle des institutions, l’influence sur les pratiques managériales quotidiennes. Le dictaphone a été utilisé pour enregistrer les entretiens. Les entretiens ont été effectués du 28 janvier 2015 au 20 février 2016 pour une durée moyenne de 49 minutes. Les entretiens ont porté sur les cinq principales rubriques prédéfinies selon les recommandations de Miles et Huberman (2003) qui notent que l’intérêt de centrer les entretiens est d’éliminer une forte dispersion des réponses et la collecte de nombreuses informations superflues. Le chercheur adopte une attitude neutre, de compréhension et d’empathie (Grawitz, 1996). Une telle approche de collecte permet de relancer le répondant quand cela est utile, l’objectif étant de le sortir de son dernier retranchement. L’exploitation des documents a permis de rassembler des informations pertinentes sur le baromètre de l’adoption des pratiques RSE par les PME. Nous avons consulté les rapports d’étude réalisés par le patronat camerounais et la chambre de commerce.

Les entretiens ont été intégralement retranscrits pour chaque cas observé, produisant 44 pages de documents écrits. La méthode de traitement de données retenue est l’analyse du contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2012), qui permet d’identifier les différents déterminants de la perception RSE en termes d’histoire, de culture, de motivations, de besoins, de valeur, d’opportunité des dirigeants, etc. Cette technique nous semble appropriée en ce sens que la nature des données collectées auprès des dirigeants relève du discours. De plus, nous poursuivons l’objectif de compréhension des facteurs susceptibles d’expliquer la perception de la RSE. Les thématiques de départ ont été enrichies au fur et à mesure que nous progressions dans les entretiens avec les dirigeants qui apportaient des éléments nouveaux. Nous avons fait l’inventaire des informations collectées qui font état de connaissances partielles, mais contextualisées, et qui intègrent les préoccupations des acteurs.

3. Résultats de l’enquête auprès des dirigeants

La pratique de la RSE dans la PME camerounaise est tributaire d’actes de profit et de paternalisme, et constitue un outil de fidélisation des employés. Ainsi, l’engagement responsable trouve sa justification dans les valeurs, les croyances et la conviction des dirigeants. L’esprit de « partage avec les autres » reste le fil conducteur de la pratique RSE dans les PME camerounaises. Globalement, les résultats peuvent être regroupés sous thématiques, décrites ci-après.

3.1. L’engagement social des PME ne poursuit pas exclusivement des objectifs lucratifs

Ce résultat souligne l’importance qu’accordent les dirigeants de PME au bien-être du personnel et de la société en général, mais aussi d’une prise de conscience du rôle majeur des hommes dans l’entreprise. Ce résultat rejoint celui d’Ondoua Biwolé (2012) qui martèle la nécessité pour les PME de s’arrimer à la problématique du développement durable afin d’assurer leur pérennité sur le marché. Les dirigeants des PME observées développent un management qui n’est pas uniquement orienté vers la maximisation du profit. Ces auteurs identifient quatre orientations principales chez les dirigeants-propriétaires, à savoir : a profit maximisation priority ; a subsistence priority ; an enlightened self interest ; a social priority. Ceci est cohérent avec les propos de certains dirigeants :

  • (E19) « Il faut déjà savoir qu’une entreprise qui fonctionne normalement devrait, d’une manière ou d’une autre, participer quand même à la vie sociale » ;

  • (E1) « C’est une opportunité pour l’entreprise. Parce qu’elle nous apprend une autre forme de management et une entreprise ne doit pas seulement penser à faire des bénéfices et oublier qu’elle a une responsabilité vis-à-vis de la société » ;

  • (E2) « … Parce qu’on sort du concept profit pour le profit et on attaque l’aspect humaniste de l’entreprise. Car la finalité c’est d’abord l’homme… ».

S’il est admis par certains dirigeants que le profit reste non seulement le levier de développement de l’entreprise, mais aussi d’atteinte des objectifs environnementaux et sociaux, il devient un objectif intermédiaire à atteindre pour réaliser les projets sociaux. Certains dirigeants martèlent que :

  • (E2) « Le souci d’argent peut-être mais, c’est un projet de vie et tout est prévu dans la stratégie de l’entreprise ». Une dirigeante, qui exerce dans la librairie, prône un commerce juste et une politique adéquate envers les populations ;

  • elle souligne que (E4) « […] réaliser des projets sociaux et environnementaux, ça dépend de l’entreprise. Mais pour une petite entreprise non. Parce que la rentabilité ne suit pas toujours ».

Ce point de vue est partagé par d’autres répondants (E3, E4, E6, E7, E13, E14, E18).

Les ressources humaines et les conditions de travail sont au centre des préoccupations de PME en termes de finalité organisationnelle (E7, E8, E9, E11, E12, E16, E17, E18 et E20).

« Nous mettons sur pied des programmes de formation au profit des collaborateurs, épanouissement intellectuel, paiement régulier des salaires, versement des allocations familiales, Sécurité sociale. »

La réalisation de cette finalité organisationnelle s’inscrit dans le registre de la vision que les dirigeants de PME ont de leur entreprise. Cette vision est caractérisée par la croyance, la conviction et la valeur qu’incarne le dirigeant. Ce résultat s’éloigne conceptuellement de celui de Ferauge (2011) dans le cas des PME wallonnes en Belgique.

Par ailleurs, ce résultat pertinent met en évidence les objectifs sociaux et environnementaux qui constituent les préoccupations des dirigeants de PME camerounaises sur lesquelles les communautés académiques et professionnelles accordent de plus en plus un intérêt particulier. Le rôle clé des objectifs sociaux est confirmé ainsi que la nécessité de réduire les externalités négatives. Ce constat est cohérent avec les conclusions de Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016). La pratique de la RSE est donc principalement expliquée ici par l’implication sociale du dirigeant dans sa communauté et l’observation des conditions de travail adéquates, telle que l’ont également préconisée Lado et al. (2012). Pour cela, les dirigeants considèrent leur entreprise comme un lieu de socialisation avant d’être un lieu de profit. Nos résultats prouvent en fin de compte que la finalité de l’entreprise – portée par le dirigeant – est orientée vers le capital humain et trouve son fondement dans les valeurs personnelles du dirigeant.

3.2. La valeur managériale caractérisée par la cognition comme pivot de l’engagement responsable des dirigeants de PME

L’étendue des résultats contenus dans la littérature ne conduit pas à retenir de façon explicite et sans équivoque la valeur managériale du dirigeant de PME comme variable explicative de l’adoption de pratique RSE. Notre résultat permet de montrer que l’engagement responsable s’articule autour du construit managérial qui intègre les dimensions relatives à la valeur, aux croyances, à la discrétion managériale et aux convictions. La valeur managériale oriente le dirigeant dans le développement de son projet d’entreprise et s’appuie sur les valeurs éthiques et les valeurs substantielles. Concernant les valeurs éthiques, la spécificité managériale des PME accorde une marge discrétionnaire importante au dirigeant pour les mettre en oeuvre comme le précise Quinn (1997). Cette forte discrétion s’explique par l’appropriation de tous les pouvoirs et la détention du capital par un seul individu. La prise en compte du bien-être des parties prenantes par les dirigeants traduit les valeurs éthiques et intrinsèques de la gestion de l’entreprise. Elle participe alors de la légitimité des actions des dirigeants vis-à-vis des tiers. La représentation des valeurs managériales s’appréhende à travers ces propos :

  • (E22) « C’est le fait de prendre en compte les intérêts des salariés au sein de l’entreprise pour qu’ils se sentent bien moralement » ;

  • (E1) « Au niveau du personnel, il y a des primes que nous offrons, les récompenses individuelles pour ceux qui se démarquent, d’où le respect de l’éthique » ;

  • (E2) « La prise en compte des préoccupations des parties prenantes telles que les clients, les partenaires […] en développant des relations plus humaines » ;

  • (E11) « Nous accordons les permissions extranormes » ;

  • (E16) « J’essaie de mettre les employés à l’aise pour qu’ils soient capables de donner le meilleur d’eux-mêmes… C’est un partenariat gagnant-gagnant ».

Les valeurs éthiques présentent des limites relatives aux contraintes financières. Il n’est pas évident, dans un environnement économique en proie à des mutations profondes, caractérisé par une pression concurrentielle et la crise, de concilier l’éthique et la recherche effrénée du gain :

  • (E18) « En début d’année, on fait un chronogramme de travail étendu sur une période donnée et une fois terminé, on applique un autre, car le chiffre d’affaires peut nous amener à changer de chronogramme de travail […] il pourrait arriver qu’on ne paie pas le personnel à la date prévue, car l’argent n’est pas entré » ;

  • (E3) « Il faut que les gens dépassent le moi pour penser à l’intérêt général… ».

Le comportement des salariés peut influencer négativement le caractère responsable et éthique des dirigeants. De ce fait (E12) note : « Ce qui pourrait m’empêcher d’être responsable, il y a le comportement des employés qui font du n’importe quoi comme le détournement ».

Pour ce qui est des valeurs substantielles qui portent sur la finalité organisationnelle, elles ne reposent pas sur les procédures définies dans les dispositifs institutionnels, juridiques et sur les contrats. Elles renvoient à l’approche instrumentale de la gestion des parties prenantes en vue d’atteindre les objectifs organisationnels. La contribution des parties prenantes à la réalisation de la finalité poursuivie par l’entreprise, dont l’éthique constitue le fil d’Ariane, est questionnée :

  • (E6) « Je motive le personnel au-delà des heures de travail… » ;

  • (E8) « Ce n’est pas une question de conviction ni d’éthique, c’est naturel. C’est la moindre des choses. Après, on intègre aussi que seul on ne peut rien ; c’est pourquoi il faut penser intégrer les autres ».

Dans de nombreux cas, le projet social est directement en rapport avec la finalité de l’entreprise : lutte contre les disparités sociales, soutien des communautés locales et associations oeuvrant dans le social, lutte contre la pauvreté, traitement décent des employés, amélioration de l’environnement de l’entreprise (E4, E5, E10, E11, E12, E17, E20, E22). Toutefois, un dirigeant interrogé (E3) mentionne que « ça demeure un luxe et un leurre pour les PME, car leur souci, c’est de grandir. Et la RSE serait pour elles un frein dans la mesure où c’est une source de dépenses supplémentaires ».

La réalisation de l’objet économique passe indubitablement par la réalisation des valeurs éthiques et substantielles, qui poursuit d’autres finalités que le seul profit, notamment social, environnemental, culturel. Cet ensemble forge la valeur du dirigeant qui caractérise sa croyance et sa conviction. Globalement, nos résultats rejoignent ceux de Bon et Taccola-Lapierre (2015) qui soulignent dans une étude menée auprès des dirigeants de PME ayant reçu un prix en RSE en France que la finalité trouve son origine dans les valeurs portées par les entrepreneurs et le sens qu’ils veulent donner à leur projet ; Gendre-Aegerter (2008) relève que les dirigeants de PME suisses mettent en avant la vision morale et le sentiment de responsabilité en général. Par ailleurs, ce résultat montre la nécessité de réintroduire l’éthique dans les projets d’entreprise, afin de légitimer les différentes pratiques auprès des parties prenantes. Enfin, il est à noter que la valeur managériale repose sur un pilier essentiel dans la PME, qui est la « parole donnée ». En l’absence d’une structure formelle et d’un faible système d’information, la parole constitue un gage de confiance et de resserrement des liens professionnels.

3.3. La culture et la tradition caractérisées par le sens du partage et du vivre ensemble comme facteur de compréhension de la pratique RSE dans les PME

Le temps en termes de passé et d’avenir est important pour situer les enjeux de la RSE dans les PME. Il s’agit fondamentalement de cerner les contours de la tradition et de la modernité, et de situer les enjeux de la RSE dans les PME. La philosophe Arendt (1961) relevait que « sans tradition – qui sélectionne et qui nomme, qui transmet et qui préserve, qui indique où sont les trésors et quelle est leur valeur – il semble qu’il n’y ait pas de continuité consciente du temps et que, par conséquent, du point de vue humain, il n’y ait ni passé, ni futur, mais simplement un sempiternel changement du monde avec le cycle biologique des créatures qui y vivent ». Le management des PME camerounaises est ancré dans les us et coutumes du principal dirigeant, qui intègre les préceptes de sa tradition dans ses prises de décision. Le sens du « partage » et du « vivre ensemble » deviennent des modèles de gestion. Ces deux éléments façonnent la perception de la RSE des dirigeants-propriétaires. Les questions de culture traditionnelle affectent le domaine financier sans toutefois nécessairement rechercher l’efficience économique. Les entreprises s’appuient sur les dons pour justifier leur engagement responsable :

  • (E1) « Faire des dons est un acte responsable, c’est-à-dire, quand il y en a pour un il y en a pour deux » ;

  • (E12) « Faire des dons aux démunis ou aux nécessiteux est un comportement responsable, car le fait de donner aux nécessiteux entraîne la responsabilité et le sens du partage ». La solidarité sociale et financière est un critère déterminant de la RSE en PME en ce sens qu’elle permet de penser à ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de se démarquer de la société ;

  • (E21) « Accompagner un groupe associatif dans une action sociale pour le bien-être d’une communauté est une bonne chose » ;

  • (E20) « Il peut également arriver qu’on aille au-delà des règles pour le bien-être de la société et celui du personnel ».

S’intéresser aux plus démunis relève d’un acte de fierté personnelle :

  • (E10) « La fierté de partager avec ceux qui souffrent ».

Ces perceptions se rapprochent des préoccupations des dirigeants de PME tunisiennes engagées dans la RSE (Ben Hassine et Ghozzi-Nékhili, 2013). La tradition, ensemble de normes, de coutumes et de lois, loin d’être un obstacle au développement de la PME, constitue une dynamique qui s’adapte progressivement aux exigences organisationnelles. On note en fin de compte que la RSE permet de réduire la distance entre la PME, sa communauté. Ceci s’observe, comme le relève Lado et al. (2012), par la mesure de la contribution de l’entreprise à sa communauté et au développement de la société.

4. Discussion

Globalement, nos résultats, contrairement à ceux largement présents dans la littérature, sont cohérents avec les postulats du modèle économique classique, car les dirigeants de PME souhaitent maximiser leur fonction d’utilité personnelle et s’appuient sur la RSE comme levier de maximisation de cette fonction et non comme une finalité qui s’oriente vers la recherche de l’intérêt général de toutes les parties prenantes. Ces résultats pertinents, constituent un apport majeur à la « reconceptualisation » de la RSE qui se conçoit en termes de finalité externe, c’est-à-dire, de transferts vis-à-vis de la communauté. L’État qui pouvait jouer le rôle de régulateur est silencieux et ne développe pas de mécanismes institutionnels visant à accompagner les PME qui s’engagent sur la voie de la RSE. Toutefois, les résultats montrent que l’équilibre peut être atteint en combinant les domaines économique, social et environnemental, tout en privilégiant la proximité. Cette conclusion est également observée dans l’étude de Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016). Singulièrement, il convient de souligner que la perception de la RSE des dirigeants pour l’une des dimensions sociale ou environnementale dépend du secteur d’activité. Par exemple, les dirigeants qui exercent dans les activités de service et de commerce général définissent la RSE en termes de qualité des rapports entretenus avec les employés.

La quasi-totalité des répondants admettent que la démarche RSE n’est pas formalisée dans leur entreprise, ce qui traduit une faible familiarisation avec la RSE telle que relevée par Ben Hassine et Ghozzi-Nékhili (2013) ; Labaronne et Gana-Oueslati (2011) ; Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016) ; elle relève plutôt de la spontanéité et du naturel. L’absence de formalisation est due d’abord à la faible organisation des PME, ensuite à l’insuffisance d’informations relatives à l’importance de la RSE pour une entreprise. Ceci corrobore le point de vue du responsable de la chambre de commerce : « Il y a beaucoup de travail de sensibilisation et de formation à faire. Si possible, qu’il y ait une incitation fiscale en termes de réduction pour ceux qui mettent en oeuvre un certain nombre de mesures pour la RSE » (E14). Si certains dirigeants admettent que la RSE permet de se démarquer sur le marché, il n’en demeure pas moins vrai que ceux-là n’ont pas une approche structurée. La plupart des dirigeants (E4, E5, E7, E9, E11, E13, E17, E22) reconnaissent que la RSE est plus une opportunité qu’une contrainte, et pourrait influencer la pérennité de l’entreprise comme le précise Ondoua Biwolé (2012). D’autres pensent le contraire et situent la contrainte beaucoup plus au niveau financier (E3, E6). Cet obstacle financier a été relevé par Turki (2003) ; Berger-Douce (2009) ; Gherib et M’hissen (2010). Contrairement aux résultats antérieurs en contexte camerounais (Moskolaï, Tsapi et Feudjo, 2016 ; Ondoua Biwolé, 2012), nos résultats révèlent que la RSE n’apparaît pas comme une finalité pour les dirigeants de PME camerounaises. Les pratiques RSE se résument en une démarche volontariste qui s’appuie sur les convictions personnelles du dirigeant à travers des actes philanthropiques telles la distribution des matériels et de la nourriture dans la communauté, la réalisation des investissements socioéconomiques dans les villages. Toutefois, chacun l’appréhende comme sa contribution personnelle à la société et non comme un acte d’intérêt général dénué de tous calculs opportunistes. La médiatisation des dons et des financements des projets sociaux en constitue une parfaite illustration. Contrairement aux PME du Nord, les actes RSE posés par les PME du Sud, notamment camerounaises, ne bénéficient pas de mesures incitatives de la part de l’État et des organisations de la société civile, et ne constituent pas une source d’avantage concurrentiel. Dans les pays du Nord, les démarches collectives suscitent un intérêt croissant de la part des institutions locales et sont régulièrement proposées aux PME pour les inciter à être davantage responsables, avec en prime l’attribution des prix RSE récompensant leur engagement responsable (Bon et Taccola-Lapierre, 2015 ; Bonneveux, 2010). Il apparaît aussi que, les PME du Nord adoptent des démarches RSE principalement dans des actions liées à leur coeur de métier. Ce qui n’est pas le cas pour les PME camerounaises qui, très souvent, sont motivées dans leurs démarches RSE par des actions n’ayant aucun lien avec leurs activités. Les stratégies RSE développées par les PME camerounaises s’inscrivent dans une logique utilitariste qui s’inspire de la culture du partage et de l’aide, avec un accent sur la dimension sociale. Le principal levier de la stratégie RSE est alors la contribution au développement de la communauté d’appartenance, dans une perspective de démarcation et d’amélioration de l’image de marque auprès des populations bénéficiaires.

Les actions sur le social et l’environnement ne constituent pas un objectif prioritaire de la part des dirigeants, mais un moyen d’atteindre leurs intérêts personnels et de bénéficier d’une marque de reconnaissance de la société. Les pratiques couramment observées sur le plan social portent sur le respect des obligations légales en matière d’emploi, notamment le paiement régulier des salaires et l’affiliation à la Sécurité sociale. On peut également relever la motivation des salariés, l’assistance des salariés en cas de malheur ou de bonheur, l’amélioration des conditions de travail. La faible implication des dirigeants de PME dans l’engagement du point de vue environnemental est liée à l’absence d’un cadre réglementaire contraignant. Néanmoins, et comme l’indiquent Wong et Yaméogo (2011), la RSE trouve sa justification dans la volonté de favoriser l’intérêt général en intégrant toutes les parties prenantes. La distribution des dons en nature, qui est une pratique récurrente de RSE dans les PME camerounaises, n’a pas la même signification que les dons en argent, parce que les dons en nature renforcent davantage les liens sociaux construits à partir de la relation économique. Cette vision est en harmonie avec les travaux de Mauss (1923) et Lévi-Strauss (1958), mais elle est à nuancer avec les conclusions de Wong et Yaméogo (2011), qui mettent l’accent sur les liens familiaux et l’ethnicité comme idéaux-types de fonctionnement des entreprises africaines. Dans cette optique, la légitimité managériale du dirigeant est renforcée par la légitimité sociale. Ce qui signifie implicitement que les actions menées en faveur de la famille ou du village du dirigeant ne sont pas à comptabiliser à l’actif de la RSE. Par ailleurs, la médiatisation des dons vient dénaturer son caractère symbolique pour rentrer dans une logique de marketing et de lobbyisme. La valeur managériale apparaît comme une source de motivation importante dans notre recherche en ce sens qu’elle permet de fédérer l’ensemble des parties prenantes autour d’objectifs organisationnels.

Nos résultats nous ont également amenés à conclure sur la difficulté à réaliser les attentes divergentes des parties prenantes, notamment les salariés. L’affiliation des employés à la Sécurité sociale dépend du rendement et de la fidélité que le dirigeant attend de ces derniers. Le respect de la loi résulte de l’intérêt que le paiement de l’allocation familiale et de la Sécurité sociale peut apporter au dirigeant. Ce qui explique alors que le respect des textes est conditionné par l’arbitrage entre les cotisations sociales et le rendement des salariés, traduisant, comme le relève justement Cadet (2014), que le rapport aux normes est un rapport inversé. Cette conclusion peut être expliquée par le niveau de motivation des salariés qui induit à son tour l’engagement responsable du dirigeant. La faiblesse des institutions, notamment l’État, est à l’origine de ce rapport inversé aux normes et qui accorde une marge discrétionnaire au dirigeant sur l’application stricte des lois. Le dirigeant face à cette situation choisit délibérément de respecter ou non les lois et règlements en fonction des opportunités et des contraintes qui s’imposent à son entreprise.

Le modèle de partie prenante développé n’est pas approprié dans le cadre des PME camerounaises. Nous avons constaté que les concepts de légitimité et de pouvoir avaient d’autres connotations. C’est pour cette raison que nous avons estimé que l’appropriation de la RSE reste un état d’esprit dans la PME contrairement à la grande entreprise. Il convient de relever que les résultats de Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016) ne permettent pas de comparer l’état des pratiques de la RSE dans la PME et la grande entreprise. La prise en compte des valeurs éthiques et le rôle des convictions managériales du dirigeant sont importants pour garantir la légitimité des parties prenantes. Ainsi, les dirigeants de PME du Nord et ceux du Sud n’ont pas la même vision sur le concept de parties prenantes. Ceux du Sud accordent plus d’importance aux populations en termes de fonctionnement de la société, que ceux du Nord, qui privilégient en priorité les fournisseurs. Ce résultat corrobore celui de Gendre-Aegerter (2008). En comparant nos résultats à ceux menés au Cameroun, aucune étude n’a intégré le rôle des parties prenantes dans les analyses de la RSE. La plupart de ces travaux ont consisté à définir les ingrédients susceptibles de caractériser la pratique de la RSE.

À l’instar des résultats de Laarraf (2010), les nôtres indiquent que l’environnement institutionnel ne regorge pas de dispositifs incitatifs susceptibles de favoriser la pratique de la RSE dans les PME, notamment au niveau de la fiscalité, de la communication, de la sensibilisation, de la formation, etc. Ce résultat rejoint les conclusions de Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016) suivant lesquelles l’État devrait renforcer la sensibilisation des entreprises sur la nécessité de développer la RSE. Cela étant, la RSE relève de la conviction du dirigeant qui la considère comme fondamentale en fonction de sa finalité organisationnelle dans un contexte économique qui peine à trouver ses marques. La vision de la RSE est plus intrinsèque qu’extrinsèque. De façon spécifique, la RSE conduit à la redécouverte et à la mise en lumière du lien ancien entre la création de richesses économiques et les liens sociaux, qui unissent la communauté au sein d’un territoire. Au-delà des résultats obtenus au Cameroun sur la problématique de la RSE et du développement durable, Moskolaï, Tsapi et Feudjo (2016) ; Etoundi Eloundou (2014) ; Etogo et Estay (2014) ; Ondoua Biwolé (2012), nos résultats indiquent également que le défi de la RSE est de parvenir à unifier des environnements aux réalités différentes, notamment l’environnement économique, fortement globalisé, et le social amarré dans un territoire caractérisé par la tradition et la culture de l’entreprise familiale. La connaissance de la situation des PME camerounaises s’avère importante pour repenser le cadre théorique qui ne cesse de s’écarter de plus en plus des pratiques observées.

Conclusion

L’objectif de cet article était de cerner la perception que se font les dirigeants de la RSE à partir d’une enquête conduite auprès de PME camerounaises. Nous partons du postulat que la perception de la RSE par les dirigeants dépend non seulement des impacts économiques, mais également des impacts sociaux et environnementaux. En donnant la possibilité aux dirigeants de s’exprimer dans un environnement caractérisé par la faiblesse des institutions, nous avons tenté de construire un paysage plus complexe de la pratique de la RSE dans les PME. Selon notre compréhension de la problématique, et des enjeux relatifs à l’adoption d’un comportement socialement responsable, le droit et le management constituent de prime à bord deux axiologies distinctes de la RSE, qui conduisent à des comportements contrastés. Le droit privilégie le respect des procédures et des règles dans la conduite des affaires tandis que le management est sous-tendu par l’impératif d’efficience. La RSE soulève la question de la représentation des rapports entre les intérêts privés des acteurs et l’intérêt général qui s’incarne dans les domaines économiques, sociaux, environnementaux et culturels. La connaissance de la spécificité des modes de management des PME a permis également d’identifier d’autres enjeux relatifs à la RSE, tout en mettant en exergue des voies de réflexion futures. Ainsi, il convient de revoir le questionnement sur la RSE. Au lieu de la cerner comme une activité sociale, avec de possibles changements économiques, il faut la penser comme vectrice de changements économiques produisant des résultats variés.

L’intérêt théorique de cette recherche est, au-delà des contributions foisonnantes que connaît le thème de la RSE, de redonner un contenu à la RSE afin de faire évoluer les connaissances dans ce domaine. Ce travail, dans le cadre des petites et moyennes entreprises évoluant dans un contexte dominé par l’informel, contribue à « reconceptualiser » la notion de RSE avec la prise en compte des parties prenantes. Il est, à notre avis, inédit et permet de positionner les variables de perception de la RSE dans un cadre plus large que celui généralement proposé dans les travaux en RSE. Notre étude s’inscrit dans le renouvellement des perspectives engagées dans la recherche sur la RSE dans les PME, et s’appuie plus sur des éléments subjectifs. Ce positionnement s’inscrit dans la lignée des travaux qui analysent la RSE à partir des variables perceptuelles. Afin d’inclure de nouvelles approches susceptibles de faire progresser les connaissances dans le domaine, la recherche sur la RSE connaît un véritable essor paradigmatique. Les travaux descriptifs qui étudient les caractéristiques et les motivations se retrouvent substitués au profit d’études compréhensives, qui analysent en profondeur les effets des variables perceptuelles, dont les impacts sur le comportement managérial sont avérés. En examinant la perception qu’ont les dirigeants de PME de la RSE, cette recherche s’inscrit dans ce renouvellement de perspectives.

Au plan managérial, notre recherche a permis de rendre compte de l’état des lieux sur la pratique de la RSE dans les PME camerounaises. Les implications managériales issues de cette recherche concernent les dirigeants de PME et les pouvoirs publics. Préoccupés par les mouvements managériaux, les dirigeants de PME ont peu de temps et de recul pour penser à leurs objectifs réels, eux-mêmes relatifs à la RSE. Pourtant, la perception que les dirigeants de la PME ont de la RSE influera sur les décisions et les actions prises au cours de la vie de leurs entreprises. Ce travail invite les dirigeants de PME à adopter une démarche RSE cohérente avec les contraintes relatives à leurs ressources, ce qui pourrait contribuer à la pérennisation de leurs entreprises. Également, elle fournit aux dirigeants de PME la preuve que la RSE reste un outil stratégique de gestion et d’intégration de leur entreprise dans la société, où chaque partie prenante est une ressource et un moyen qui concourt à la réalisation des objectifs et à la finalité de l’entreprise. Au niveau des pouvoirs publics, notre recherche montre, en effet, que les dirigeants de PME définissent la RSE à travers leur contribution au bien-être des salariés et de leur communauté. Les pouvoirs publics doivent en être conscients afin de développer des mesures incitatives visant à encourager les PME qui adoptent un comportement d’entreprises citoyennes. Nous préconisons des pistes d’amélioration des pratiques RSE, tout en soulignant la nécessité pour les pouvoirs publics de développer des dispositifs institutionnels incitatifs, notamment au niveau de la fiscalité. Aussi, relevons-nous une cohérence entre l’accompagnement des pouvoirs publics en termes de sensibilisation et d’information, et l’adoption des pratiques RSE.

Les résultats de l’enquête montrent globalement l’étendue des dimensions privilégiées par les dirigeants de PME ainsi que leur façon de percevoir la RSE, celle-ci ne pouvant être appréhendée en ignorant ses conséquences économiques. Nous mettons en évidence dans nos résultats que la RSE est partiale en raison des valeurs du dirigeant, de sa cognition managériale et de sa finalité personnelle, et devrait être repensée pour intégrer les conséquences d’éventuels conflits d’ordre instrumental et substantiel. L’analyse exploratoire a permis de mentionner que les caractéristiques individuelles des dirigeants, notamment la culture, la valeur, la tradition et le niveau d’éducation influenceraient leur perception de la RSE et surtout leur pratique. La logique de fonctionnement des PME camerounaises repose sur le fonds culturel des dirigeants devenant ainsi un modèle de management. On sait aussi que la priorité des dirigeants semble tournée vers la pérennisation de leur entreprise qui constitue un enjeu majeur pour le développement de la RSE. L’étude réalisée a permis de confirmer que la RSE correspond à la représentation que chacun se fait de son propre intérêt et que la réalisation des attentes de toutes les parties prenantes rend la notion de RSE floue et difficile à cerner.

Les résultats de cette recherche présentent certaines limites qui peuvent réduire leur portée ou les possibilités de généralisation. Ces limites sont inhérentes au caractère exploratoire de la recherche, à la méthodologie suivie et à l’absence de certaines variables tels les facteurs sociodémographiques et le profil entrepreneurial. Bien que la taille n’ait pas été un élément discriminant de notre analyse, nous ne pouvons conclure que les dirigeants des petites entreprises ont des comportements différents de ceux de la moyenne entreprise face au sujet pertinent qu’est la RSE. Encore ici, cela peut constituer une piste de recherche sur la différence de perception entre les dirigeants des différentes catégories d’entreprise en termes d’objectifs poursuivis selon les dimensions de la RSE préconisées par Carroll (1979). Aussi, la prise en compte de l’opinion de l’ensemble des parties prenantes conduirait-elle à des résultats plus robustes. Les recherches futures pourraient également insister sur le caractère informel de la RSE et développer des analyses économétriques sur un échantillon plus représentatif afin de confirmer ou infirmer les conclusions de cette étude exploratoire.