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Un récit éclairé, rehaussé de réalités empiriques se feuilletant à cadence harmonieuse, avec des phases d’ébauche saisissant l’esprit d’entreprise (l’entrepreneuriat), individualiste en ses prémisses, qui se métamorphose vers des humeurs communautaires (les stratégies collectives) ; avec une révélation de croquis entrepreneuriaux (les PME, les TPE et les entreprises artisanales), le tout se déroulant dans un scénario spatial (le territoire). C’est à ce tableau que ramène le décryptage de l’ouvrage édité en l’honneur de Colette Fourcade.

L’ouvrage en question consiste en un collectif arborant une architecture académique couvrant trois champs de recherche : l’entrepreneur et PME, les territoires et les stratégies collectives. La première partie rassemble des contributions différenciées portant sur l’acteur (entrepreneur) et son aire d’action (entreprises de petite dimension). L’opportunité, le profit et la performance, trilogie du phénomène entrepreneurial, sont explorés en premier lieu. Ici, si les orientations obéissent à la diversité des angles d’approche, un certain consensus est perceptible : circonscrire les réflexions dans un contexte. Ainsi, l’opportunité s’apprécie en termes de temporalités. Le temps ex ante lié à sa gestation et le temps ex post relatif à son application. La recombinaison intelligente des informations éparses, notamment à travers le réseautage, atténue l’incertitude temporelle et les dysfonctionnements du marché ; ce qui faciliterait la conclusion heureuse d’une opportunité, même si l’aboutissement d’une opportunité est incertain par essence. Le succès de l’opportunité emporte du profit, celui-ci s’évaluant en fonction de la loupe empruntée pour la scruter. Et on découvre celle « proustienne » dans l’ouvrage. Les pérégrinations à travers la place de L’Argent dans le discours littéraire de Marcel Proust débouchent sur une double préoccupation récurrente de la recherche en entrepreneuriat : l’esprit d’entreprise et la complexité. Signalons que ce voyage longitudinal, au pays Proust, du début du xxe siècle procure un ravissement inouï pour un document à caractère scientifique. La promenade continue de plus belle dans la Belle Province de Québec pour mesurer la performance. Celle-ci « prend autant de sens que d’interlocuteurs qui en discutent ou de contextes dans lesquels elle est mesurée » (p. 52).

En second lieu de la première partie, trois thématiques différentes par leur objet (les dirigeants de PME, la gouvernance d’entreprise en TPE et l’entreprise familiale) se rejoignent sur une conciliation : la systémique. Bien que le dirigeant soit central, pour peu qu’on arrive à un modèle de management de la PME (de nature systémique) axé sur lui, le changement de paradigme s’impose en compréhension des PME/TPE. Car d’autres parties prenantes sont à considérer. Donc, il y a intérêt à développer l’approche holistique. Cette rupture paradigmatique permet de dépasser l’approche en termes de traits. La grille typologique est insuffisante pour rendre compte du phénomène entrepreneurial, surtout quand celui-ci intègre d’autres variables telle la famille ; l’entreprise familiale n’est pas qu’une entreprise entrepreneuriale. Ainsi, elle est revisitée dans ses aspects conceptuel et opératoire.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée au territoire. Concept théorique érigé en dispositif méthodologique, le territoire sera tour à tour économique, stratégique et proxémique. D’abord, il est fait référence aux modalités de développement économique se conjuguant par et sur les territoires. Sont restitués des enseignements à connotation financière, observés sur le territoire européen, notamment l’impact de la crise financière de 2008 sur les entreprises biélorusses et la mise en place de l’euro. Après, il est question des stratégies d’encastrement des PME/TPE sur le territoire : « Les entreprises s’insèrent dans des écosystèmes géographiquement localisés, historiquement datés et socialement structurés » (p. 148). À l’ère contemporaine, le développement durable fait partie de ces écosystèmes, qui conditionnent les enjeux stratégiques territoriaux des entreprises. Appréhendé dans sa dimension spatiale, ce développement durable devient un mécanisme à l’usage des entreprises de petite dimension, dans l’instrumentation du développement local. Toutefois, si ce concept est à l’origine d’une démarche innovante pour les entreprises qui s’y engagent, il peut être contraignant lorsque des réglementations génériques viennent à l’encontre des stratégies entrepreneuriales spécifiques. Le cas d’une entreprise artisanale, touchée de plein fouet par l’incompatibilité de son savoir-faire avec les normes environnementales, remet en cause la cohésion de l’ancrage territorial et des stratégies entrepreneuriales.

Enfin, il est réexaminé le vrai-faux paradoxe des proximités territoriales : organisationnelle et/ou spatiale. La proximité est davantage relationnelle et de moins en en moins géographique. Des exemples tirés des chaînes logistiques éclairent dans ce sens. La proximité circulatoire transcende la distance métrique. C’est une situation induite de la mondialisation. Car les proximités, à l’instar des territoires, se dématérialisent. Néanmoins, l’a-spatial est loin d’être le schéma unique de ces configurations réticulaires particulières. La proximité géographique n’est pas épuisée, elle subsiste en renforcement des proximités relationnelles. Ainsi, elle contribue à favoriser des pratiques nouvelles, souscrivant dans les perspectives de l’entrepreneuriat collectif. Dans cette lignée, une étude exploratoire sur l’identification collective d’opportunités entrepreneuriales a été réalisée sur le territoire québécois afin de tester sa pertinence sociale. C’est encore dans cette logique interactionniste que s’inscrivent les réseaux territoriaux d’accompagnement à la création d’entreprises. Ce système d’accompagnement constitue une représentation socioterritoriale à l’image d’un filet entrelacé et tissé par des attaches géographiques et des liens cognitifs.

La troisième partie de l’ouvrage approfondit les débats sur cet entrepreneuriat collectif, cette fois sous le prisme des stratégies collectives (SC). L’optique collective s’entend sectorielle et/ou territoriale. Et l’économie des proximités sert à l’économie de singularité. Car, en contrepied de l’intensification de la concurrence, les acteurs font appel le plus souvent à des stratégies de partenariat, soit en recourant à des formules classiques (fusions/acquisition), soit en s’impliquant dans des manoeuvres moins conventionnelles (stratégies collectives). Dans le cas de figure classique, il faut faire le distinguo entre les conceptions de la concurrence en présence, avant de procéder à l’appréciation des opérations en jeu parce qu’il existe une conception structuraliste (position monopolistique) et une conception industrielle (abus d’une position dominante) de la concurrence. Et c’est à l’aune du modèle prédominant que s’analysent les fusions et acquisitions. Le vaste territoire transnational de l’Europe et le secteur énergétique rendent compte de ces démonstrations dans l’ouvrage. Présentées en tant que stratégies défensives des opérateurs présents vis-à-vis des entrants potentiels, les fusions acquisitions n’empêchent pas pour autant le jeu de la concurrence ; elles visent plutôt un objectif d’abaissement tarifaire, en faveur des consommateurs. « Et c’est au régulateur de veiller au grain » (p. 252).

Cette orthodoxie mécaniste, a fortiori réductrice de l’école classique, est dépassée par une thèse alternative, celle des SC. Aux racines de ces dernières se trouve la concorde, qui s’obtient à deux conditions : la convergence d’intérêts et la symétrie des acteurs. A contrario, deux paramètres entraînent la discorde et sonnent le glas des SC : la divergence d’intérêts et l’asymétrie des acteurs. La trajectoire d’un effort collectif dans la création d’un système d’offre est rapportée dans l’ouvrage ; il s’agit de l’historique de la pêche au thon tropical française dans ses splendeurs (la concorde) et dans ses décadences (la discorde). Poursuivant la volonté d’outiller la recherche en SC, un cadre conceptuel afférant aux mesures de leur performance (soit pérennité, efficacité, efficience et effectivité) s’initie. Il s’agit d’un référentiel convenant au contexte TPE et s’opérant sur les acteurs, leurs attentes et leurs situations. À la lumière de l’outil, la performance des SC en TPE s’étale sur un continuum contrasté d’échec à réussite, avec une dynamique ambivalente en trame. Ce cadre d’analyse se révèle perfectible aussi bien dans les assises théoriques que dans les stabilisations empiriques.

Les SC se manifestent également à l’occasion de l’internationalisation des PME ; elles deviennent des corollaires à l’innovation. Le contexte polonais met en lumière cette argumentation. Ainsi, on nous apprend que les PME innovantes internationalisées coopèrent davantage que les PME innovantes non internationalisées, et ce, avec une dynamique partenariale variée et s’étendant sur des relations non marchandes. Précisons que l’opportunité locale est principale dans la réponse escomptée d’une logique d’innovation, l’atteinte des marchés extérieurs ne venant qu’en accessoire. Ces pratiques collaboratives, auxquelles s’intéresse l’ouvrage, prennent l’envol suivant deux processus émergents et exclusifs : soit elles naissent d’un phénomène d’entrepreneuriat collectif, soit elles résultent d’une décision institutionnelle. La modalité de coordination en diffère bien évidemment ; celle dite « endogène » se base sur la confiance et l’ajustement mutuel, tandis que la coordination « exogène » se concentre aux mains d’un acteur unique, en l’occurrence l’institution. À l’épreuve du temps, le mouvement collectif connaît des fortunes diverses : soit il y a stagnation à cause de l’immutabilité de la coordination, soit la coordination est reprise par une institution non initiatrice, ou encore les entreprises s’émancipent de l’institution décisionnelle. Les stratégies de « terroir » adossées à la notion de territoire instruisent encore mieux sur les SC. Ici, des petites entreprises mobilisent une triple ressource territoriale (typicité physique, patrimoine immatériel et histoire inscrite) en vue de développer des marchés. La démarche « terroir » est dialogique en ce qu’elle perpétue un objectif de singularité dans l’exploitation d’une rente collective.

Cette dialogie (singulier/collectif) fonde la lecture contextuelle et holistique omniprésente dans l’ouvrage, qui s’inspire à son tour des pensées « fourcadiennes ». En ce sens, l’ouvrage incarne celle à qui il rend hommage. Là où le bât blesse, c’est la quasi-absence de trace du Système agroalimentaire localisé (SYAL). Pourtant, c’est ce grand oublié qui légitime le mieux la transversalité croisant les trois domaines génériques. En filigrane des SYAL, « cette entrepreneure en recherche » (p. 9) qu’est Colette Fourcade a décloisonné audacieusement pour faire tomber les carcans disciplinaires. Ici, posons l’hypothèse que cette omission délibérée répond à un dessein de retour à la plume de la principale intéressée, durant sa « fausse retraite », allusion de Michel Marchesnay dans la préface (p. 11), afin de s’exprimer amplement sur la question.

L’ouvrage présente tour à tour une étendue plurielle et hétérogène de problématiques englobées sous le titre « Entrepreneur et Dynamiques territoriales », tout en donnant lieu à l’éruption de terrain d’enquêtes presque inédit (l’Europe orientale) ainsi qu’à la fertilisation de nouvelles lucarnes ouvertes sur et autour d’un programme de recherche (PME/TPE). L’ambition éditoriale de réaliser un tour d’horizon, consistant de surcroît, est réalisée. Le piège de l’exégèse est esquivé, exercice aurait été fort aventureux : le maître, étant vivant, aurait regardé les exégètes écrire par-dessus l’épaule. Le mérite revient au trio responsable de l’orchestration subtile de ce ballet savant. Autant l’articulation en trois axes est fondée, autant l’appel aux chercheurs de courants divers est pertinent. La pléiade d’auteurs (32) et de chapitres (20) témoigne de l’extrême richesse des avenues empruntées et des pistes tracées. Également, on ne peut passer sous silence l’utilité de la mise en contexte, en guise d’introduction à chaque partie, pour servir de fil conducteur à des propos a priori décousus.

Page après page, l’ouvrage suscite l’appétence d’aller parcourir les écrits de Colette Fourcade. Et il aura accompli sa mission, car il ne fait aucun doute que ce document sera abondamment consulté au sein du cercle académique. La relève y discernera le renouvellement perpétuel de regards, nécessaire à une carrière universitaire. En revanche, son ton généreusement « cérébral » s’accommode peu de la sensibilité « terre-à-terre » du microcosme pratique. Cette ligne éditoriale fort « érudite » aurait été nuancée en incluant des intervenants du « terrain » parmi les contributeurs. Par la même occasion, il y aurait traduction concrète de l’esprit d’applicabilité reconnu aux travaux de Colette Fourcade, comme en témoigne l’obtention du Best Practitioner Contribution du 27th National Conference-Entrepreneurship & SME Development et du Prix de la meilleure communication offrant un potentiel réel d’application du VIIIe CIFEPME.

In fine, l’oeil critique des lecteurs avertis se laissera surprendre par des énoncés rébarbatifs, rares certes, mais quelque peu déroutants, à l’intérieur du chef-d’oeuvre. Cette écriture rudimentaire tranche avec la calligraphie raffinée de l’icône honorée, dont atteste la double distinction citée précédemment. L’indulgence leur rappellera qu’en matière de style il faut du prosaïque et du poétique pour former un « Mélanges ».