Article body

La reprise d’entreprise qualifiée de « cause nationale » par Paturel (2008)[1] est une question sensible car elle sanctionne le travail et la passion de toute une vie, celle du cédant. Autrement dit, la transmission est souvent une affaire d’anticipation. Or, l’opacité de l’information disponible sur le sujet n’incite pas forcément à faire le choix de la reprise. Quelques chiffres suffisent pourtant à illustrer les enjeux de la reprise d’entreprise pour l’économie française :

  • un tiers des dirigeants d’entreprise ont plus de 50 ans ;

  • 700 000 à 900 000 entreprises seront à transmettre dans les 15 années à venir ;

  • ces transmissions concernent plus de 330 000 emplois chaque année (OSEO, 2005).

L’ampleur du phénomène ne se limitant pas à la France, il est urgent de passer à l’action sur le terrain. D’où l’intérêt de la troisième édition de l’ouvrage de Bérangère Deschamps et Robert Paturel[2].

Ces auteurs, conscients de la complexité de la reprise d’entreprise, proposent une démarche méthodique et rigoureuse afin d’aider les candidats à la reprise tout au long de leur processus « repreneurial[3] ». Après un passage obligé sur les spécificités de la reprise d’entreprise (chapitre 1), les auteurs déroulent ensuite l’intégralité du processus repreneurial au fil des chapitres 2 à 8. Ce processus repreneurial consiste en trois phases successives :

  • Le processus relatif à l’intention et à la décision de l’entrepreneur débouchant sur le statut de repreneur potentiel (chapitre 2) ;

  • Le processus de reprise proprement dit conduisant à la signature de l’accord (chapitres 3 à 6) ;

  • Le processus d’entrée et d’intégration du repreneur comme dirigeant de l’entreprise (chapitres 7 et 8).

S’agissant des spécificités de la reprise d’entreprise (chapitre 1) (par comparaison avec la création d’entreprise), les auteurs insistent sur le profil différencié du repreneur davantage « investisseur » et « développeur » que le créateur. Le type d’entreprise reprise (entreprise saine, entreprise saine en apparence et entreprise en difficulté) aura également des implications majeures sur le processus repreneurial, d’où la nécessite de préciser leur nature respective. La préparation minutieuse de la reprise (grâce à un diagnostic rigoureux basé sur une utilisation intelligente de l’information) conditionne la réussite du processus repreneurial. Il s’agit notamment de veiller à la cohérence du projet du repreneur avec celle du projet du cédant (suivant le « modèle des 3 E » de Paturel[4]).

Le chapitre 2 porte sur l’origine du projet de reprise. Il incite le candidat à la reprise à pratiquer son diagnostic personnel. La décision de reprendre est le fruit de réflexions portant sur :

  • les antécédents de l’individu (identification de ses forces et de ses faiblesses ; adhésion de l’entourage à son projet ; prise de conscience des implications d’un tel engagement) ;

  • ses motivations pour la reprise (accéder au statut de patron ; créer son propre emploi ; sauvegarder des emplois ; réaliser un investissement) ;

  • l’origine de l’idée (aspirations de l’entrepreneur ; analyse de l’environnement ; saisie d’une occasion) ;

  • l’élément déclencheur (licenciement ; divorce ; héritage ; envie de changer de vie).

La cohérence du projet du repreneur intègre la détermination du profil type d’entreprises à rechercher.

Le chapitre 3 est consacré à la détection des entreprises conformément au profil souhaité par le repreneur potentiel. En dépit de l’opacité du marché de la transmission, cette recherche passe par des relais identifiés (experts-comptables, notaires, banquiers, conseillers dans les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat, Club des cédants et repreneurs d’affaires) qui permettront au candidat à la reprise de sélectionner ses premières cibles. Dans cette recherche, la capacité du repreneur à activer son réseau est primordiale.

Le chapitre 4 détaille l’étude approfondie des entreprises ciblées par le repreneur à travers leurs diagnostics externe et interne. Comme l’écrivent les auteurs : « Le succès d’une reprise repose donc d’abord sur les qualités personnelles du candidat au rachat, mais également sur la valeur de son diagnostic » (p. 95). L’analyse de l’environnement s’effectue à trois niveaux (global, spécifique et local). L’environnement global (politique, économique, juridique, etc.) se rapporte à des facteurs extérieurs à l’entreprise cible sur lesquels elle n’a pas d’influence directe, mais dont il convient de tenir compte. L’environnement particulier s’intéresse au secteur d’activité de l’entreprise cible. Les auteurs proposent une analyse de l’environnement particulier inspirée du modèle des cinq forces de Porter (1982)[5]. Quant à l’environnement local, il renvoie à la zone géographique d’implantation de l’entreprise cible qui peut également être porteuse d’espérance comme de contraintes supplémentaires pour le repreneur (présence d’un capital social fort du cédant, par exemple). L’analyse interne vise à évaluer les potentialités internes de l’entreprise ciblée. Il s’agit de collecter « des informations sur les compétences maîtrisées par l’entreprise et ses aptitudes à en contrôler d’autres » (p. 88), de « procéder à une segmentation stratégique de l’entreprise » (p. 90) en DAS. Le repreneur cherche ensuite à « estimer les effets probables de la reprise sur l’organisation et, surtout, sur les acteurs en présence » (p. 92).

Le chapitre 5 est consacré à l’évaluation financière de l’entreprise cible, à la recherche de financements et au choix d’une modalité juridique. Cette évaluation reste une étape à risque dans le processus repreneurial. Les auteurs présentent les méthodes d’évaluation : les méthodes statiques (méthodes fiscales et patrimoniales) et les méthodes tournées vers le futur (méthodes du goodwill – survaleur – et actuarielles). L’objectif pour le repreneur est d’établir une fourchette de prix qu’il utilisera lors de la négociation avec le cédant. L’essentiel est d’avoir en tête plusieurs scénarios économiques afin d’être en position de force lors de la négociation.

Les modalités juridiques de la reprise sont multiples selon que l’on opte pour une reprise partielle (rachat d’actifs, location-gérance) ou pour une prise de contrôle (SCOP pour une reprise par les salariés, par exemple) de l’entreprise cible.

La recherche de financement demeure une opération à haut risque pour le repreneur. Les auteurs dressent le panorama des moyens de financement envisageables pour une reprise (apport personnel, prêts bancaires, fonds de garantie, crédit vendeur, prêts d’honneur, par exemple). Puis, la technique du LBO (Leverage Buy Out) désignant un rachat d’entreprise avec un effet de levier est détaillée, tout en mentionnant ses limites.

Une fois qu’une entreprise est ciblée par le repreneur, celui-ci s’engage dans la phase de négociation avec le cédant. Le chapitre 6 reprend les points clés relatifs à la rédaction du plan de reprise qui servira de soutien à la négociation proprement dite. « Le plan de reprise, synthèse de toutes les réflexions précédentes, est établi en recherchant la cohérence du projet sur les plans humain, économique et financier » (p. 142). En dépit de logiques contradictoires, repreneur et cédant doivent s’accorder sur de nombreux points comme la période de maintien dans l’entreprise du cédant, le prix, les clauses de garantie. La négociation constitue alors le point d’orgue du processus de reprise. Débute ensuite le processus d’entrée dans l’entreprise du nouveau dirigeant.

Le chapitre 7 traite de la période de transition entre le cédant et le repreneur, phase cruciale de transfert du pouvoir dans l’organisation. La question de la durée de cette période de transition est importante, car nombre de reprises se soldent par un échec du fait d’une durée mal négociée. Durant cette transition, les partenaires de l’entreprise sont officiellement informés de la reprise, les formalités administratives accomplies, le savoir-faire transféré… À l’issue de cette période, le repreneur est définitivement le seul et unique dirigeant de l’entreprise.

Le chapitre 8 aborde le management de la reprise. Comme l’écrivent les auteurs : « Dans le cadre d’une reprise, le changement de dirigeant s’opère dans l’optique de la pérennité de la vie de la firme : il y a donc continuité [de l’entreprise] et rupture [de gestion] » (p. 185). Cette ambivalence du changement rend le management de la reprise hautement risqué tant le facteur humain y est prégnant : « Le levier social constitue un des facteurs clés de succès les plus importants dans une transmission d’entreprise » (p. 195).

En conclusion, les auteurs reconnaissent le besoin d’accompagner les candidats repreneurs dans cette périlleuse aventure. Des pistes de recherche s’ouvrent ainsi, pouvant s’inspirer des travaux existants sur l’accompagnement des créateurs d’entreprise. Même si le parcours du repreneur est semé d’embûches, il vaut visiblement la peine d’autant plus qu’il répond à une demande sociale forte, celle du maintien d’un nombre considérable d’emplois dans le tissu des PME-PMI. Par ailleurs, l’évolution juridique de la reprise d’entreprise incite à approfondir la compréhension de la période de transition entre le cédant et le repreneur (convention de tutorat adoptée le 4 août 2008 en France). Des travaux exploratoires sont actuellement menés par des collègues sur ce thème particulier (Tilloy-Alphonse, 2008[6]).

D’autres pistes nous semblent dignes d’intérêt comme celle d’une approche de la reprise d’entreprise à travers le prisme du développement durable et de sa traduction managériale, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Dans cette optique, diverses questions méritent d’être suggérées comme celle de l’intégration dans l’évaluation d’une entreprise à reprendre des efforts insufflés par le cédant en matière de RSE. Comment les valoriser ? Ou encore, celle de l’occasion offerte par la phase de transition entre le cédant et le repreneur pour intégrer de la RSE dans l’entreprise reprise…

En résumé, cet ouvrage est riche d’enseignements pour tous ceux qui s’intéressent à la reprise d’entreprise (enseignants, étudiants, praticiens de l’accompagnement). Cette troisième édition actualisée intègre de précieux éléments en termes d’intention du repreneur, de management de la reprise en précisant les phases postérieures à la signature de l’achat de l’entreprise (notamment l’étape de transition entre cédant et repreneur) et de LBO (Leverage Buy Out). Au fil de l’ouvrage, le lecteur appréciera les nombreuses illustrations proposées par les auteurs et issues de leur expérience auprès de repreneurs, notamment en région Rhône-Alpes.