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Introduction

Innover ! S’il est bien un concept qui revient de façon récurrente dans la littérature managériale ces dernières années, c’est bien celui de l’innovation et, a fortiori, de l’innovation stratégique. Cet intérêt du monde académique pour le sujet n’est pas feint : il est à mettre en relation avec le défi permanent auquel sont désormais soumises les entreprises contemporaines d’entrer dans des logiques d’innovations quasi continues (Dahan, 2005), et ce, pour répondre notamment au caractère sans cesse plus instable, volatil et exigeant de leur environnement (compétitivité accrue, changement technologique rapide, souci des clients de recevoir davantage d’attentions dans des délais de plus en plus restreints, gestion de partenariats complexes, etc.) ainsi qu’à la remise en cause récurrente de leurs avantages compétitifs (Floricel et Michela, 2007 ; Johnson, Scholes, Whittington et Fréry, 2008 ; Porter, 2008).

Rares sont les entreprises qui peuvent prétendre échapper à cette tendance, et cela, quels que soient leur taille – PME, entreprises d’envergure régionale ou nationale, multinationales – et le secteur d’activité dans lequel elles opèrent : aussi bien les firmes actives dans les secteurs émergeant ces dernières années (où l’innovation constitue par essence le moteur de croissance) que celles qui sont présentes dans des domaines d’activité autrefois perçus comme stables sont soumises à de telles pressions et à l’obligation concomitante d’innover, sous peine de disparaître (Basso et Legrain, 2004 ; Johnson et al., 2008). Il ne s’agit en outre aujourd’hui plus seulement pour les entreprises de concevoir l’innovation comme l’amélioration incrémentale de sa stratégie d’affaires, l’identification de gains de productivité et la captation de nouvelles parts de marché, mais bien d’entrer dans des démarches de régénérations stratégiques approfondies axées sur la détection de nouvelles opportunités d’affaires, le développement d’une offre unique de produits/services et la recherche d’un positionnement stratégique spécifique permettant à l’entreprise d’optimiser sa façon de générer de la valeur (Dahan, 2005).

Dans ce cadre, l’intrapreneuriat apparaît constituer une véritable occasion de renouveler cet enjeu de l’innovation stratégique au travers d’une optique novatrice. Concept assimilé à « la mise en oeuvre d’une innovation par un employé, un groupe d’employés ou tout individu travaillant sous le contrôle de l’entreprise » (Carrier, 1996, p. 6), l’intrapreneuriat vise à mobiliser les idées et les compétences de tous les salariés ou d’une partie d’entre eux en vue de développer et de concrétiser des innovations – offre de nouveaux produits/services, investigation de nouveaux marchés, etc. (Tabatoni, 2005 ; Eesley et Longenecker, 2006) – et d’enclencher ainsi le renouvellement stratégique de la firme (Zahra, 1996 ; Bouchard, 2009). Telle est la vision que défendent notamment Eesley et Longenecker (2006, p. 19), qui voient en l’intrapreneuriat « the practice of creating new business products and opportunities in an organization through proactive empowerment ».

Toutefois, alors qu’il est reconnu comme étant un vecteur potentiel d’innovations stratégiques pour les entreprises capables de s’en saisir, et qu’il est d’ailleurs à cette fin fortement valorisé par certaines firmes, l’intrapreneuriat reste encore un concept relativement méconnu. Peu de choses semblent aujourd’hui validées empiriquement dans la littérature sur ses éléments constitutifs, sur les comportements et les dispositifs intrapreneuriaux ciblés par les entreprises, sur les facteurs contextuels susceptibles de favoriser de tels comportements d’intrapreneurs ainsi que sur leurs impacts concrets, notamment en termes d’attitude et d’implication des travailleurs.

Notre réflexion entend répondre en partie à ces manquements, en proposant une exploration empirique des pratiques d’entreprises en matière d’intrapreneuriat. Plus précisément, notre propos, élaboré à partir d’une démarche analytique reposant sur 17 études de cas d’entreprises réputées recourir à l’intrapreneuriat, vise à approfondir la nature intrinsèque des stratégies intrapreneuriales développées par les entreprises au travers de différentes dimensions clés. Celles-ci, générées par abduction, nous permettent de caractériser des approches contrastées de l’intrapreneuriat au sein des firmes étudiées et d’en proposer un essai de taxinomie au moyen d’une grille de lecture novatrice.

Pour ce faire, nous rappelons dans un premier temps le contexte théorique de notre démarche réflexive, en mettant en avant les différentes définitions, les principaux enjeux et les multiples modes de structurations possibles de l’intrapreneuriat. L’analyse transversale de nos 17 études de cas nous permet ensuite d’appréhender différents critères clés de différenciation et de caractérisation des approches de l’intrapreneuriat retenues par les dirigeants des firmes étudiées. Nous discutons in fine, à la lumière de la grille de lecture proposée à partir de nos résultats empiriques, les relations d’influence potentielle qui existent entre les variables relevées et les optiques stratégiques privilégiées par les entreprises en matière d’intrapreneuriat.

1. L’intrapreneuriat : un concept multiple

La notion d’intrapreneuriat fait l’objet de multiples définitions dans la littérature, ce qui conduit d’ailleurs plusieurs auteurs à qualifier ce concept de multidimensionnel et de polysémique (Carrier, 1994 ; Antoncic et Hisrich, 2003). Sous un angle historique, il semble que la notion d’intrapreneur ait été pour la première fois avancée par Pinchot en 1985 : pour lui, l’intrapreneuriat traduit, d’une façon assez généraliste, l’idée d’« entreprendre au sein d’une société ». Sachant que les entreprises sont tenues d’innover pour survivre, la meilleure méthode, à ses yeux, consisterait à encourager les salariés – et plus encore, ceux qui disposent d’un esprit créatif – à devenir des entrepreneurs au sein même de l’entreprise en leur donnant la liberté et en leur fournissant les ressources nécessaires pour concrétiser leurs projets (Burgelman, 1983).

Cette approche suggérée par Pinchot (1985) semble être largement reprise par d’autres auteurs. Par exemple, Antoncic et Hisrich (2003), dans leur tentative de clarifier le concept d’intrapreneuriat, considèrent celui-ci comme l’existence d’entrepreneuriat à l’intérieur même d’une organisation. Pour Sundbo (1997), l’intrapreneuriat renvoie à la génération d’idées par les membres du personnel, qui jouent de ce fait un rôle actif, et particulièrement important, dans les phases initiales des processus d’innovation des entreprises. Idée que partagent et prolongent Seshadri et Tripathy (2006), pour qui il existe une forte relation entre l’innovation et les comportements intrapreneuriaux que manifestent des salariés. Ceux-ci, que Seshadri et Tripathy (2006) assimilent à des intrapreneurs, favorisent, par leurs facultés et leurs aptitudes à avoir et à concrétiser des idées innovantes, la créativité au sein des entreprises et participent, par conséquent, à son développement stratégique (Basso et Legrain, 2004 ; Bouchard, 2009).

Notons à cet égard que si certains auteurs assimilent l’intrapreneuriat avant tout à l’action d’une personnalité intrapreneuriale qui prend une initiative innovante au sein de l’entreprise (Pinchot et Pellman, 1999), d’autres le perçoivent davantage comme une action collective menée par des petites unités ou des équipes restreintes d’individus, situées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise (Toftoy et Chatterjee, 2004). Unités ou équipes qui apparaissent néanmoins souvent reposer sur un acteur « porteur de projet » à en croire le recensement que proposent Brechet, Desreumaux et Shieb-Bienfait (2009) des multiples figures de l’entrepreneur : pour eux, l’intrapreneur est à considérer avant tout comme un « entrepreneur relationnel » dont le rôle est essentiellement de fédérer et de faire travailler ensemble les différents acteurs d’un projet interne à une organisation. Cette double dimension collective et relationnelle de l’intrapreneuriat est également soulignée par Garel, Giard et Midler (2001), qui distinguent toutefois dans leurs réflexions le concept de coordinateur de projet (lightweight project manager) – qui joue le rôle d’un coordinateur sans réel poids sur les décisions de contenu et d’orientations à privilégier – et de directeur de projet (heavyweight project manager) – dont la délégation et l’autonomie en matière de prise de décisions sont plus importantes – que l’on peut réellement assimiler à un « intrapreneur – responsable de projet ».

Ce dernier semble jouer un rôle crucial en matière d’innovation stratégique au sein de l’entreprise en veillant à réunir différents métiers, à combiner les expertises et à construire une réelle compétence collective autour des projets d’innovation – par essence incertains (Basso, 2006) – qu’il pilote. Car, si la recherche « du » chef de projet providentiel et omnicompétent peut se révéler contre-productive en termes de dynamique d’innovation (Garel et al., 2001), elle apparaît surtout constituer un mythe : l’idée de l’inventeur isolé est ainsi critiquée par certains auteurs (Amabile et Khaire, 2008), qui voient davantage les innovations effectives résulter de contributions émanant de personnes aux profils complémentaires. L’intrapreneuriat est dans cette perspective davantage vu sous une optique collective, reposant à la fois sur l’échange et le partage de savoirs entre acteurs ainsi que sur les liens sociaux qui unissent les intrapreneurs dans une même organisation (Ferrary et Blanchot-Courtois, 2009). Ce que l’on peut assimiler à des « communautés de pratiques d’intrapreneurs » a notamment été étudié par Ferrary et Blanchot-Courtois (2009), qui voient en cette approche collective un excellent moyen de favoriser l’émergence d’une culture intrapreneuriale au sein de l’organisation (l’intrapreneur étant considéré comme un « déviant positif » à encourager), de stabiliser progressivement les dispositifs de création et d’innovation en vigueur et de stimuler le partage de connaissances tacites liées à l’intrapreneuriat entre acteurs-créateurs.

Ces nuances entre les visions individuelle et collective de l’intrapreneuriat sont également mises en exergue par Amo et Kolvereid (2005) au travers d’une position quelque peu différente : à leurs yeux, là où la première refléterait l’initiative tout à fait personnelle d’un employé – avec les risques de décalage, par rapport à la ligne stratégique de l’entreprise que cela peut susciter (Bouchard, 2001) –, la seconde serait davantage souhaitée et insufflée par le management de l’entreprise, qui développerait des dispositifs managériaux en ce sens (voir infra). Prise de position qui n’est pas sans rappeler le paradoxe que soulignent Thornberry (2001) et Birkinshaw (2003) à propos de la notion d’intrapreneuriat, mélange à la fois de créativité et de liberté ainsi que de structuration et d’organisation. Antagonisme conceptuel que l’on peut par ailleurs retrouver dans les organisations intrapreneuriales, selon que celles-ci accordent un degré d’autonomie et une liberté d’action plus ou moins prononcés aux intrapreneurs ou qu’elles cadrent au contraire les initiatives de ces derniers au travers de choix structurels visant à orienter les dynamiques d’innovation et de création (Burgelman, 1983 ; Basso, 2004 ; Ireland, Kuratko et Morris, 2006 ; Basso, 2006 ; Covin et Miles, 2007 ; Bouchard, 2009).

Si la littérature suggère plusieurs définitions et conceptualisations de l’intrapreneuriat, entraînant une certaine confusion sémantique autour de la notion (Allali, 2005 ; Bouchard, Basso et Fayolle, 2010), elle présente toutefois une certaine convergence sur les motivations qui poussent les dirigeants à développer un esprit intrapreneurial au sein de leur organisation. Cette approche est généralement induite par la volonté de maintenir et/ou de développer les activités de l’entreprise : pour bon nombre d’auteurs, la principale finalité de l’intrapreneuriat semble ainsi être l’obligation d’innovation stratégique, essentielle à l’augmentation de la compétitivité des entreprises (Bouchard, 2009 ; Phan, Wright, Ucbasaran et Tan, 2009 ; Basso, 2006 ; Covin et Miles, 2007), voire, dans certains cas, à la survie des firmes dans un contexte de plus en plus mouvant (Pinchot, 1985 ; Nielsen, 2000 ; Seshadri et Tripathy, 2006 ; Antoncic, 2007).

La plupart des auteurs relient ainsi intimement l’intrapreneuriat aux concepts de créativité et d’innovation (Zahra, 1993 ; Burgelman, 1983 ; Basso et Legrain, 2004 ; Bouchard et Bos, 2006 ; Carrier, 2008 ; Bouchard, 2009) : la régénération, le développement de nouveaux produits, l’investigation de nouveaux marchés, l’instauration de nouveaux modèles d’organisation sont autant de corollaires des définitions de l’intrapreneuriat (Tabatoni, 2005). L’intrapreneuriat est donc considéré dans cette optique autant comme le processus de mise en oeuvre d’une innovation au sein des entreprises que comme le résultat de ce processus, c’est-à-dire l’innovation en tant que telle (Carrier, 1991 ; Allali, 2003). Soulignons d’ailleurs à ce sujet que si les chercheurs qui se sont intéressés à l’intrapreneuriat éprouvent certaines difficultés à en établir et à en retenir une définition et une conceptualisation communes (Allali, 2003), ils s’accordent toutefois dans un large consensus sur les finalités et les enjeux de l’intrapreneuriat ainsi que sur les motivations de son usage au sein des entreprises (Pinchot, 1985 ; Zahra, 1993 ; Nielsen, 2000 ; Basso, 2004 ; Bouchard et Bos, 2006 ; Seshadri et Tripathy, 2006 ; Carrier, 2008 ; Phan et al., 2009 ; Bouchard, 2009), comme le sous-tendent nos propos précédents.

2. Des approches hétérogènes de l’intrapreneuriat à cerner plus en avant

Si la définition de la notion d’intrapreneuriat est par essence multiple, l’examen de la littérature spécialisée sur le sujet révèle des enseignements contrastés quant à la façon dont l’intrapreneuriat est concrètement mis en oeuvre au sein des entreprises (Viala et Leger-Jarniou, 2010), notamment selon que celui-ci entraîne la création de structures spéciales ou est intégré au mode de fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble (Burgelman, 1984 ; Sharma et Chrisman, 1999 ; Nielsen, 2000 ; Basso, 2004 ; Basso et Legrain, 2004 ; Amabile et Khaire, 2008 ; Bouchard, 2009 ; Phan et al., 2009).

Ainsi, après avoir mis en évidence cinq modèles d’intrapreneuriat observés dans de grands groupes – les modèles dits de l’enclave, de la dissémination, de l’imprégnation, de l’acquisition apprenante et du bouturage –, Basso et Legrain (2004) isolent et décrivent la configuration de l’enclave comme la création d’une entité consacrée à l’innovation, entité qui constitue le catalyseur des nouvelles idées de développement de l’organisation. Cette unité, située en marge de l’entreprise, et régie par des règles d’exception, se doit d’organiser et de formaliser les projets en dehors du fonctionnement habituel du groupe, pas nécessairement toujours favorable aux initiatives innovantes. Cette vision de l’intrapreneuriat se focalise par conséquent sur une logique d’outsourcing ou de création d’une unité externalisée (spin-out, structure projet) par rapport à l’entreprise et aux contraintes qui sont les siennes. Cette séparation stratégico-organisationnelle peut se concevoir sous des optiques différentes, aussi bien en termes de formes juridiques, de structures physiques, de modes de fonctionnement, de valeurs culturelles, de cibles marketing ou d’allocation des ressources, et se traduit généralement par l’apparition d’entreprises satellites reliées à la maison mère (Narayanan, Yang et Zahra, 2009). Cette structuration de l’intrapreneuriat, basée sur la décentralisation et la flexibilité des activités innovantes (Sundbo, 1997) ainsi que sur des règles et pratiques managériales favorables à la prise de risque (Basso, 2006), offre, selon Bouchard et Bos (2006), l’avantage de l’autonomie et de l’engagement personnel qu’elle confère aux intrapreneurs, condition nécessaire à la stimulation d’une logique intrapreneuriale perse (Bouchard, 2009).

Mais l’intrapreneuriat peut également se manifester par le développement de nouvelles logiques de travail à l’intérieur même de l’organisation, grâce notamment à de petites unités qui améliorent des processus ou développent des technologies utiles au fonctionnement de l’entreprise (Nielsen, 2000). L’intrapreneuriat repose dès lors sur la constitution de petites équipes semi-autonomes composées de personnes provenant des divisions en lien, direct ou indirect, avec l’objet de l’innovation, comme le suggèrent notamment Basso et Legrain (2004) dans leur modèle « de la dissémination ». Dans ce cas, le projet est généralement rattaché au fonctionnement propre de l’entreprise et se rapproche des objectifs stratégiques poursuivis par la firme. La créativité des équipes et les pratiques de collaboration nécessaires à l’atteinte de résultats significatifs apparaissent en outre potentiellement stimulés par diverses techniques qui visent notamment à combattre l’isolement des acteurs et à encourager les équipes à « conceptualiser ensemble » (Amabile et Khaire, 2008), au travers de la complémentarité des compétences et de la synergie des expertises des membres qui les constituent. Cette stimulation du travail collaboratif a aussi pour but de « susciter les vocations » au sein de l’entreprise – notamment par la réplication des actions qui y sont menées – et d’encourager les comportements intrapreneuriaux des salariés qui en montrent les aptitudes (Basso et Legrain, 2004). Dans une logique comparable, Bouchard et Bos (2006) relèvent, pour leur part, une configuration de l’intrapreneuriat où les intrapreneurs, tout en appartenant à l’organisation, développent des projets d’innovations en bénéficiant d’une certaine autonomie pour ce faire : ces projets peuvent être réalisés dans la discrétion et la confidentialité, dans un premier temps, puis mis au jour s’ils se révèlent porteurs de changements et d’améliorations. Principe qui est néanmoins généralement soutenu par des procédures rigoureuses d’accompagnement, d’évaluation et de sélection, lesquelles permettent aux directions d’entreprise de canaliser les initiatives intrapreneuriales, d’éliminer progressivement les idées les moins prometteuses et de sélectionner les projets les plus attractifs sur lesquels concentrer les attentions et les investissements (Bouchard et al., 2010).

Sur un plan plus global, Basso et Legrain (2004) évoquent le modèle de l’imprégnation qui ne repose sur aucune équipe spéciale et relève davantage d’une culture entrepreneuriale de l’ensemble de l’organisation que d’un dispositif particulier. Le coeur du système se situe par conséquent dans des éléments culturels et comportementaux (goût du défi, compétition interne, valeurs, slogans, etc.) visant à valoriser et à insuffler une logique intrapreneuriale : tout en tolérant les échecs, la culture d’entreprise tend à encourager la naissance de nouvelles idées créatrices, la prise de risque, le partage des informations, le travail collaboratif et la transparence des décisions, dans le but avoué de consolider l’esprit d’innovation des employés et d’encourager la recherche d’opportunités d’affaires innovantes[2] (Thornberry, 2001 ; Toftoy et Chatterjee, 2004 ; Eesley et Longeneker, 2006 ; Menzel, Aaltio et Ulijn, 2007). Si l’instauration d’une telle culture tournée vers la créativité et l’innovation tend inévitablement à encourager l’engagement organisationnel des membres du personnel (Bakker et Schaufeli, 2008), elle apparaît dans les faits fréquemment couplée à d’autres formes de stimuli. Martins et Terblanche (2003), McLean (2005), Allali (2005) ainsi qu’Antoncic (2007) soulignent d’ailleurs, à ce sujet, que c’est l’ensemble du design organisationnel et de l’environnement social – lesquels sont directement corrélés à de multiples facteurs tels que la stratégie de l’entreprise, la structure hiérarchique, le mode de management, les formes de communication, etc. (Martins et Terblanche, 2003) – qui jouent un rôle clé dans l’encouragement des comportements créatifs des salariés et dans leur implication effective en matière d’innovation.

Tendances qui ne sont pas sans rappeler les travaux d’Amabile, Conti, Coon, Lazenby et Herron (1996) qui mettent en exergue plusieurs éléments ayant trait à l’environnement de travail, aux facteurs organisationnels et aux pratiques de management censés favoriser et stimuler la créativité des membres du personnel : l’autonomie, la motivation, les challenges intellectuels, l’intérêt du travail réalisé ou encore la constitution d’équipes de travail multidisciplinaires où sont encouragées les pratiques collaboratives – à l’instar de ce que doivent idéalement être les équipes de R-D – en constituent des exemples parmi d’autres. Ainsi, il semble que la frontière entre l’intrapreneuriat et la politique de gestion des ressources humaines soit relativement mince, les deux notions semblant étroitement imbriquées au travers des notions de culture, de climat, de philosophie, d’autonomie, de gestion des équipes de travail, voire d’octroi de récompenses vouées à insuffler une logique intrapreneuriale. Elles se doivent en outre d’être alignées afin d’arriver à leurs fins. Tendances que confirment notamment Ireland, Kuratko et Morris (2006), lesquels soutiennent que toute culture intrapreneuriale doit être accompagnée par des pratiques GRH dédiées, notamment en termes de recrutement, de formation et de développement des compétences, de gestion par objectifs, d’évaluation, de création d’équipes, d’encadrement, d’empowerment et de récompenses[3].

Ces différents travaux sur la nature et la structuration des pratiques intrapreneuriales des entreprises n’offrent toutefois qu’une première ébauche d’enseignements, qu’il convient d’approfondir et de consolider avec des recherches empiriques plus poussées. En effet, alors que la littérature sur l’intrapreneuriat souligne l’importance et l’effet de levier qu’ont les pratiques intrapreneuriales sur les stratégies d’innovation des entreprises et, en corollaire, sur leur compétitivité, peu de réflexions analytiques et empiriques approfondies existent dans les écrits récents sur les éléments constitutifs et les modes de structuration de l’intrapreneuriat et des pratiques que privilégient les firmes en la matière. Si les récents travaux de Ireland, Covin et Kuratko (2009) et de Bouchard (2009) ont pour ambition de proposer des cadres conceptuels de référence de ce qu’il convient d’entendre par « stratégies intrapreneuriales » (Ireland et al., 2009) et par « processus intrapreneuriaux » (Bouchard, 2009) – notons l’emploi du pluriel pour marquer la forte hétérogénéité de ces notions – , ils restent essentiellement basés sur des revues approfondies de la littérature et n’offrent pas encore une vision validée empiriquement de la façon dont les dirigeants d’entreprise perçoivent et recourent à l’intrapreneuriat dans leurs activités.

C’est dans cette perspective que s’inscrit notre réflexion, où nous cherchons à explorer et à mieux comprendre les stratégies intrapreneuriales des entreprises. Plus précisément, notre objectif est, dans une optique compréhensive, d’appréhender plus finement la diversité des pratiques intrapreneuriales des entreprises et, de façon concomitante, de proposer différents facteurs clés permettant de caractériser et de différencier les stratégies des entreprises en matière d’intrapreneuriat en vue d’en proposer un essai de taxinomie.

3. Méthodologie

Pour cerner et analyser les stratégies intrapreneuriales mises en oeuvre par les firmes, nous avons privilégié une méthodologie de travail qualitative, axée sur la réalisation d’études de cas (Hlady-Rispal, 2002 ; Hartley, 2004 ; George et Bennett, 2005 ; Gerring, 2006). Ce type d’approche méthodologique – et les techniques s’y rattachant (Yin, 1994) – s’inscrit pleinement dans le caractère compréhensif et analytique de notre perspective de recherche, comme en témoignent ses caractéristiques essentielles : faible degré de structuration préalable des orientations théoriques, grande flexibilité du cheminement d’investigation, proximité avec le phénomène étudié et importance accordée au contexte dont émergent les significations (Bryman, 1989).

Concrètement, notre optique de recherche nous a amenés à investiguer et à caractériser les stratégies intrapreneuriales développées par 17 entreprises réputées comme favorisant l’innovation, tant au regard des produits ou des services qu’elles proposent, des procédés qu’elles élaborent que des processus d’affaires qu’elles mettent en place. Le choix de ces 17 cas d’étude résulte du croisement de trois sources d’informations et approches d’échantillonnage complémentaires : la connaissance personnelle que nous avons d’entreprises reconnues pour l’importance qu’elles accordent à l’innovation et au développement des idées créatrices de leurs salariés ; l’identification, par un examen de la presse spécialisée (presse économique et sectorielle), d’entreprises mettant en place des initiatives innovantes en matière d’intrapreneuriat ; la mobilisation de personnes-relais oeuvrant dans des entreprises dont nous avions déjà eu l’occasion de cerner, en tout ou en partie, les politiques d’innovation au travers de projets de recherche antérieurs menés au sein de notre laboratoire.

Les 17 entreprises retenues – pour la plupart des multinationales cotées en Bourse – sont actives dans des secteurs d’activité fortement contrastés, néanmoins caractérisés de façon transversale par une concurrence importante et un besoin particulièrement prononcé en innovations : aérospatiale, assurance, biotechnologie, électronique, chimie, cosmétique, énergie renouvelable, technologies de l’information, etc. Nous présentons les principales caractéristiques de ces 17 firmes étudiées en annexe, sous la forme d’un tableau synthétique indiquant, pour chacune d’elles[4], la taille, le secteur d’activité et la nature des dispositifs intrapreneuriaux sur lesquels nous avons focalisé notre approche au cours de notre étude.

Pour cerner les logiques intrapreneuriales appliquées dans ces entreprises, nous avons privilégié une démarche de recueil et d’analyse de données issues de plusieurs sources, en focalisant notre approche sur les questions de stratégie, de contexte – interne et externe –, d’innovation et de dispositifs mis en oeuvre pour développer l’intrapreneuriat : nous nous sommes ainsi plus particulièrement attachés à recueillir des données relatives aux modalités d’innovation dans l’organisation, aux mécanismes de gestion susceptibles de développer l’intrapreneuriat ainsi qu’aux conditions de contexte à réunir pour que ces dispositifs soient opérants.

Des entretiens semi-directifs d’une moyenne de deux heures ont été réalisés avec des acteurs clés de chacune des entreprises étudiées : les responsables des politiques d’innovation et/ou de qualité, les directeurs des cellules d’innovation et/ou des départements R-D, les directeurs des ressources humaines, etc. Personnes-ressources que nous référençons pour chacune des entreprises sondées dans le tableau méthodologique de présentation de nos études de cas repris en annexe. Outre la collecte de données sur l’entreprise elle-même (taille et secteur d’activité, effectifs, principales caractéristiques du marché, étapes marquantes de l’évolution de l’entreprise, valeurs clés, etc.), sur sa stratégie d’affaires et sur ses principaux modes d’organisation, nous nous sommes particulièrement intéressés lors de nos interviews aux stratégies d’innovation et d’intrapreneuriat qui prévalent dans les entreprises étudiées, aux dispositifs – concrets ou implicites suivant les cas – mis en oeuvre pour développer et stimuler l’intrapreneuriat, aux cibles visées par la politique intrapreneuriale, aux conditions de succès de ces dernières, aux indicateurs de mesure de l’intensité intrapreneuriale, etc. Le tout mis en exergue au travers d’illustrations concrètes, sollicitées auprès de nos interlocuteurs pour nous permettre de bénéficier de données pragmatiques et d’exemples types de comportements intrapreneuriaux.

Les informations collectées au cours de ces entretiens semi-directifs ont par ailleurs été mises en perspective au travers d’une analyse documentaire approfondie, notamment basée sur les divers documents fournis par les entreprises étudiées : plans stratégiques en matière d’innovation, journaux d’entreprise, chartes des valeurs, descriptifs de fonctions, plans de formation, etc. Diverses données complémentaires, recueillies par les moyens de communication externes des entreprises, ont également été exploitées pour affiner notre compréhension des stratégies des firmes étudiées : analyse des rapports annuels, audit des sites Web, examen de documents de présentations (plaquettes, folders), etc.

Respectant les préconisations en vigueur en matière d’analyse de données qualitatives (Miles et Huberman, 1994 ; Myers, 2009) et, en particulier, de discourse analysis (Phillips et Hardy, 2002), l’ensemble de ces données a fait l’objet d’un codage propre basé sur des mots clés permettant une compréhension fine et une classification rigoureuse des pratiques d’entreprises en matière d’intrapreneuriat, des objectifs stratégiques poursuivis, des dispositifs mis en oeuvre dans ce cadre, des motivations affichées, des effets recherchés et atteints, etc. Si cet exercice de codification a fait émerger plusieurs variables caractéristiques des choix stratégiques des entreprises en la matière, l’analyse transversale de nos différentes études de cas a néanmoins très vite révélé le caractère potentiellement hétérogène et parfois redondant de certaines de nos variables d’analyse, nous invitant à procéder à une rationalisation de nos critères explicatifs et à un regroupement de ces derniers en catégories critiques. Opéré dans une logique abductive, faite de plusieurs allers-retours entre les enseignements présents dans la littérature scientifique et les résultats retirés de nos terrains d’étude (Dubois et Gadde, 2002 ; Cook et Brown, 1999) ainsi que de confrontations successives entre notre proposition de catégorisation et les notions déjà éprouvées au travers d’écrits antérieurs (Van Maanen, Sorensen et Mitchell, 2007), ce double travail de conceptualisation et de théorisation (George et Bennett, 2005) nous a autorisés à épurer notre inventaire initial des variables analytiques pour en dégager une grille de lecture plus synthétique. Grille d’analyse que nous avons en outre décidé de subdiviser en deux catégories principales pour nuancer au mieux la portée des objets étudiés – la nature des pratiques intrapreneuriales, d’une part, et la nature des dispositifs intrapreneuriaux, d’autre part (voir ci-dessous) – et la présentation des enseignements que nous en retirons, en lien avec nos objectifs de recherche.

Le respect de ces principes d’analyse, combiné à la démarche méthodologique que nous avons mise en oeuvre, entend nous permettre d’affiner la compréhension des stratégies intrapreneuriales des entreprises au travers de résultats significatifs et empiriquement valides. Comme on le constatera dans la réflexion analytique ci-dessous, la posture méthodologique que nous avons retenue nous permet de caractériser dans un premier temps les approches de l’intrapreneuriat privilégiées par les firmes étudiées à partir de différents critères clés et de soulever ensuite la question de la diversité des pratiques mises en oeuvre à partir de dimensions explicatives contrastées.

4. Discussion transversale des principaux résultats empiriques

La posture méthodologique que nous avons retenue – études de cas – nous offre un échantillon diversifié de données nous permettant d’appréhender la façon dont les dirigeants d’entreprise perçoivent les enjeux de l’intrapreneuriat, de soulever la question de la diversité des pratiques mises en oeuvre ainsi que de caractériser les approches intrapreneuriales retenues à partir de différents critères clés. Développé sous une logique abductive, notre raisonnement nous amène dans un premier temps à caractériser les stratégies intrapreneuriales en question selon six critères dichotomiques, qui traduisent les nuances et les contrastes que nous avons relevés dans les approches de l’intrapreneuriat des firmes étudiées. Ces approches apparaissent en outre, suivant les cas, plus ou moins appuyées par des dispositifs particuliers, auxquels les entreprises recourent afin d’insuffler un esprit intrapreneurial dans leurs équipes. Dans une logique de raisonnement comparable, les dispositifs intrapreneuriaux mis en place par les firmes nous sont également apparus particulièrement divergents dans l’examen de nos études de cas. Nous dégageons, par conséquent, dans le deuxième temps de notre raisonnement analytique, deux dimensions clés permettant de caractériser davantage la nature même de ces dispositifs voués à stimuler la créativité et l’innovation des membres du personnel des entreprises étudiées.

4.1. Nature des pratiques intrapreneuriales

L’analyse transversale de nos cas révèle l’hétérogénéité des approches de l’intrapreneuriat que retiennent et privilégient les sociétés étudiées. L’analyse de nos résultats de recherche nous permet d’en proposer une grille de lecture basée sur six facteurs explicatifs, que nous détaillons dans cette sous-section : 1) l’ampleur de la cible visée au sein de l’entreprise par l’approche intrapreneuriale ; 2) le caractère intégré de l’intrapreneuriat dans les fonctions et tâches exercées par les membres du personnel ainsi que 3) son caractère individuel ou collectif ; l’objectif poursuivi par l’intrapreneuriat, en termes 4) de finalité rétributive ou de recherche ainsi qu’en termes 5) d’innovation de produit ou de process ; enfin, 6) le degré de mesure de l’intrapreneuriat et de ses retombées effectives.

4.1.1. Le critère « partiel/total »

Ce premier critère concerne l’ampleur de la cible visée par l’intrapreneuriat : tous les membres de l’entreprise sont-ils visés et/ou incités à s’insérer dans une démarche intrapreneuriale ou bien celle-ci se limite-t-elle à certaines catégories de personnel ? En d’autres termes, à l’instar des différences structuro-organisationnelles de l’intrapreneuriat que relèvent Basso et Legrain (2004) au travers de leurs modèles de l’enclave, de la dissémination et de l’imprégnation, l’entreprise fait-elle appel aux idées créatrices et aux suggestions innovantes de l’ensemble de ses membres ? Ou bien responsabilise-t-elle certaines catégories de salariés – cadres, employés, ouvriers – et/ou les membres de certains services – R-D et marketing par exemple – pour favoriser l’innovation ? Les réponses à ces questions varient suivant les entreprises étudiées.

Dans certaines d’entre elles, l’intrapreneuriat ne concerne que des catégories bien déterminées de personnel. Tel est par exemple le cas de Bluerivet, société active dans le secteur de l’habillement. Celle-ci a décidé de focaliser sa stratégie intrapreneuriale sur son équipe de designers. Le management a ainsi mis sur pied une équipe de « chercheurs fous » – selon les termes du responsable innovation – qui scrutent dans tous les azimuts de nouvelles idées, qu’il s’agira de réintégrer ensuite dans l’entreprise en les traduisant en produits nouveaux. Ces diverses initiatives favorisent dès lors un intrapreneuriat que nous pouvons qualifier de partiel.

A contrario, d’autres entreprises adoptent une stratégie de stimulation de l’intrapreneuriat beaucoup plus large, axée sur l’ensemble du personnel. Par exemple, dans le groupe 4Beauty, actif dans le secteur des cosmétiques, tout employé est invité à garder l’esprit ouvert aux idées nouvelles, à penser « innovation ». Cet esprit intrapreneurial est diffusé dans toute l’entreprise au travers d’une culture élaborée en ce sens. Cette optique est identique au sein de l’entreprise FoodSanté, connue pour ses restaurants bio : tous les salariés, des cadres de l’entreprise aux ouvriers de production en passant par les chefs d’équipe, sont encouragés à faire part de leurs idées, à proposer des suggestions, etc., en vue notamment de développer de nouvelles recettes et/ou d’améliorer les processus de travail. Autant d’exemples qui renvoient à la notion d’intrapreneuriat total.

L’approche intrapreneuriale peut même dans certains cas être élargie aux stakeholders. C’est ce qui se passe dans l’entreprise Biobois, active dans le secteur des énergies renouvelables et du développement durable, où les dirigeants se montrent à l’écoute des propositions qui leur sont soumises par tout acteur, qu’il soit interne – cadre, ingénieur, commercial, etc. – ou externe – client, fournisseur, etc. – à l’entreprise.

Notons toutefois à cet égard que le caractère total ou partiel de l’intrapreneuriat est foncièrement dépendant de l’unité d’analyse retenue. Par exemple, dans cette société active dans le secteur de l’Internet, l’innovation et l’intrapreneuriat font partie intégrante de la culture de l’entreprise. Toutefois, seul le personnel occupé dans les headquarters – commerciaux, ingénieurs, designers, spécialistes en informatique – est habilité à s’en saisir et à faire preuve de créativité afin de renouveler les technologies existantes et de proposer des innovations de produits/services. Les personnes employées dans les centres de données – des techniciens pour la plupart – sont par contre tenues de respecter scrupuleusement les road maps qui guident leur travail et de restreindre, notamment pour des questions de sécurité et de garantie du bon fonctionnement des systèmes, toute prise d’initiative. Dans cet exemple, l’intrapreneuriat, bien qu’insufflé par une culture d’entreprise unique, peut être qualifié de partiel si l’on retient comme enveloppe d’analyse l’ensemble de la société ; il sera par contre caractérisé de total, au sens strict du terme, si l’on exclut de l’analyse les centres techniques, où la nature même des activités qui y sont exercées empêche de facto toute initiative intrapreneuriale.

4.1.2. Le critère « intégré/complémentaire »

Dans le prolongement de ce premier critère, la dimension « intégré/complémentaire » renvoie à la position et à l’importance que revêt l’activité intrapreneuriale dans les fonctions et les tâches exercées par les membres du personnel. Selon nous, cette variable possède deux composantes complémentaires.

La première a trait au contenu du travail effectué par les salariés : celui-ci suppose-t-il de réaliser des tâches de nature intrapreneuriale ? Si tel est le cas, l’intrapreneuriat peut être qualifié d’intégré : nous exprimons ainsi la correspondance de l’activité intrapreneuriale avec le travail et les tâches habituellement effectués par le salarié ou avec la définition de fonction qui caractérise sa mission au sein de l’entreprise. Dans le cas contraire, l’intrapreneuriat est dit complémentaire, traduisant le fait que la créativité et la génération d’idées innovantes ne font pas partie intégrante de la définition de la fonction et des tâches habituellement réalisées par le salarié.

La seconde composante, fortement interreliée à la première, renvoie quant à elle au caractère temporel de l’intrapreneuriat : les activités dites intrapreneuriales sont-elles réalisées en dehors des heures et du lieu de travail ou en sont-elles des composantes à part entière ? Si cette dernière posture renvoie à l’idée d’intrapreneuriat intégré, la première traduit l’idée d’intrapreneuriat complémentaire. Dans ce sens, le caractère non intégré des activités intrapreneuriales tend à faire référence à ces formes organisationnelles nouvelles où le temps de travail n’est plus ramené au temps effectif, mais devient modulable en fonction des besoins de l’organisation, par la participation à un groupe-projet prioritaire par exemple.

Dans certains des cas que nous avons étudiés, l’intrapreneuriat est totalement intégré à la mission des salariés. Dans de tels cas de figure, l’entreprise incite ses collaborateurs à innover pendant leur temps de travail, partant du principe que la plus-value potentielle qui en ressortira influe directement sur la qualité des produits/services offerts et/ou sur l’adéquation des modes de travail internes. Le cas Gaganet illustre d’ailleurs bien ce propos, étant donné le caractère prégnant et intégré de l’intrapreneuriat à l’activité quotidienne du personnel : 10 % du temps de travail des salariés est alloué à des activités créatrices. Les collaborateurs sont ainsi libres d’utiliser cette partie de leur temps de travail pour participer activement à des projets d’innovation. Un tel dispositif permet de faire émerger des projets de nature diverse tout en donnant aux collaborateurs des balises temporelles destinées à cerner les résultats de leur implication et à éviter tout écartement trop prononcé des missions qui sont les leurs. Cet exemple n’est pas isolé : de nombreuses entreprises promotrices de stratégies d’innovation tendent aujourd’hui à intégrer dans les descriptifs de fonctions de leur personnel un laps de temps disponible au développement de cette valeur. Ces firmes tendent en outre généralement à appuyer leur volonté intrapreneuriale par des politiques GRH ad hoc : plus que les questions de temps de travail et de définitions de fonctions, c’est bien souvent l’ensemble de la stratégie RH – et notamment les pratiques de recrutement, de développement des compétences et de rémunération – qui est articulée en cohérence avec les objectifs de stimulation de l’intrapreneuriat, rejoignant en ce sens les recommandations avancées notamment par Ireland et al. (2006), Eesley et Longenecker (2006) et Bouchard (2009).

D’autres entreprises, pour lesquelles l’intrapreneuriat est a priori jugé moins crucial, cherchent quant à elles à promouvoir cette activité en dehors des missions de base, voire du temps de travail de leurs collaborateurs. Par exemple, les équipes qui participent aux « challenges d’innovation » que met en place SSTF, société active dans les services sécurisés en matière de télécommunications financières, doivent s’y consacrer en dehors de leur temps de travail. Elles ne bénéficient en outre d’aucune compensation, ressource ou soutien provenant de l’entreprise ; il s’agit pour les salariés qui désirent participer à ce concours de se débrouiller pour trouver les ressources nécessaires à leur participation. La dimension « complémentaire » apparaît dans le présent cas prépondérante à plusieurs égards : les collaborateurs, en dehors de leur temps de travail, se mobilisent pour concrétiser une idée d’innovation, sans se voir allouer de supports et de ressources de la part de leur entreprise.

Cette classification « intégrée/complémentaire » n’est en outre pas nécessairement mutuellement exclusive. Une combinaison de ces deux dimensions peut dans certains cas être réalisée, notamment sur un axe temporel lié à l’avancement du projet d’innovation. La stratégie intrapreneuriale de l’entreprise Commutel est un exemple révélateur à cet égard : dans cette société de télécommunications, l’intrapreneuriat est conçu dans l’étape de génération d’idées comme une activité complémentaire, pour ensuite devenir intégré lorsqu’il s’agit de concrétiser les idées et de les transformer en innovations effectives. De façon concrète, les collaborateurs qui souhaitent développer de nouvelles idées de produits/services sont invités à prendre part à des « Entrepreneurial Training Sessions », organisées en dehors des heures de travail, souvent le week-end. Si les projets passent avec succès les étapes de sélection et sont validés par la direction de l’entreprise, les collaborateurs se voient alors libérés de leur fonction principale pour se consacrer au développement effectif de leur projet d’innovation.

4.1.3. Le critère « individuel/collectif »

Ce troisième critère fait référence à la distinction entre un mode d’intrapreneuriat qui autorise tout salarié de l’entreprise à enclencher de façon individuelle, ou isolée, le processus intrapreneurial et une approche qui privilégie la formation de groupes de travail ou d’équipes projets pour travailler sur des idées innovantes.

Dans le premier cas de figure, l’action individuelle prime toute vision collective de l’intrapreneuriat. Celui-ci est conçu essentiellement sous une optique individualiste, mettant en exergue la personnalité d’un intrapreneur comme le suggèrent Pinchot et Pellman (1999) ainsi que Burgelman (1983). Telles sont notamment les approches évoquées ci-dessus des entreprises 4Beauty et FoodSanté, où tout collaborateur peut de sa propre initiative proposer des idées de nouveaux produits/services, suggérer des améliorations aux modes de travail, etc. De nombreuses sociétés développent d’ailleurs des dispositifs concrets (voir infra) dans ce cadre, afin de permettre à chacun au sein de l’entreprise d’enclencher, de manière individuelle, le processus d’innovation et de faire preuve de sa capacité créatrice. À titre d’illustration, les collaborateurs de la chaîne hôtelière Hotcor ont la possibilité de proposer des idées quant aux processus de travail (la manière de ranger des produits sur un chariot de ménage par exemple) et/ou aux services proposés par le groupe, et ce, grâce à une application électronique vouée à cette fin. Ce faisant, chaque salarié peut, de sa propre initiative, aisément faire part de ses idées d’innovation à la direction du groupe.

A contrario, l’intrapreneuriat peut également être conçu dans une optique plus collective, à travers notamment la constitution d’équipes de projet (Brechet et al., 2009). Ces dernières ont pour objectif de faire de l’innovation un processus collectif et multidisciplinaire (Burgelman, 1983 ; Amabile et Khaire, 2008). Ce qui n’est pas sans rappeler le concept de collective entrepreneurship que proposent Toftoy et Chatterjee (2004), pour traduire l’idée d’une intégration de compétences individuelles diversifiées et complémentaires dans un groupe-projet, dans l’objectif d’engendrer une capacité collective à innover. Aux dires de ces auteurs, l’intégration dans un processus collectif tend à motiver davantage les individus à s’appuyer sur les forces de chaque membre du groupe pour atteindre un objectif commun. Ainsi, certaines des sociétés étudiées favorisent la création de groupes-projets pour des activités qui ne pourraient pas être réalisées par des salariés pris isolément, notamment en raison de leur ampleur. Outre l’exemple précité des « challenges de l’innovation » mis en place au sein de la société SSTF, le groupe mondial de l’industrie chimique Chimipharma a lui aussi conçu un concours de projets innovants qui est très prisé par les salariés. Tous les deux ou trois ans, plusieurs thèmes sont choisis et les collaborateurs sont invités à constituer des équipes multidisciplinaires pour développer ensemble de véritables projets commerciaux innovants.

Il apparaît en outre sur ce point que là où l’innovation est intégrée dans le fonctionnement quotidien de l’entreprise, elle repose souvent sur des dispositifs qui la transforment en une dynamique collective et non strictement individuelle. Par exemple, chez Commutel, entreprise de télécommunications, des « Dating Events » sont organisés à intervalles réguliers pour permettre à tout employé qui estime avoir une idée originale de la défendre et de convaincre au moins cinq de ses collègues, provenant d’autres Business Units que la sienne, de le rejoindre dans son initiative. Outre la dimension « jugement par les pairs » que revêt cette démarche permettant d’opérer un tri dans l’ensemble des idées émises, l’obligation de former des équipes multidisciplinaires, en termes de culture, mais également en termes de profils et de compétences (marketing, finance, R-D, etc.), vise à maximiser les chances de succès des projets retenus. Seules les personnes ayant réussi à mobiliser une équipe de cinq personnes issues de différents services pourront d’ailleurs prendre part à la suite de la démarche. Cet exemple traduit en outre une démarche intrapreneuriale en deux étapes, combinant les critères « individuel » et « collectif » au cours du temps : si les idées d’innovations sont générées sous une optique individuelle, elles sont par la suite développées au travers d’une démarche collective, le management de l’entreprise partant du principe que la maturation et la concrétisation des idées nécessitent un travail collaboratif de plusieurs personnes bénéficiant de compétences complémentaires.

4.1.4. Le critère « exploration/exploitation »

Ce quatrième critère fait appel à la distinction élaborée par March (1991) entre les notions d’exploitation – processus au cours duquel les organisations apprennent à raffiner leurs aptitudes et à exploiter leurs connaissances existantes, dans une optique de valorisation – et d’exploration – à savoir la recherche d’opportunités radicalement nouvelles ainsi que l’investigation de nouveaux champs d’action et d’innovation. En matière d’intrapreneuriat, la question est de savoir si les entreprises s’insèrent davantage dans une stratégie exploitative ou dans une optique explorative. En d’autres termes, les intentions intrapreneuriales des entreprises étudiées poursuivent-elles ou non une finalité de valorisation par l’entremise de la commercialisation de nouveaux produits/services ou par l’implémentation de nouveaux processus de travail ?

Sans beaucoup de surprises, au vu de la constitution de notre échantillon, la majorité des firmes que nous avons étudiées recourent à l’intrapreneuriat dans une optique d’exploitation : les idées produites sont sélectionnées selon leur potentiel de valorisation et de retombées économiques. Sans chercher à reprendre ici tous les exemples que nous avons détectés en la matière, la stratégie intrapreneuriale de la chaîne hôtelière Hotcor reflète les aspirations d’une valorisation à court terme des idées du personnel. Si chaque personne au sein de la société est invitée à présenter ses idées en vue d’améliorer la qualité du service proposé au client ou de faciliter la réalisation du travail – une femme de chambre a notamment proposé une meilleure façon de compartimenter les produits d’entretien sur les chariots sur lesquels ils sont rangés, idée qui a été diffusée comme « bonne pratique » dans tous les hôtels de la chaîne –, les suggestions sont évaluées par une équipe spécifique à partir de trois critères : son originalité, son impact potentiel et sa facilité de mise en oeuvre, ce dernier point étant prépondérant dans l’évaluation.

Cette question du potentiel de valorisation sous-tend également la philosophie des « Dating Events » que nous évoquons au point précédent : les pairs sont amenés à juger le caractère réaliste, et réalisable, des idées d’innovation émises par leurs collègues. La volonté d’exploitation qui entoure les stratégies intrapreneuriales des entreprises reflète, dans sa mise en oeuvre, les ambitions de valorisation effective des innovations projetées, ce qui conduit généralement les équipes managériales à recourir à des modes de classification et de sélection des idées avancées par les membres du personnel. De même, au sein de la société Vitroplano, les idées des membres du personnel, collectées au moyen d’une boîte à suggestions informatisée, sont analysées par une personne-relais chargée de les traduire en termes clairs et de les évaluer : cette personne a suivi une formation sur les procédures d’évaluation de projets innovants et est constamment briefée sur les ressources dont dispose l’entreprise, cela dans le but de l’aider à déceler les idées qui présentent une valeur ajoutée potentielle pour la firme, sans être trop onéreuses à mettre en oeuvre.

Toutefois, si une grande majorité des sociétés étudiées sont à la recherche d’innovations rentables économiquement – le plus souvent à court terme –, certaines perçoivent un intérêt à développer un intrapreneuriat plus exploratif. Ainsi, la société Gaganet, active dans le domaine des technologies Internet, laisse la liberté à ses informaticiens de « chercher pour chercher » pendant une partie de leur temps de travail : ceux-ci rivalisent alors d’idées en vue de créer les « outils de demain », axés sur les éventuels besoins futuristes des consommateurs. De même, le cas de la société Bluerivet est particulièrement illustratif du caractère exploratif que peut revêtir l’intrapreneuriat. Cette entreprise a constitué une équipe de « chercheurs fous », engagés afin de scruter les tendances du marché de demain : ces chercheurs sillonnent le monde, fréquentent les boîtes de nuit, assistent à des manifestations artistiques, visitent des villes particulièrement dynamiques en termes d’architecture ou d’écologie, etc., afin de recueillir un maximum d’informations sur ce qui sera « in » dans les années à venir, sans garantie que les idées qu’ils ramènent et qu’ils intègrent dans le développement et le design de « prototypes vestimentaires » répondent effectivement à des attentes du marché.

4.1.5. Le critère « produit/processus »

Ce cinquième critère n’exige guère d’explications approfondies. Il vise à distinguer les stratégies intrapreneuriales axées majoritairement sur les processus internes – méthodes de travail, processus de production, etc. – des politiques plus tournées vers les produits/services de l’entreprise. Cette classification n’est en rien mutuellement exclusive, l’intrapreneuriat pouvant concerner à la fois les produits et les processus de l’entreprise.

Comme le montrent les exemples que nous avons présentés dans les sections précédentes, nombreuses sont les sociétés où l’intrapreneuriat vise, d’une part, à améliorer les processus de fabrication, à innover dans la façon d’écouler l’offre de produits/services, à optimiser l’organisation interne et, d’autre part, à développer une nouvelle gamme de produits et de services, correspondant au métier de l’entreprise et aux attentes des publics visés. Une illustration de cette double approche de l’intrapreneuriat est celle de la société Vitroplano, présente dans le secteur du verre. Les ingénieurs de production, les délégués commerciaux, les ingénieurs du laboratoire R-D sont constamment mis au défi par leur direction pour élargir la gamme de produits de l’entreprise et mettre au point de nouveaux types de verre, notamment dans des perspectives écologiques et de meilleure isolation thermique. Mais leurs efforts d’imagination doivent également être tournés vers les processus internes de l’entreprise, dans une recherche d’amélioration continue et de gains de productivité. L’un des ingénieurs, aidés par ses ouvriers, a d’ailleurs trouvé un moyen de diminuer les pertes de matières premières lors du processus de fabrication des verres, ce qui s’est traduit par des bénéfices importants pour l’entreprise.

4.1.6. Le critère « mesuré/non mesuré »

Enfin, le sixième et dernier critère que nous mettons en exergue pour caractériser l’intrapreneuriat se réfère à la question de la mesure de l’« intensité intrapreneuriale » et de ses retombées concrètes en termes d’innovations. L’entreprise développe-t-elle ou non des outils de mesure et de suivi de l’intrapreneuriat ?

La réponse à cette question varie suivant les cas. Dans certains d’entre eux, a fortiori là où des initiatives concrètes et des outils informatisés sont mis en place pour canaliser les idées du personnel, un suivi actif de l’intrapreneuriat est réalisé de façon effective : des statistiques sont régulièrement tenues à jour sur le nombre d’idées collectées, le nombre de réalisations initiées par les employés, le nombre et le type de candidatures à un concours ou à un trophée de l’innovation, les thématiques qui font l’objet de la majorité des idées émises, le nombre de projets effectivement concrétisés, etc. Dans d’autres cas encore, l’intrapreneuriat semble être mesuré indirectement, par exemple à travers le nombre de brevets sollicités ou le nombre de groupes projets thématiques qui sont actifs au sein de certaines unités. Ces différents moyens et outils – quantitatifs la plupart du temps, qualitatifs dans certains cas – permettent au management de suivre leur stratégie intrapreneuriale et d’en mesurer les retombées pour l’entreprise. Par exemple, la personne-relais chargée de collecter et d’évaluer les suggestions du personnel chez Vitroplano joue également un rôle actif en matière de suivi et d’évaluation de l’intrapreneuriat : elle tient à jour des statistiques sur le nombre d’idées déposées, le nombre de projets concrétisés parmi celles-ci, etc. Une stratégie de suivi comparable est également mise en place au sein de la société FoodSanté, où les idées émises par les membres du personnel font l’objet d’une comptabilisation effective. De même, les « Dating Events » que nous évoquions plus haut font l’objet d’un suivi quantitatif et qualitatif poussé de la part du management de la société Commutel. Ces indicateurs constituent en outre pour certaines entreprises la base d’une politique de récompense, sous forme d’une rémunération spéciale ou d’une reconnaissance à portée plus symbolique.

Toutefois, nous constatons que peu d’entreprises de notre échantillon ont réellement réussi à développer et à mettre en place des indicateurs clés qui leur permettent de mesurer l’intrapreneuriat d’une façon pertinente. Ce concept est dès lors assez peu évalué dans la plupart des entreprises que nous avons étudiées. Ainsi, la société Distriworld, active dans la grande distribution de produits de soin et d’entretien, si elle met en place des dispositifs très visibles dans l’entreprise (événements spéciaux, groupes-projets, sponsoring), ne développe aucune évaluation ou mesure des résultats de ces activités, malgré le fait que celles-ci soient explicitement mises en oeuvre pour favoriser l’innovation. Les impacts réels en termes d’innovation de produits ou d’amélioration de processus internes ne sont nullement mesurés par le management, sans doute parce que cette société considère l’intrapreneuriat comme un outil d’amélioration de bien-être de ses employés et comme un moyen de susciter de l’innovation à très long terme, sans requérir des résultats visibles à court terme.

4.2. Nature des dispositifs intrapreneuriaux

Parallèlement à ces résultats, l’examen approfondi de nos études de cas révèle que les firmes recourent à des dispositifs plus ou moins spécifiques pour appuyer leurs pratiques en matière d’intrapreneuriat et insuffler une dynamique de créativité et d’innovation chez leurs salariés. Les dispositifs mis en place – au sens où l’entendent Bouchard et al. (2010), à savoir l’ensemble des éléments matériels, humains et symboliques visant à encourager, soutenir et encadrer les comportements intrapreneuriaux des membres du personnel – varient également selon les cas analysés, reflétant pour la plupart l’importance stratégique accordée par les dirigeants d’entreprises à l’intrapreneuriat. Dans un raisonnement analogue à celui tenu ci-dessus, deux critères différenciateurs peuvent être dégagés pour caractériser la nature intrinsèque des dispositifs intrapreneuriaux développés et implémentés par les firmes étudiées : 1) le caractère formel ou informel des dispositifs mis en oeuvre ainsi que 2) le degré de permanence des dispositifs mis en place.

4.2.1. Le critère « formel/informel »

Ce premier critère permettant de caractériser la nature des dispositifs intrapreneuriaux mis en place par les firmes étudiées fait appel à la notion de formalisation : les dispositifs en question sont-ils formalisés – par exemple au travers de modalités fixées, généralement détaillées par écrit – ou sont-ils plutôt informels et implicites ? En d’autres termes, les dispositifs intrapreneuriaux sont-ils mis en forme au travers de documents internes – notes, présentations, etc. –, d’outils informatisés – intranet, boîte à suggestions informatisée, etc. –, de critères et de processus explicites – en ce qui concerne les stratégies de sélection des projets par exemple –, de campagnes de communication pour les faire connaître, etc. ? Ou sont-ils plutôt implicites, traduisant dans ce cas l’idée d’une non-formalisation des dispositifs intrapreneuriaux ?

Il ressort de nos études de cas, et des exemples que nous proposons ci-dessus, que dans bon nombre d’entreprises les dispositifs intrapreneuriaux font l’objet d’une formalisation effective, traduite au travers de processus explicites et décrits par des procédures fixées. Ces dispositifs peuvent prendre des formes diverses. Il peut ainsi s’agir d’un outil informatisé disponible via l’intranet qui permet à tout membre du personnel de déposer ses suggestions d’innovation, comme c’est le cas chez PharmaMedi et Hotcor. Dans d’autres structures, par exemple Distriworld, l’intrapreneuriat passe par la constitution effective de groupes de projets transversaux, composés de membres de différentes business units intéressés par une thématique commune. L’intrapreneuriat peut également être formalisé au travers des définitions de fonction des membres du personnel, comme chez Gaganet, où les informaticiens se voient allouer 10 % de leur temps de travail à des missions de recherche et d’exploration de nouveaux produits. Enfin, les idées créatrices de salariés peuvent également être stimulées par des concours à l’innovation, comme c’est le cas chez ChimiPharma et SSTF, des programmes de formation particuliers, tels que l’Entrepreneurial Training Session mis sur pied par Commutel, ou des awards thématiques, ces divers exemples faisant l’objet de critères explicites et de procédures claires. Ainsi, à titre d’illustration, le concours à l’innovation mis sur pied chez Chimipharma, dont le vainqueur est récompensé par un award symbolique, repose sur des processus et des critères de sélection définis par la direction. Le concours et ses vainqueurs font par ailleurs l’objet d’une très forte médiatisation à l’intérieur de l’entreprise, par le journal d’entreprise, le bulletin électronique ainsi que par le biais de la cérémonie officielle de remise des prix, organisée en présence des hauts dirigeants du groupe.

Aux côtés de ces dispositifs formels, il en existe d’autres qui sont plus implicites, intégrés notamment à la culture d’entreprise. Non formalisés, ces dispositifs sont malaisés à décrire tant ils sont impalpables. Par exemple, dans le groupe 4Beauty précité, l’intrapreneuriat ne prend pas à proprement parler de forme particulière : il s’agit davantage d’une culture, d’une façon de penser propre au groupe, tourné vers l’innovation et l’implication des travailleurs à cette fin. Il y est très difficile pour les employés de définir précisément un outil ou de fournir des documents de référence attestant de la mise en place d’un dispositif intrapreneurial. L’intrapreneuriat est considéré comme « naturel », pleinement intégré à la culture et aux valeurs de l’entreprise, et ne repose sur aucune formalisation, que ce soit en termes de méthodes, d’outils ou de procédures. De même, chez Cyclodia, spin-off universitaire aujourd’hui devenu une importante entreprise de biotechnologie spécialisée dans le diagnostic médical, l’intrapreneuriat est totalement ancré dans la philosophie de l’entreprise : les collaborateurs sont passionnés par la recherche et sont tout naturellement invités à « créer de l’innovation ».

4.2.2. Le critère « ponctuel/permanent »

Ce second critère axé sur la caractérisation des dispositifs intrapreneuriaux renvoie à la fréquence de mise en oeuvre de ces dispositifs par les firmes. Ceux-ci sont-ils ponctuels ou s’avèrent-ils au contraire permanents ? Au travers de cette dichotomie temporelle, nous faisons la distinction entre des dispositifs mis en place ponctuellement dans l’organisation, soit sous forme d’initiatives « one-shot », soit sous forme d’actions renouvelées de façon occasionnelle au cours du temps, notamment quand le besoin s’en fait sentir, et des dispositifs intrapreneuriaux qui s’insèrent davantage dans la permanence et dans la continuité de la stratégie de l’entreprise.

Nos études de cas reflètent sur ce point de nombreuses initiatives que l’on peut qualifier de ponctuelles. Sans revenir ici sur des exemples concrets préalablement évoqués, nous pouvons illustrer le caractère ponctuel de certaines initiatives par le cas, assez emblématique, de la société PharmaMédi, où un dispositif intrapreneurial a été développé dans un but clairement avoué : réussir à développer le plus rapidement possible, à la suite de la forte pression concurrentielle, le projet de mise sur le marché d’un nouveau vaccin. Le dispositif promulgué par la firme consiste en la mise sur pied d’un groupe de travail spécifique au sein duquel sont détachés, pour une période de temps déterminée, des collaborateurs de l’entreprise possédant des compétences complémentaires, afin de former une équipe multidisciplinaire entièrement consacrée au développement du vaccin en question et de médicaments associés. Cette initiative ponctuelle – le groupe de travail a été dissous depuis : ses membres sont retournés dans leur unité d’appartenance et ont repris en charge leurs activités initiales – a permis à l’entreprise de « regrouper ses forces vives » autour d’un objectif commun, par ailleurs couronné de succès.

A contrario, certaines sociétés inscrivent leurs dispositifs dans la durée, ces dispositifs étant alors qualifiés de permanents. Ceux-ci, par leur caractère permanent, autorisent l’entreprise à les mobiliser pleinement dans sa stratégie globale et à favoriser une logique intrapreneuriale continue. Les boîtes à suggestions électroniques mises en place par exemple par Vitroplano et Hotcor s’insèrent dans cette logique : comme nous l’évoquions précédemment, ces outils permettent aux collaborateurs des entreprises en question de proposer leurs idées et de faire valoir leur potentiel créatif auprès de leurs dirigeants ; ces dispositifs sont en outre accessibles de façon continue, font l’objet d’une pérennisation et sont pleinement intégrés dans la philosophie de l’entreprise. De même, le développement d’une culture tournée vers l’intrapreneuriat, même si l’on ne peut parler à cet égard d’un dispositif formel (voir supra), se caractérise également par son caractère permanent et continu : comme c’est le cas chez 4Beauty, Gaganet et FoodSanté, l’intrapreneuriat est considéré comme « naturel », pleinement intégré à la culture et aux valeurs de l’entreprise, lesquelles incitent de façon continue les collaborateurs à faire preuve d’esprit d’initiative et de créativité ainsi qu’à s’impliquer dans des projets innovants.

4.3. Grille de lecture des approches stratégiques de l’intrapreneuriat

La combinaison des différents critères susmentionnés, que nous synthétisons dans le tableau suivant, offre une multitude de « modèles intrapreneuriaux » possibles ainsi que des situations concrètes fortement contrastées en termes de stratégies intrapreneuriales adoptées par les entreprises. La grille de lecture qui en résulte permet à cet égard de caractériser, autour des huit facteurs clés objectivables mis en exergue par notre étude empirique, les approches stratégiques que les entreprises mettent en place en matière d’intrapreneuriat.

Certains de ces facteurs ne sont d’ailleurs pas sans rejoindre des tendances explicatives relevées dans la littérature. Ainsi, notre distinction « partiel/total » relative à l’ampleur de la cible visée par l’intrapreneuriat recoupe en partie les modèles organisationnels susmentionnés de l’enclave, de la dissémination et de l’imprégnation proposés par Basso et Legrain (2004) ainsi que les réflexions de Brugelman (1983) sur le caractère intégré ou séparé des activités intrapreneuriales. De même, le caractère « individuel/collectif » du processus intrapreneurial rappelle les débats notamment soulevés par Pinchot (1985), Pinchot et Pellman (1999), Toftoy et Chatterjee (2004), Amabile et Khaire (2008), Brechet et al. (2009) et Bouchard (2009) sur le concept même d’intrapreneuriat : celui-ci est-il avant tout le résultat de l’action d’une personnalité créatrice qui prend une initiative innovante au sein de l’entreprise ou doit-il au contraire être conçu comme une action collective menée par des équipes-projets constituées de personnes présentant des profils complémentaires ? Les travaux de Bouchard (2009) et Bouchard et al. (2010) sur le caractère spontané ou induit de l’intrapreneuriat ainsi que sur la présence ou non de dispositifs concrets voués à insuffler, à appuyer et à orienter les activités intrapreneuriales trouvent également écho dans nos réflexions, plus particulièrement lorsque nous nous interrogeons sur l’existence et le degré de formalisation des initiatives mises en place par les entreprises pour stimuler la génération d’idées créatrices de la part des salariés.

Si ces éléments mis en lumière dans de précédents travaux émergent également de notre approche du terrain, ils sont en outre complétés et intégrés à d’autres facteurs qui, cumulés, permettent de caractériser les dynamiques intrapreneuriales des entreprises au travers d’une perspective multiple et novatrice par rapport aux écrits existants sur le sujet.

Tableau 1

Grille de lecture des approches stratégiques de l’intrapreneuriat

Grille de lecture des approches stratégiques de l’intrapreneuriat

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5. Des stratégies intrapreneuriales contrastées

Les propos et les exemples précédents soulignent l’hétérogénéité des stratégies d’entreprises en matière d’intrapreneuriat ainsi que la diversité des dispositifs sur lesquels elles appuient leur politique. Chacune des firmes étudiées tend en outre à développer une approche de l’intrapreneuriat qui lui est propre, basée sur une combinaison des huit critères clés que nous mobilisons dans le cadre de cette étude et que nous avons synthétisés dans la grille de lecture présentée ci-dessus. Ce constat nous invite à prolonger notre réflexion analytique autour d’une double interrogation complémentaire. Partant du principe, sous-jacent à nos propos précédents, que certaines firmes se montrent plus intrapreneuriales que d’autres, les approches de l’intrapreneuriat que privilégient ces entreprises peuvent-elles être classifiées d’une certaine manière, à partir des critères caractéristiques que nous mettons en exergue au point précédent ? Si oui, comment cette différence d’intensité se traduit-elle dans les pratiques et les dispositifs mis en oeuvre ?

Telle est la double question à laquelle nous tentons de répondre ci-dessous, en mettant en interrelation les différents critères susmentionnés pour analyser les stratégies des firmes en matière d’intrapreneuriat au lieu d’appréhender celles-ci sur la seule base de critères dichotomiques isolés. Ce faisant, nous rejoignons les principes sous-jacents à la perspective configurationnelle selon lesquels des phénomènes donnés ne peuvent s’expliquer par des facteurs considérés indépendamment les uns des autres, mais bien par des modèles, ou des clusters, de pratiques se renforçant mutuellement au travers d’une congruence plus ou moins affirmée (Meyer, Tsui et Hinings, 1993 ; Delery et Doty, 1996).

À cet égard, le critère « intégré » de l’intrapreneuriat nous paraît constituer un point de départ particulièrement pertinent pour notre réflexion. Renvoyant à la position et à l’importance que revêt l’activité intrapreneuriale dans le contenu des tâches qui sont attribuées aux membres du personnel, cette dimension permet dans une certaine mesure de caractériser la volonté et l’intensité intrapreneuriales voulues par les dirigeants d’entreprise. Celles-ci apparaissent en outre à priori d’autant plus fortes si les responsables d’entreprises en question développent et mettent en place des dispositifs formels pour appuyer leur ambition intrapreneuriale et inciter leurs salariés à faire preuve de créativité. Ces deux dimensions – intrapreneuriat intégré/dispositifs formalisés – forment dès lors les points d’ancrage de notre raisonnement suivant, où nous différencions les approches stratégiques des firmes qui privilégient un intrapreneuriat de type intégré de celles qui le voient plutôt sous un angle complémentaire, le tout mis en perspective à partir de la nature formalisée ou non des dispositifs sur lesquels elles basent leur approche de l’intrapreneuriat.

5.1. Stratégie des entreprises « intrapreneuriales per se »

À la lumière des enseignements tirés de nos études de cas, il appert que les entreprises qui développent une stratégie intrapreneuriale de type intégré voient dans cette perspective une réelle opportunité de développer et de concrétiser des innovations par l’entremise des idées et de l’implication des membres du personnel. Que la cible visée par les dispositifs intrapreneuriaux soit totale – l’ensemble du personnel – ou partielle – des membres de certains services –, suivant les cas, l’innovation et l’intrapreneuriat font partie intégrante des valeurs et de la culture de ces structures : les salariés y sont constamment incités à faire preuve d’esprit d’initiative et à suggérer des pistes de développement pour les activités de l’entreprise.

L’examen approfondi de nos études de cas caractérisées par un intrapreneuriat intégré nous amène toutefois à souligner une certaine gradation dans les approches stratégiques de ces entreprises. Là où certaines d’entre elles basent leur stratégie intrapreneuriale quasi exclusivement sur leur culture d’entreprise, tournée vers l’innovation, sans développer d’autres formalismes, que ce soit en termes de méthodes, d’outils ou de procédures, d’autres entreprises répondant à ce critère d’intrapreneuriat intégré mettent, quant à elles, en oeuvre des dispositifs concrets, traduits au travers d’outils et de procédures explicites, pour appuyer davantage leur approche : des sessions de formation, des séminaires spécifiques ou encore l’organisation de concours à l’innovation sont organisés en vue de développer l’esprit intrapreneurial des membres du personnel. Dans ce cas, si le rôle de la culture d’entreprise reste prégnant dans la stimulation de l’intrapreneuriat, celui-ci est en outre favorisé par le recours à divers dispositifs formels et spécifiques.

Figure 1

Gradation des dispositifs intrapreneuriaux mobilisés par les entreprises « intrapreneuriales per se »

Gradation des dispositifs intrapreneuriaux mobilisés par les entreprises « intrapreneuriales per se »

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Cette distinction dans les dispositifs mis en oeuvre – informels, d’une part, et formels, d’autre part – se répercute sur deux autres caractéristiques clés de l’intrapreneuriat : le caractère mesuré ou non de celui-ci ainsi que sa philosophie première, tournée vers l’exploitation ou l’exploration. En effet, si la seule présence d’une culture tournée vers l’innovation peut favoriser un intrapreneuriat aussi bien exploratif qu’exploitatif, le développement de dispositifs intrapreneuriaux spécifiques et formalisés va toutefois de pair avec une finalité de valorisation et de commercialisation des innovations. Les initiatives mises en place par les entreprises pour favoriser l’intrapreneuriat le sont dans une optique claire : rentabiliser les développements entrepris et profiter de retombées économiques. Dans la même logique, si l’absence de dispositifs formels conduit généralement l’entreprise à ne pas mesurer l’« intensité intrapreneuriale » de ses salariés, le développement de tels outils formels et la mise en place de politiques incitatives s’accompagnent systématiquement d’une mesure effective de l’intrapreneuriat basée sur divers indicateurs. Les outils et procédures en question poursuivent généralement une double finalité, corrélée : 1) stimuler l’intrapreneuriat au sein de l’entreprise et 2) assurer un suivi et une évaluation des initiatives mises en place.

Il ressort par conséquent de ces propos un cluster de pratiques qui apparaissent corrélées et congruentes : plus les entreprises basent leur stratégie sur un intrapreneuriat intégré et des dispositifs formels mis en place pour le soutenir, plus elles orientent leur approche sur une finalité d’exploitation et recourent à des indicateurs stricts de suivi, comme l’illustre le schéma suivant.

Figure 2

Clusters de pratiques et d’approches de l’intrapreneuriat des entreprises « intrapreneuriales per se »

Clusters de pratiques et d’approches de l’intrapreneuriat des entreprises « intrapreneuriales per se »

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Notons que l’intrapreneuriat apparaît également impulsé au sein de cette dernière catégorie d’entreprises par des choix organisationnels adaptés et des pratiques de GRH alignées sur les objectifs recherchés. Par exemple, sur ses dimensions principales, la stratégie RH de ces sociétés s’intègre pleinement dans l’optique intrapreneuriale qui y est poursuivie ; la politique RH est elle aussi mobilisée comme stimuli de l’intrapreneuriat, par la mise en place de dispositifs adaptés, complémentaires à ceux évoqués précédemment : plans de formation adaptés, mise en place d’incentives ou d’awards liés à l’innovation, description de fonction intégrant la dimension intrapreneuriale, dynamique d’évaluation particulièrement prononcée, etc. Autant d’exemples qui viennent renforcer le caractère formel des dispositifs mis en oeuvre par ces firmes pour encourager et stimuler les comportements intrapreneuriaux des salariés.

Outre donc une corrélation de caractéristiques liées à l’intrapreneuriat proprement dit, ces propos soulignent l’interrelation et la cohérence qui existent entre de multiples dimensions – stratégiques, organisationnelles, RH – et les approches de l’intrapreneuriat que privilégient ces entreprises, que nous pourrions qualifier d’« intrapreneuriale per se », tant l’innovation et l’intrapreneuriat y jouent un rôle primordial et intégrateur de différentes pratiques.

5.2. Stratégie des entreprises « récolteuses d’idées »

Si l’examen approfondi des stratégies intrapreneuriales de type intégré permet de mettre en exergue des pratiques et des variables qui sont à la fois complémentaires et corrélées, l’étude des approches de l’intrapreneuriat de type complémentaire n’offre pas autant de résultats significatifs. La créativité et la génération d’idées innovantes ne faisant pas partie intégrante de la stratégie – au sens premier du terme – de l’entreprise et des activités habituellement réalisées par les membres du personnel, l’intrapreneuriat ne fait pas l’objet de véritables politiques de stimulation, comme dans le cas précédent.

Certes, dans de nombreux cas, des dispositifs formels sont instaurés pour favoriser l’émergence d’idées au sein de l’entreprise : les salariés sont invités à faire part de leurs suggestions au management, voire à s’impliquer dans certains groupes-projets quand l’occasion leur en est donnée. Mais sans toutefois que cette politique soit jugée cruciale par l’entreprise, qui tente davantage de promouvoir cette activité intrapreneuriale en dehors des missions de base de ses collaborateurs, voire de leur temps de travail (intrapreneuriat complémentaire). Ce faisant, l’intrapreneuriat n’est nullement stimulé par des pratiques organisationnelles et/ou GRH ad hoc. Si certaines des firmes étudiées présentant ces caractéristiques instaurent parfois des politiques de formations adaptées et/ou de récompenses – uniquement symboliques –, aucune réflexion approfondie n’est véritablement développée au sein de ces entreprises quant à une éventuelle mobilisation de pratiques organisationnelles et RH spécifiques, afin d’y insuffler une réelle logique intrapreneuriale.

Dans cette optique, la forte hétérogénéité des approches de l’intrapreneuriat relevée chez ces entreprises, que nous qualifions de « récolteuses d’idées » en raison du caractère limité de leur politique intrapreneuriale, ne nous permet pas de mettre des critères donnés en interrelation ni de proposer des clusters de pratiques corrélées, comme dans le cas précédent. En outre, on est en droit de s’interroger, à la lumière des débats de la littérature spécialisée, sur la pertinence du qualificatif intrapreneurial adjoint à ces pratiques – par essence restreintes – de collecte d’idées. En effet, si certains pans de la littérature considèrent sans ambiguïté la génération d’idées potentiellement innovantes comme le point de départ de tout processus intrapreneurial, d’autres courants adoptent une posture inverse tout aussi tranchée : pour eux, la dynamique intrapreneuriale ne peut être approchée en termes de collecte d’idées, mais doit au contraire être appréhendée sous une optique créatrice et génératrice d’innovations effectives.

Conclusion

Notre investigation exploratoire des enjeux de l’intrapreneuriat et des formes que celui-ci peut prendre au sein des entreprises nous amène à souligner la très grande diversité des pratiques intrapreneuriales des entreprises et des dispositifs censés les stimuler. Comme le suggère notre examen de 17 cas d’entreprises réputées recourir à l’intrapreneuriat, le caractère polysémique de celui-ci autorise à penser que l’intrapreneuriat peut être appliqué « à la carte » par les entreprises, tantôt sous une configuration très explicite et formelle, tantôt sous un aspect plus diffus et non formalisé, tantôt sous une forme combinée et/ou intermédiaire.

À cet égard, notre analyse nous conduit plus particulièrement à proposer six critères clés permettant de caractériser le type d’approche de l’intrapreneuriat que privilégient et retiennent les entreprises ainsi que deux dimensions permettant de cerner la nature intrinsèque des dispositifs développés et implémentés par les firmes en vue d’insuffler une dynamique de créativité et d’innovation chez leurs salariés. Agrégées dans une grille de lecture des pratiques d’entreprises en matière d’intrapreneuriat, ces variables sont par la suite mises en perspective et interreliées pour discuter plus en avant les relations d’influence susceptibles d’exister entre la nature et les finalités des politiques intrapreneuriales retenues par les entreprises et les choix structurels posés en conséquence.

Ces premières tendances et les résultats initiaux tirés de notre démarche empirique nécessitent toutefois des travaux de recherche et d’analyse complémentaires en vue de les affiner et de les consolider. Une étude quantitative devrait ainsi nous permettre de valider à plus large échelle aussi bien nos tendances explicatives que notre proposition de grille de lecture des pratiques intrapreneuriales. De même, une analyse plus fine des stratégies adoptées par les entreprises en matière d’intrapreneuriat, intégrant des variables délaissées au cours de cette contribution, par exemple les effets de la taille de l’entreprise ou encore de l’historique de l’approche intrapreneuriale, devrait nous permettre d’étayer nos propositions de caractérisation, voire de les enrichir par des enseignements complémentaires sur les dynamiques concrètement mises en oeuvre par les firmes en matière d’intrapreneuriat.

En particulier, un examen approfondi des dispositifs auxquels recourent les entreprises dans la concrétisation de leurs aspirations intrapreneuriales pourrait certainement offrir, dans la lignée des travaux récemment entrepris par Bouchard (2009), une vision plus précise des stimulants de l’intrapreneuriat et de leurs conséquences en termes d’implication des salariés, de génération d’idées innovantes, de concrétisation de ces dernières et de retombées effectives pour les entreprises. Une analyse des facteurs structurels, stratégiques, organisationnels, RH et culturels que les entreprises mobilisent dans ce cadre permettrait certainement d’enrichir un objet de recherche qui reste encore peu exploré, alors qu’il est reconnu comme étant un vecteur potentiel d’innovations stratégiques pour les entreprises capables de s’en saisir.