Article body

Comme on le devine aisément, cet ouvrage collectif émane d’un colloque placé, cette fois, sous l’égide de l’Université du Littoral. Il s’agissait alors du Xe Colloque FACIL (Forum annuel de la création et de l’innovation du Littoral) et, pour employer une expression du monde des sports, les responsables du FACIL, sans avoir toujours la tâche facile (jeu de mots trop… facile) sont parvenus en 2010 à créer leur Centre de l’entrepreneuriat local. Pas moins de 14 auteurs, en majorité français, ont collaboré à cet effort collectif. En fait, comme il s’agit en réalité de contributions individuelles, le responsable de l’édition n’a pas jugé opportun de partager le tout en trois ou quatre parties comme on le voit souvent pour ce type d’ouvrage. Si l’entrepreneuriat se voit ici jumelé au concept de territoire, on comprendra que ce dernier se trouve abordé suivant son aptitude à favoriser la création d’entreprises en tirant profit de la synergie dégagée par les acteurs locaux. On pense ici au rôle que joue l’encastrement social et culturel dans l’entrepreneuriat. Vu ainsi, le territoire entrepreneurial, selon G.A. Kokou Dokou, prend la forme d’un creuset d’innovations et de créativité dont les moteurs font appel à l’appartenance territoriale, aux réseaux et à toute forme de capital social auquel il est fait abondamment allusion dans ces pages.

L’ordonnancement des différents chapitres peut paraître arbitraire même si on a eu soin de garder pour la fin des illustrations s’appliquant à Moscou, Tunis et Manaus, donnant ainsi un certain cachet exotique à l’ensemble. Les territoires concernés ici sont en fait des villes de dimension relativement importante. La ville entrepreneuriale se présente comme un territoire ouvert bien pourvu en compétences diverses. Mais, disons-le tout de suite, si des centaines d’auteurs se voient offrir l’honneur d’être cités (parfois un peu trop), il n’est nullement question dans cet ouvrage (et c’est peut-être mieux ainsi) des travaux de Richard Florida, comme si ce dernier ne faisait partie que du seul univers des économistes ou autres urbanistes.

Le tout débute par quelques éléments fondamentaux assortis d’exemples permettant de bien saisir ce que représente une ville entrepreneuriale. Celle-ci doit miser sur un capital réparti en trois sous-ensembles : économique, culturel et, bien sûr, social. Fallait-il préciser, comme le révèlent de nombreuses études, que la création d’activités s’effectue davantage dans les villes (surtout les métropoles) que dans les villages ou dans les campagnes ? Le spécialiste de la PME rurale que je suis opine du bonnet ( !). Oui, il vaut toujours mieux être riche et en santé que pauvre et malade, comme dit Yvon Deschamps. Sept pages de tableaux comprenant un vaste ensemble de villes et de régions françaises illustrent les propos des trois responsables de ce premier chapitre, lequel se termine par une section sur l’importance d’une politique volontariste territoriale. Le chapitre suivant traite des fameux pôles de compétitivité. On sait qu’ils font appel à trois types d’acteurs : les entreprises, les centres de recherche et les institutions de formation sur un territoire bien circonscrit. Pour les aborder, l’auteur a jugé utile de donner la définition de l’entrepreneuriat adoptée par un collectif d’enseignants : « Une dynamique de création et d’exploitation d’une opportunité d’affaires par un (ou plusieurs) individu(s) via la création de nouvelles organisations à des fins de création de valeur. » Voilà, le lecteur se voit bien averti.

Suit un chapitre dont sont responsables nos amis Nadine Levratto et Olivier Torres : « Le classement européen des villes entrepreneuriales ». Il s’agit ici du classement ECER 2009 (European Cities Entrepreneurship Ranking)[1] basé sur l’indice de satisfaction des entrepreneurs suivant cinq dimensions :

  • la promotion (événements de tout genre) ;

  • l’anté-création (différentes formes d’appui : juridiques, formation, etc.) ;

  • la postcréation (accompagnement, gestion opérationnelle, etc.) ;

  • le financement (soutiens privés et publics) ;

  • l’environnement économique (cadre de vie, facilités de transport, réseaux, développement durable, etc.).

Comme indiqué, ces cinq thèmes visent à la fois à recenser l’acte entrepreneurial dans une logique de processus et à cerner le phénomène entrepreneurial dans sa globalité. Une méthodologie sophistiquée, respectueuse des règles de l’art, ayant recours à un questionnaire téléphonique, a permis de contacter, en moyenne pour chacune des 37 villes sélectionnées, entre 50 et 100 entrepreneurs ayant démarré leur entreprise trois ans plus tôt. Le choix des villes est basé sur l’European Cities Monitor de Cushman & Wakefield et comprend les capitales de plus d’un million d’habitants et les métropoles de plus d’un million et demi d’habitants. Un premier tableau, comprenant la mesure globale (somme des cinq dimensions) de l’indice de satisfaction, montre qu’Helsinki, Stockholm et Munich remportent en ordre les trois premières places alors que Londres, Rome, Paris, Athènes, Manchester, Copenhague et Birmingham ferment la marche. Ce piètre résultat de grandes capitales parmi les plus célèbres serait lié au fait que les entrepreneurs ne constitueraient pas des cibles privilégiées de la part des services économiques municipaux de villes qui, pourrait-on dire, ont d’autres chats à fouetter. Quant au positionnement d’Helsinki, il suffit de connaître les travaux de notre ami L. J. Filion pour ne pas s’en surprendre : l’entrepreneur y est très choyé. De ce classement, les auteurs dégagent l’idée qu’une politique efficace de développement économique territorial doit favoriser l’implantation de firmes tout en corrigeant les défaillances du marché. Ils pensent également à la fourniture d’avantages susceptibles d’engendrer des rendements croissants d’agglomération. Chose certaine, le lecteur québécois souhaiterait bien voir comment se positionnerait Montréal à l’intérieur d’un tel échantillon.

Le cinquième chapitre est l’oeuvre du responsable de l’ouvrage qu’il termine sur un constat que ne réfuteraient pas les auteurs du chapitre précédent : l’entrepreneuriat apparaît aujourd’hui comme un phénomène de société au coeur des villes. En effet, il signale que ce sont les ambitions et la volonté de l’ensemble de la population qui permettent à certaines villes (voir chapitre précédent), comme Helsinki, Munich, Lille et Lyon, de figurer en tête de l’indicateur des satisfactions des entrepreneurs. Toujours sous la même plume, le chapitre suivant flatte l’égo de notre ami P.-A. Fortin qui se voit cité pas moins de…11 fois. Ici, malgré l’absence des L. J. Filion et autres P.-A. Julien, les Québécois se partagent l’honneur de la majorité des 15 références bibliographiques. Comme il importe de ne pas se contredire, quitte à se répéter, on peut lire (p. 171) qu’un territoire se développe principalement grâce à la dynamique entrepreneuriale des acteurs qui le composent. Toujours en lien avec le classement ECER, l’auteur fait part de facteurs « hard » d’implantation. Se retrouvent ici les facteurs de rapprochement et les infrastructures, le coût des terrains, la fiscalité, l’offre de travail, le voisinage du marché. Avec le chapitre suivant, peut-être plus inspiré puisqu’il prend appui cette fois sur pas moins de cinq pages de références bibliographiques, G. A. Kokou Dokou rend justice aux Filion, Julien et compagnie. Il est à nouveau question de démarches d’accompagnement à la création d’entreprises dont le processus est vu comme un écosystème constitué par les agents socioéconomiques d’un territoire donné. On peut lire qu’un bon accompagnement consiste à faire prendre conscience des différentes étapes d’un projet tout en favorisant les anticipations. Par ce chapitre, l’auteur cherche à préciser le contenu de l’esprit d’entreprise au sens de la création réussie. Pour ce faire, il rappelle différents aspects de l’innovation vue par Schumpeter.

Avec les trois études de cas, réparties sur trois continents, le lecteur obtient une intéressante présentation de la problématique entourant l’accompagnement de l’entrepreneur, vu ici comme étant le porteur d’un projet ou celui qui, une fois son rêve réalisé, se doit de faire face aux exigences de son évolution.