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La contribution théorique : une grande oubliée

Faire de la recherche, comme l’a bien exprimé Anne Huff (1999), c’est s’engager dans une « conversation » entre producteurs de connaissances. Que fait chacun d’eux exactement ? En se fondant sur des idées tirées des travaux des autres, y compris en les remettant en question, il pose une question à laquelle personne n’a encore répondu, une question en mesure de faire évoluer ces idées, donc une question ayant un intérêt théorique. Puis, il met en place un appareil conceptuel et méthodologique en vue de répondre à cette question de manière convaincante.

En ce sens, le métier de chercheur, c’est de produire des connaissances. Ce qui signifie d’abord que, à strictement parler, l’univers du chercheur, c’est celui des connaissances, pas celui de la réalité elle-même. Le chercheur n’intervient pas directement sur la réalité, sinon lorsqu’il juge essentiel de le faire pour mieux la connaître ou la comprendre, comme dans le cas de la recherche-action. Fondamentalement, le travail du chercheur est toujours d’ordre intellectuel.

Mais ces connaissances doivent également être d’ordre théorique. Pourtant, plusieurs recherches ayant requis énormément d’efforts ne nous apprennent à peu près rien de nouveau sur le plan théorique. Cette absence de contribution théorique constitue probablement la cause première du refus par un rédacteur ou une rédactrice en chef d’une revue savante de publier leurs résultats. Dans de nombreux cas, l’apport principal de ces travaux, lorsqu’il y en a un, est surtout social et aurait pu s’inscrire, avec quelques ajustements, dans le cadre de rapports préparés par des consultants pour des entreprises, associations, gouvernements ou autres organismes.

Bien sûr, ces connaissances théoriques sont susceptibles d’avoir une pertinence sociale, c’est-à-dire d’intéresser gestionnaires ou autres intervenants et, conséquemment, d’avoir un impact sur la réalité concrète ; d’ailleurs, cette utilité des connaissances théoriques est devenue aujourd’hui un élément crucial pouvant justifier l’acceptation ou le rejet d’un texte soumis à une revue savante. Mais ce qu’on attend foncièrement du chercheur, c’est d’abord et avant tout que son travail apporte une contribution dite « théorique ». Cependant, cette notion n’est pas toujours très claire ou, à tout le moins, ne fait pas consensus.

Notion de théorie

Si l’on se fie à l’usage qu’en font les chercheurs, une théorie peut désigner un ensemble de variables ou de facteurs liés de façon causale ou non, une hypothèse ou un ensemble d’hypothèses représentées graphiquement ou non, une explication de la relation constante qui existerait entre différentes variables et qui témoignerait ou non d’une loi de la nature, une ou plusieurs convictions tenues pour acquises (et associées à un paradigme ou une vision de la réalité), une interprétation d’un événement singulier comme on en fait chaque jour de notre vie, et d’autres choses encore. Dans la majorité des cas, au risque d’accommoder déraisonnablement tous ceux qui revendiquent le droit d’employer ce terme, une théorie renvoie à une explication plus ou moins générale d’événements plus ou moins singuliers (Cossette, 2004).

Des termes comme « théorie », « modèle » et « cadre conceptuel » sont souvent confondus, malgré les efforts de certains chercheurs pour bien les distinguer. Ainsi, selon Shapira (2011), une théorie désigne « une structure analytique ou système qui cherche à expliquer un ensemble particulier de phénomènes empiriques » (p. 1313), alors qu’un modèle serait un outil évalué davantage en fonction de son utilité concrète que de sa valeur explicative profonde. Quant au cadre conceptuel, il fournirait une façon d’organiser ses observations de manière claire et cohérente, mais sans permettre de prédire, contrairement à une théorie ou à un modèle ; comme exemple de cadre conceptuel, on peut penser aux trois phases du processus de changement planifié proposées par Lewin : dégel ou décristallisation, instauration du changement et regel ou recristallisation. Ces distinctions entre théorie, modèle et cadre conceptuel ne sont certainement pas sans intérêt, mais les chercheurs semblent s’adapter plutôt bien à l’ambiguïté apparente entre tous ces termes et les utilisent fréquemment comme s’ils étaient des synonymes.

Pour compliquer un peu les choses, plusieurs chercheurs utilisent l’adjectif « théorique » à différentes sauces que les puristes trouvent parfois difficiles à digérer. Ainsi, opposer théorique à pratique est sûrement légitime, mais ne doit pas faire oublier que le théorique est ordinairement très pratique et que les actions d’un praticien sont inévitablement guidées de façon plus ou moins explicite par ses théories personnelles. Par ailleurs, classifier les articles comme théoriques ou empiriques est évidemment très commode (ou pratique…), mais ne doit pas laisser croire, cela va sans dire que seuls les premiers doivent apporter une contribution théorique. On pourrait aussi noter que le monde théorique est parfois vu comme un univers inexistant, aux antipodes du monde réel. Finalement, insulte suprême dans certains milieux, le théorique serait la drogue des « pelleteux de nuages » qui n’arrivent pas à se convertir aux vertus du concret. Bref, selon les contextes, si ce n’est pas théorique, c’est pratique, empirique, réel ou concret, pour le meilleur ou pour le pire. Surtout pour le meilleur, diront certains, le mot « théorique » étant souvent employé dans un sens défavorable et ayant même parfois une connotation clairement péjorative.

Qu’est-ce qu’une contribution théorique ?

Si les chercheurs naviguent habituellement plutôt bien dans ces eaux sémantiques assez troubles, c’est sans doute parce que tant les rédacteurs en chef de revues savantes que les évaluateurs auxquels ils font appel manifestent une grande ouverture relativement à ce qu’est une contribution théorique. Aux yeux de la plupart de ces experts, les formes que peut prendre une telle contribution sont à la fois nombreuses et variées. À quelques exceptions près, elles s’inscrivent dans l’une ou l’autre des deux grandes démarches suivantes : hypothético-déductive et inductive.

Dans le cadre d’une recherche hypothético-déductive, l’apport théorique provient habituellement de la mise à l’épreuve d’une théorie existante ou de certaines de ses hypothèses dans un contexte particulier. S’il s’agit d’une théorie ou d’hypothèses nouvelles avancées par le chercheur, la contribution sera alors considérée comme plus importante. De mon point de vue, les liens qui pourront alors être établis témoigneront de régularités construites plutôt que naturelles, c’est-à-dire créées, maintenues et transformées par les principaux acteurs de cette situation.

Il arrive que l’originalité de cette mise à l’épreuve consiste simplement à la réaliser dans un contexte différent de celui d’autres recherches (par exemple, en Afrique ou en Asie plutôt qu’en Amérique, dans le domaine des télécommunications plutôt que dans celui de l’aéronautique). Dans un tel cas, il peut certainement y avoir encore un apport théorique, parce que le travail accompli permet d’ajouter ou d’enlever du crédit à une théorie ou d’en préciser les limites ou conditions d’application ; toutefois, la plupart du temps, il ne s’agit pas d’un apport théorique majeur. Il en serait de même d’une recherche visant à déterminer l’impact d’une variable modératrice (ou contingente) sur la relation entre d’autres variables, ou encore d’une variable médiatrice (ou intermédiaire) entre ces variables. Ces apports ne sont évidemment pas sans intérêt, mais ils donnent rarement lieu à une publication dans une revue savante de très haut niveau.

Dans le cadre d’une recherche inductive, l’apport théorique sera généralement de proposer un nouveau construit, une nouvelle théorie ou de nouvelles hypothèses, un nouveau modèle, un nouveau cadre conceptuel ou une nouvelle typologie susceptibles d’être ensuite mis à l’épreuve. Cet apport se manifeste normalement à la suite d’études exploratoires ou descriptives au cours desquelles le chercheur examine en profondeur (par exemple, à l’aide d’une observation participante ou d’entrevues non dirigées) ou de façon détaillée (par exemple, à l’aide d’une observation structurée) quelques cas traités comme fondamentalement uniques en vue de comprendre un phénomène sur lequel nous possédons peu de connaissances.

Cette diversité des formes que peut prendre une contribution théorique considérée comme acceptable dans la plupart des revues savantes ne s’arrête pas là, même s’il faut s’éloigner de la définition très générale que j’en donnais dans la section précédente. Ainsi, toujours en lien avec des travaux dits de recherche ou empiriques (donc, réalisés à partir d’un cadre méthodologique précis et détaillé), l’analyse systématique (ou métaanalyse) des articles publiés sur un objet donné, l’étude rigoureuse de la pensée d’un auteur reconnu pour son apport exceptionnel ou encore la mise à l’épreuve d’une méthode (technique, outil ou procédé) de recherche ou d’intervention constituent des contributions bienvenues dans de nombreuses revues savantes.

Pour apporter une contribution théorique, il faut avoir un objectif (ou une question[1]) de recherche clair et bien justifié, en amont et en aval. Je m’explique.

Conditions préalables à un apport théorique

La colonne vertébrale d’une bonne recherche ou les conditions de base pour qu’elle donne lieu à une contribution théorique sont les suivantes : un objectif de recherche clair, solidement problématisé à partir de l’état actuel des connaissances et intéressant sur le plan théorique. Si ces trois conditions ne sont pas satisfaites, au moins à grands traits dès l’introduction du texte dans la plupart des cas, il serait très étonnant qu’on puisse repérer par la suite un apport théorique dans le travail du chercheur.

Ainsi, au départ, toute recherche doit avoir un objectif, et il doit être très clair. Comme un objectif renvoie à un résultat à atteindre, l’emploi de mots comme aborder, étudier, examiner, mettre l’accent sur, s’intéresser à ou, pis encore, s’efforcer de, essayer de ou tenter de est à proscrire parce qu’ils ne permettent pas d’évaluer à la fin, quantitativement ou qualitativement, dans quelle mesure l’objectif de la recherche a effectivement été atteint. Dans le cas d’une recherche hypothético-déductive, des expressions telles que mettre à l’épreuve (une théorie ou certaines de ses hypothèses, par exemple) ou établir dans quelle mesure il y a un lien entre différentes variables se prêtent nettement mieux à la formulation d’un objectif ; alors que, dans le cas d’une recherche inductive, des termes tels que déterminer ou mettre en évidence (les caractéristiques d’un phénomène ou d’un ensemble d’activités, ou encore les étapes d’un processus, par exemple) conviennent très bien.

Cette exigence de clarté s’applique tout aussi bien à la formulation de l’objectif d’une recherche qu’à celle des questions ou des hypothèses particulières auxquelles il donne souvent lieu. Cet objectif de recherche est habituellement présenté de façon générale – mais pas vague, ni floue – dès les premiers paragraphes d’un article, alors que les questions ou hypothèses figurent normalement dans une ou des sections précédant celle du cadre méthodologique de la recherche. Notons aussi que l’objectif d’une recherche et son objet ne doivent pas être confondus ; comme on l’a vu plus haut, c’est un verbe qui rend compte du premier, mais c’est un nom (innovation, processus décisionnel, structure financière, cycle de vie d’un produit, etc.) qui désigne l’objet d’une recherche.

Deuxième condition, l’objectif d’une recherche (et, le cas échéant, chacune de ses questions ou hypothèses spécifiques) doit être bien « problématisé », c’est-à-dire justifié, sur le plan théorique, à partir de l’état actuel des connaissances. Ici, le chercheur se tourne vers le passé et examine attentivement ce qui s’est écrit sur l’objet de sa recherche, en vue d’y découvrir un « trou » ou plutôt, pour mieux refléter le caractère construit de tout problème de recherche, d’en creuser un. On s’attend à ce que le chercheur organise ou structure la présentation de cette revue de littérature de manière à conclure en l’existence d’un problème[2] qu’il exprime généralement dans une phrase débutant par le mot « Cependant ». Il peut s’agir, par exemple, du peu d’attention accordé à un phénomène donné, de l’absence ou du faible développement de certains modèles, théories ou cadres de référence, des résultats ambigus, imprécis ou contradictoires des recherches portant sur le lien entre deux ou plusieurs variables, de l’adhésion plus ou moins consciente à des convictions tenues pour acquises (assumptions) identiques ou très semblables dans la quasi-totalité des recherches sur tel objet ou encore de l’utilisation des mêmes approches ou techniques pour étudier un même construit. C’est ce vide théorique qui permet au chercheur de positionner sa recherche par rapport aux travaux déjà réalisés, tant dans la formulation de l’objectif de sa recherche que dans celle des questions ou des hypothèses auxquelles il donne naissance. À ce sujet, il faut souligner avec force que les questions et, surtout, les hypothèses propres à une recherche ne peuvent pas tomber du ciel ; pour reprendre les mots de Weick (1995, p. 389), le chercheur doit préciser sans équivoque « pourquoi ces hypothèses plutôt que d’autres ».

Pour justifier ainsi en amont l’objectif de sa recherche, de même que ses questions ou hypothèses, il faut posséder une connaissance approfondie de la littérature savante sur l’objet précis de sa recherche. Aussi attaché qu’un chercheur puisse être à la langue française, il ne peut pas aujourd’hui s’en tenir uniquement ou même principalement aux articles parus dans des revues francophones, malgré la qualité indéniable de nombreux articles publiés dans ces revues. Évaluateurs et rédacteurs en chef repèrent vite les auteurs qui n’ont qu’une connaissance très limitée de la littérature pertinente.

Finalement, dernière condition préalable à l’existence d’un apport théorique, l’objectif d’une recherche doit être justifié en aval, c’est-à-dire que le chercheur doit mettre en relief l’intérêt théorique de le poursuivre. Comme l’écrivait Schminke (2004), ce n’est pas parce qu’il y a un trou qu’il faut le remplir ! Par exemple, ce n’est pas parce qu’il n’y a jamais eu de recherche sur la couleur des bâtiments abritant une PME qu’il doit y en avoir une. Là, le chercheur pose un regard sur l’avenir plutôt que sur le passé. Il se prononce sur la valeur ajoutée anticipée de son travail, c’est-à-dire sur ce que sa recherche nous apprendra d’intéressant sur le plan théorique. Il peut insister – pas plus d’un paragraphe tout de même, à ce moment-ci – sur la nature de l’éclairage nouveau qu’apportera sa recherche, sur l’ajout de précision ou de robustesse à telle théorie, telle classification ou tel modèle descriptif ou explicatif, sur la richesse qu’amènera la remise en question de certaines convictions tenues pour acquises, perspectives, théories ou approches, sur la réduction de l’incohérence dans les résultats de certaines recherches portant sur le même objet…

Si je me fie à mon expérience d’évaluateur de textes soumis en vue d’une publication dans une revue ou d’une communication dans un congrès, l’objectif de plusieurs recherches n’a qu’un intérêt théorique très marginal. C’est le cas, notamment, lorsque le résultat est déjà largement prévisible. Par exemple, vaut-il vraiment la peine de consacrer des centaines d’heures à déterminer dans quelle mesure il y a un lien entre l’innovation dans une entreprise et son rendement, ou encore entre le leadership des dirigeants et la motivation des employés ?… Par ailleurs, si l’objectif fondamental d’une recherche est de nous apprendre quelque chose sur la Chine, le Québec ou la Tunisie, ou encore sur Bombardier, Telmex ou Total, alors cet objectif n’a pas véritablement d’intérêt théorique et les résultats de cette recherche ne sont pas destinés à une revue savante.

Reconnaître qu’il y a des conditions préalables à l’existence d’un apport théorique ne signifie pas qu’il y aura effectivement contribution théorique si ces conditions sont respectées. Les trois conditions discutées plus haut doivent être vues un peu comme les fondations d’une maison : si elles ne sont pas solides, la maison ne le sera pas non plus ; mais même si cette maison repose sur des fondations solides, il n’est tout de même pas impossible qu’elle soit mal construite… Dans le cas d’une recherche, on n’a qu’à penser au « comment » le chercheur s’y est pris pour atteindre l’objectif de sa recherche, c’est-à-dire à la façon plus ou moins adéquate dont il a procédé sur le plan méthodologique.

Repérage de l’apport théorique

C’est peut-être dans la section d’un article portant sur la discussion des résultats qu’on voit le mieux la présence – ou l’absence – de contribution théorique, généralement beaucoup plus que dans les résultats eux-mêmes. Le plus souvent, c’est à ce moment précis que le chercheur met en relief de façon plus ou moins convaincante ce que les résultats de sa recherche nous ont appris de nouveau et d’intéressant sur le plan théorique. Il le fait d’abord en présentant une synthèse originale des résultats de sa recherche, de manière à bien faire ressortir la plus-value de son travail. Mais il insiste également sur les implications théoriques de cet apport… théorique ( ! ! !) en montrant en quoi il nous amène à penser de manière différente et, en ce qui concerne d’autres intervenants comme les gestionnaires, à agir de façon différente. Ce qui va notamment conduire le chercheur à suggérer de nouvelles voies de recherche (nouvelles hypothèses, nouveaux modèles, nouveaux cadres conceptuels, etc.).

Trop souvent, le chercheur traite un peu à la légère cette discussion des résultats de sa recherche, comme s’ils n’en valaient pas la peine. Parfois, il est assez évident que c’est l’absence de contribution théorique qui explique la grande pauvreté de cette discussion. En clair, si la recherche ne nous a rien appris de neuf sur le plan théorique, de quoi peut-on discuter ? Mais il arrive également que le chercheur, un peu épuisé à la suite de son travail ou pressé de le soumettre pour publication dans une revue ou communication dans un congrès, ne réalise pas qu’une discussion approfondie des résultats de sa recherche constitue une façon de lui donner du poids, c’est-à-dire de reconnaître la valeur de son propre travail. Il rate ainsi une occasion en or de convaincre les évaluateurs et le rédacteur en chef de la qualité de sa recherche.

Conclusion

La dimension théorique est la grande oubliée de nombreux travaux de recherche, au désespoir des évaluateurs et des rédacteurs en chef de revues savantes. Malheureusement, un texte dans lequel il n’y a pas de contribution théorique est en pratique un texte mort, du moins en ce qui concerne sa diffusion dans une revue savante. Dans mon langage, ce texte ne deviendra jamais un article et il a toutes les chances d’être symboliquement estampillé du sigle RIP (rien à voir avec RIPME…).

Pour éviter ce petit drame intellectuel et personnel – en fait, il est rarement « petit » aux yeux de ceux qui le vivent –, le plus important est peut-être que le chercheur s’assure au départ que l’objectif de sa recherche est très clair, solidement problématisé à partir de l’état actuel des connaissances et intéressant sur le plan théorique. Un chercheur prudent et bien averti n’hésitera pas à soumettre son projet de recherche (ou, en particulier, l’introduction du texte qui rendra éventuellement compte de toute sa recherche quand elle aura été réalisée) à la critique de généreux collègues et amis aux dents bien aiguisées. C’est parfois au cours d’un tel exercice que le chercheur découvre des lacunes importantes dans la justification en amont et en aval de l’objectif de sa recherche, c’est-à-dire dans le « pourquoi » et le « pour quoi » (en deux mots) de son travail ou, pour reprendre une distinction proposée par Schütz (1953) dans un tout autre contexte, dans les motifs « parce que » et « afin de » derrière (et devant) l’objectif de sa recherche. C’est un peu comme si le passé et le futur se tenaient la main pour déterminer le présent.

Lorsqu’on demande à un chercheur où est la contribution théorique de son travail et qu’il répond « elle est partout », c’est habituellement qu’elle est nulle part ou, au mieux, qu’elle est très confuse. Pourtant, le plus souvent, cette contribution devrait pouvoir être résumée en une seule phrase, notamment en vue d’une citation. Il est infiniment triste de penser qu’autant d’efforts aient pu être consacrés à une recherche sans intérêt théorique, ce qui aurait normalement dû être décelé dès le départ.

Personne n’a jamais dit qu’il était facile d’apporter une contribution d’ordre théorique. Mais ceux qui y parviennent en tirent généralement une immense satisfaction. Une recherche qui a une valeur ajoutée reconnue sur le plan théorique, même si cet apport n’est pas nécessairement majeur, permet au chercheur de participer à la conversation avec ses pairs. C’est d’abord ça le métier de chercheur.

Cette chronique s’appuie en partie sur le contenu du petit ouvrage suivant : P. Cossette, Publier dans une revue savante. Les 10 règles du chercheur convaincant, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2009, 115 p.