Comptes rendus

Louis Jacques Filion, Claude Ananou et Christophe Schmitt, Réussir sa création d’entreprise sans business plan, 2012, Paris, Eyrolles, 320 p.[Record]

  • Olivier Germain

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  • Olivier Germain
    Département de management et technologie, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal

Ce nouvel opus orchestré par Louis Jacques Filion et Claude Ananou, rejoints par Christophe Schmitt, s’inscrit dans le prolongement d’une précédente livraison des deux premiers auteurs (De l’intuition au projet d’entreprise : Une nouvelle approche pour la conception de projets d’affaires, Transcontinental, 2010), dont il reprend et enrichit certains chapitres, abandonne les dimensions plus opérationnelles de la création d’entreprises, et à laquelle il ajoute notamment des approches plus expérientielles de conception des projets entrepreneuriaux. Car le terme « projet » est sans doute ce qui caractérise le mieux à la fois le chemin qui mène l’entrepreneur à la création d’une organisation et l’ambition pédagogique de cet ouvrage soucieux de se tenir au plus près du vécu de l’entrepreneur, vécu fait de tâtonnements, d’un travail de construction de sens et d’un effort continu de conception. Ainsi, le projet n’est pas ici envisagé au sens où l’entendent notamment les tenants d’une approche rationnelle, séquentielle et instrumentale de la gestion de projet, mais s’appuie sur une perspective d’essence plus anthropologique, celle de Jean-Pierre Boutinet. Le projet entrepreneurial en tant qu’anticipation opératoire est « une production singulière ébauchée par un acteur individuel ou social en vue d’être réalisée » (Boutinet, 1999, p. 49). Par son caractère pronominal, le projet de création est donc intimement lié à la singularité du créateur. Mais il est aussi un arrachement à la banalité. Sa dimension opératoire fait par ailleurs du projet la « règle directrice pour l’action à entreprendre », « la condition indispensable pour mener, grâce à l’anticipation, une action efficace » (Boutinet, 2004a, p. 28-29). Il a donc une fonction d’ordonnancement des décisions et des actions de l’entrepreneur. Parler de la création comme d’une conduite à projet, c’est montrer que tout projet entrepreneurial reste sous-tendu par une intentionnalité, une tension dans la relation à l’objet créé (Boutinet, 2004b, p. 136). Mais le projet de création est de la catégorie des « projets mous […] qui tolèrent voire impliquent un certain jeu d’indétermination entre les projections opérées et les réalisations qui vont s’ensuivre » (Boutinet, 2004a, p. 60), parce qu’il se fabrique dans l’action, « toujours à reprendre » (Boutinet, 1999). C’est ainsi que le « plan d’affaires », qui tenait une certaine place dans la précédente version du volume, se trouve ici jeté aux oubliettes de l’entrepreneuriat, comme l’indique le sous-titre « Sans business plan ». En tout cas, ce qui relève du « totalitarisme d’une conception planificatrice » de la création d’entreprises, ne supportant « aucun écart », « aucune improvisation » entre la conception et la réalisation, est abandonné (Boutinet, 2004, p. 114). On pourrait débattre longuement de ce point de vue. À ce titre, la lecture d’un numéro entier qu’y consacre la revue Entreprendre et Innover est intéressante pour questionner cet outil de la création (Revue Entreprendre et Innover, 2012/3, n°15). Certains sauveront in extremis le bébé de l’eau du bain, en relevant son rôle d’intermédiation, de construction d’un sens partagé, l’outil adaptable de pilotage qu’il peut constituer, etc., et diront, dans un élan de pragmatisme, qu’il répond au diktat incontournable de la recherche de fonds. Toutefois, il y a matière à s’interroger sur cette insistance à vouloir montrer l’importance de respecter des normes pour l’entrepreneur, et le plan d’affaires en est une (Delmar et Shane, 2004), là où tout laisse penser que le projet entrepreneurial se forme avant tout dans la recherche de singularité. En ce sens, l’ouvrage de Filion, Ananou et Schmitt nous invite à suivre le singulier parcours de l’entrepreneur en proposant une démarche opératoire mêlant intuition, expérimentation, conception « chemin faisant », etc. Ainsi l’ouvrage, …

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