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Introduction

La responsabilité sociétale de l’entreprise[1] (RSE) est un sujet récurrent de débats tant dans les milieux des affaires que dans ceux des recherches académiques. La RSE considérée comme la contribution du monde des affaires au développement durable (DD), a été définie par la Commission européenne comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. » (Livre Vert, 2001, p. 8).

Un ensemble de normes internationales a vu le jour afin de fournir aux entreprises des outils standards et reconnus mondialement, permettant la prise en compte des intérêts et des préoccupations des différentes parties prenantes : la qualité pour les clients avec l’ISO 9000, le respect de l’environnement avec l’ISO 14000, la santé et sécurité des salariés avec l’OHSAS 18001, etc.

La vague de la RSE a emporté essentiellement les grandes entreprises et n’a porté que peu d’éclairage sur les pratiques des PME en la matière (Observatoire des PME européennes, 2002 ; Lapointe et Gendron, 2004 ; Quairel et Auberger, 2005 ; Gendre-Aegerter, 2008 ; Berger-Douce, 2009), ignorant ainsi leurs caractéristiques propres. Ceci constitue une remise en cause profonde de leurs spécificités (Torrès, 1997), dont l’une des principales réside dans la place centrale des schèmes cognitifs de leurs dirigeants dans la formation de la stratégie.

Dans le cadre de cet article, notre problématique porte sur la perception de la RSE par les dirigeants des PME. Pour cela, nous posons les questions de recherche suivantes : comment les dirigeants de PME certifiées perçoivent la RSE ? Existe-t-il une différence de perception avec les dirigeants de PME non certifiées ?

En d’autres termes, est-ce que la certification implique un niveau de familiarisation avec le concept de RSE plus élevé et une perception des risques et des enjeux sociétaux plus claire par les dirigeants ?

Nous nous interrogeons dans ce travail sur les réalités et les enjeux de la RSE pour les PME tunisiennes[2] tels que vécus par les dirigeants dont la responsabilité sociale est difficilement dissociée de celle de leurs entreprises (Paradas, 2011).

Dans ce sens, une étude exploratoire est menée auprès des dirigeants de PME[3] tunisiennes qui sont, soit explicitement engagées dans une démarche RSE de par leur certification environnementale ou sociale, soit ne possèdent aucun engagement explicite. Ceci s’inscrit dans une logique de comparaison des différentes perceptions de la RSE et d’en extraire les facteurs d’explication.

Notre recherche est scindée en deux parties :

  • La première partie a pour objectif d’aborder la thématique de la responsabilité sociétale : ses fondements normatifs et ses spécificités dans le cas des PME et celle de la cognition managériale.

  • Dans la seconde partie, nous détaillerons nos choix méthodologiques adoptés pour répondre à la problématique envisagée et nous présenterons les résultats obtenus et les commentaires qui en découlent.

1. La RSE : ses fondements normatifs et ses spécificités dans les PME

La RSE est la traduction managériale du DD (Gendre-Aegerter, 2008 ; Ben Boubaker-Gherib, 2009). En effet, la RSE fait partie intégrante de ce concept et peut être comprise comme l’apport des entreprises au DD et implique une triple performance : environnementale, sociale et économique. Déjean et Gond (2003) font la différence entre les définitions institutionnelles et celles théoriques de la RSE. La plupart des définitions élaborées dans la sphère institutionnelle accordent une place centrale à l’engagement de l’entreprise en spécifiant que cet engagement doit aller au-delà des obligations et des attentes légales. Les organisations et institutions définissent la RSE en fonction des parties prenantes les plus importantes pour elles, selon leur nature et leur secteur d’activité ou leur degré d’internationalisation. Les définitions académiques du concept se distinguent par la volonté de fournir un cadre d’analyse général indépendant des objectifs propres à une organisation donnée (Déjean et Gond, 2003). En général, ces définitions insistent sur le fait qu’elle recouvre des dimensions qui dépassent les aspects purement économiques ou légaux de l’activité de l’entreprise.

1.1. Les fondements normatifs de la RSE

Du point de vue normatif, nous assistons depuis les années 1980 à l’émergence de règles, notamment par la mise au point de référentiels internationaux (GRI[4]), des codes de conduite des entreprises (Global Compact[5], les principes directeurs de l’OCDE[6], etc.) ou des certifications, normes ou labels (SA 8000, ISO 14001, ISO 26000, etc.), jusqu’aux audits sociaux ou environnementaux. Ces références visent à inciter les entreprises à s’engager dans des démarches volontaires de RSE telles que : le respect des droits humains, le respect des droits fondamentaux au travail, la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption.

Nous pouvons déjà dénombrer un certain nombre de référentiels en la matière qui permettent, à différents niveaux, d’évaluer la mise en oeuvre de la RSE de manière concrète. L’un des premiers est le système de management environnemental et d’audit (EMAS) de l’Union européenne. Il s’agit d’un règlement détaillant les procédures pour la participation volontaire des entreprises au système d’audit sur leur management environnemental et la mise à disposition au public des résultats.

La norme standard SA 8000 (Social Accountability Standard 8000), initiée par le Council on Economic Priorities et gérée par Social Accountability International (SAI), concerne les conditions de travail, l’interdiction du travail des enfants ou du travail forcé. L’Organisation internationale de normalisation (the International Organization for Standardisation, ISO) a produit la série de normes 14000 pour l’ensemble des normes qui concernent le management environnemental. La plus connue est la norme ISO 14001 qui vise à mesurer l’impact de l’activité d’une entreprise sur l’environnement. Elle a été initiée en 1996 et révisée en 2000 ; elle prend en compte des aspects environnementaux significatifs tels que les émissions dans l’air, les rejets dans l’eau, la contamination des sols, la gestion des déchets, l’utilisation des matières premières et des ressources naturelles, et la série ISO 9000 qui concerne le management de la qualité. L’Organisation internationale de normalisation a aussi élaboré la norme ISO 26000 qui peut s’avérer utile puisqu’elle va devenir pour les entreprises une référence incontournable en matière de conduite responsable (Trébucq, 2010).

1.2. La recherche sur la RSE dans les PME

L’intérêt pour la responsabilité sociétale des PME est récent (Lapointe et Gendron, 2004). Le nombre de recherches académiques se rapportant au sujet est en croissance (Quairel et Auberger, 2005 ; Paradas, 2006 ; Berger-Douce, 2007, 2009 ; Ondoua Biwolé, Spence et Ben Boubaker-Gherib, 2008 ; Ben Boubaker-Gherib, 2009 ; Jenkins, 2009 ; Nielsen et Thomson, 2009 ; Bonneveux et Calme, 2010 ; Labelle et Aka, 2010 ; Labelle et St-Pierre, 2010 ; Russo et Perrini, 2010 ; Abdirahman et Sauvée, 2011 ; Fassin, Van Rossem et Buelens, 2011).

Les théories conçues dans le contexte de la grande entreprise ne peuvent être que partiellement appliquées à la PME (Jenkins, 2004, 2009). Les particularités de ces entités économiques de faible taille (Torrès, 1997) font que l’intégration des principes de gestion y présente un défi majeur et répond à des motivations spécifiques (Ben Boubaker-Gherib, Spence et Ondoua Biwolé, 2009). Aussi, la plupart des méthodologies ont été développées pour être appliquées dans des entreprises de grande taille, de façon à garantir aux parties prenantes une certaine « éthique » dans leurs activités. En effet, ces méthodologies de RSE peuvent présenter des critères qui ne sont pas toujours appropriés ou qui ne touchent pas complètement la réalité de ce type d’organisation. Par contre, le manque d’applicabilité de ces méthodes mondialisées ne nous empêche pas d’utiliser ces méthodologies comme guides ou paramètres afin d’évaluer la gestion de la RSE dans les PME. Si nous considérons que fondamentalement la RSE fait référence à des valeurs telles que l’éthique vis-à-vis de la société, de l’environnement, des collectivités locales, etc., il devient plus facile d’interpréter la gestion responsable et d’adapter une application aux PME.

Quairel et Auberger (2005) ont proposé une grille de lecture stratégique de la RSE en PME. Suivant leur approche, les efforts entrepris constituent des éléments de réponse aux attentes formulées par les dirigeants de PME et, plus largement, par la société civile. Ces mêmes auteurs proposent la théorie des parties prenantes comme cadre théorique pertinent pour la modélisation de la RSE indépendamment de la taille des entreprises. Dans le processus managérial des PME, la relation entre l’entrepreneur et les parties prenantes ne s’analyse pas comme une relation d’agence, mais comme une relation de dépendance à l’égard des ressources. Plus récemment, Ben Boubaker-Gherib et al. (2009) ont construit un cadre théorique pour l’étude de l’engagement des PME du Sud dans la voie du DD. Elles montrent que la théorie néo-institutionnaliste suivant laquelle l’entreprise est encastrée dans un milieu social et la théorie entrepreneuriale s’intéressant aux valeurs personnelles des dirigeants sont appropriées pour analyser cet engagement.

Par ailleurs, Spence, Ondoua-Biwolé et Ben Boubaker-Gherib (2007) avancent que les approches économiques et organisationnelles permettent à leurs auteurs de révéler que l’engagement des entreprises dans la RSE s’explique prioritairement par les critères organisationnels et environnementaux. Ils ajoutent que si ce constat est vraisemblable pour les grandes entreprises, il reste que les critères organisationnels représentent un préalable important, mais ne constitue pas un phénomène déclencheur de l’engagement de la PME dans des pratiques de RSE, en particulier à cause du rôle prépondérant de son dirigeant. Nous comprenons alors, pourquoi les PME semblables au plan des critères organisationnels et environnementaux, mais dirigées par des individus aux personnalités différentes, n’adoptent pas toutes des stratégies de RSE. La forte centralisation souvent observée dans les petites entreprises donne au dirigeant et à ses motivations une place très importante. Dans sa petite entreprise, le dirigeant est souvent seul maître à bord (Paradas, 2006). C’est de la vision de ce dirigeant que tout va dépendre (Bayad et Garand, 1998). Au centre de la réflexion, il sera alors considéré comme le pivot de la RSE et semble devoir montrer une certaine éthique qui peut renvoyer directement au concept de parties prenantes, comme le montre Courrent (2003)[7]. L’auteur pose en effet l’éthique comme un rapport à autrui. Les responsables ne peuvent que se représenter l’intérêt des autres. Les différentes parties prenantes à satisfaire ont souvent des vues antagonistes et le décideur lui-même peut chercher à satisfaire ses propres intérêts. Le dirigeant ne représente finalement qu’une partie prenante parmi d’autres (Paradas, 2006).

Néanmoins, son point de vue sur le positionnement de son entreprise domine tous les autres. Afin de prendre en compte la diversité des approches des entrepreneurs au regard de la stratégie de leur propre affaire, Berger-Douce (2007) propose une matrice des stratégies d’engagement sociétal des entrepreneurs basée sur le croisement de l’engagement social et de l’engagement environnemental. Quatre types de stratégies ont été mises en lumière et illustrées par des cas d’entrepreneurs : la stratégie rituelle, la stratégie réactive, la stratégie proactive et la stratégie mobilisatrice. « La matrice proposée est conçue comme un outil susceptible de faire évoluer les schémas de pensée des entrepreneurs ». (Berger-Douce, 2007, p. 67).

Un pas de plus vers une conception de la RSE comme construction sociale et cognitive est franchi par Ben Boubaker-Gherib et al. (2009) qui fournissent un modèle conceptuel privilégiant les perceptions des dirigeants. Leur modèle est basé sur une typologie de perceptions qui oscillent entre : le « devoir faire » et le « vouloir faire ». Suivant cette approche, l’engagement des PME dans la RSE est avant tout dû aux valeurs personnelles du dirigeant, cette personnification de la stratégie de l’entreprise étant confirmée par le modèle d’« opportunités d’affaires » de la RSE en milieu PME permettant au dirigeant d’influencer les valeurs et la culture d’entreprise proposées par Jenkins (2009). Le rôle clé du dirigeant dans la définition de la stratégie de RSE est confirmé par Abdirahman et Sauvée (2011) dans une étude sur les PME agroalimentaires. Ce rôle est fondamental au cours de la phase de sensibilisation alors que l’organisation cherche à augmenter sa prise de conscience de l’intérêt de la RSE. Cette dernière se présente en définitive comme un devoir moral et une obligation de satisfaire les besoins des parties prenantes (Russo et Perrini, 2010 ; Fassin et al., 2011).

Cette recension de la littérature nous permet de constater que la RSE dans le domaine des PME est en émergence ; les fondements épistémologiques et théoriques à ce sujet sont en construction (Labelle et Aka, 2010). Cependant, c’est un domaine qui focalise l’attention des chercheurs et des praticiens, notamment des dirigeants de PME. Dès lors, il convient d’étudier les perceptions des dirigeants pour la compréhension et l’analyse des pratiques de la RSE dans la PME.

2. La cognition managériale 

Dans le but d’esquisser une définition de la cognition managériale, un éclaircissement préalable de la notion de cognition semble essentiel. Codol (1989, p. 474)[8] définit la cognition comme « l’ensemble des activités par lesquelles toutes les informations que l’individu reçoit sont traitées par un appareil psychique : comment il les reçoit, comment il les sélectionne, comment il les transforme et les organise, et comment il construit ainsi des représentations de la réalité et élabore des connaissances ».

Dans une publication plus récente, Cossette (2008, p. 3) précise que « la cognition est liée à la pensée ou à la connaissance. Le plus souvent, elle désigne une fonction particulière à laquelle sont associées des activités ou des processus se rapportant à l’intelligence humaine. De façon générale, l’étude de la cognition concerne le traitement de l’information et les connaissances qui le permettent ou qui en résultent ».

Dans les recherches sur l’organisation, la dimension cognitive est largement reconnue (Cossette, 2008). Usuellement, l’approche cognitive des organisations distingue deux niveaux d’analyse (Schneider et Angelmar, 1993) :

  • Le niveau individuel ou managérial : la cognition managériale s’étudie au niveau individuel ; elle part de l’idée que l’étude du processus mental du décideur permet de mieux appréhender le processus de formulation de sa stratégie. La cognition individuelle s’intéresse principalement au processus de décision.

  • Le niveau organisationnel ou collectif : l’organisation est considérée ici comme un ensemble d’interactions sociales. L’extension de l’approche cognitive au niveau organisationnel a permis de définir d’autres comportements organisationnels tels que l’apprentissage, le changement et la performance.

Dans un état de l’art sur la cognition managériale et organisationnelle, Walsh (1995) conclut qu’il existe une diversification des champs d’investigation. Il dresse la liste des différents auteurs ayant étudié le contenu de la structure des connaissances selon le niveau d’analyse, que le travail soit théorique ou empirique et selon que l’étude se focalise sur la représentation, sur le développement ou sur l’utilisation des connaissances.

Ces modèles de classification aident certainement à mettre de l’ordre dans cette imposante littérature, mais ils ne nous renseignent guère sur l’usage que les chercheurs font du concept de cognition. Comme l’ont bien noté Meindl, Stubbart et Porac (1994), il n’y a pas de nomenclature de termes cognitifs, ni même de consensus sur ce qui est cognitif et sur ce qui ne l’est pas. Un vocabulaire étendu, que certains associent à la cognition (intentions, croyances, langage, interprétation, représentation, schèmes, etc.), semble exister, mais le mot « cognition » lui-même (ou ses dérivés) en est souvent exclu (Meindl et al., 1994 ; Cossette, 2008).

En résumé, les individus d’une organisation ne sont pas de simples acteurs mus par des injonctions externes. Ils agissent en fonction de leurs croyances et valeurs. Nous pouvons même dire qu’une organisation n’a pas de comportement différent de celui des individus qui la composent. Dans ce sens, une organisation est le produit de la cognition de ses acteurs et, dans le cas d’une PME, principalement de son dirigeant. On retrouve ici les enseignements des recherches en stratégie de l’entreprise (Mintzberg, 1973 ; Gupta, 1984) centrées sur la cognition managériale. Elles considèrent la stratégie comme un ensemble de décisions ponctuelles et qui dépend fondamentalement du fonctionnement mental du dirigeant de l’entreprise.

L’approche cognitive des organisations considère que la pensée du dirigeant de l’entreprise est l’élément clé pour comprendre et expliquer ses décisions stratégiques (Gendre-Aegerter, 2008). Ainsi, un nouveau courant de recherche s’est développé ces dernières années et qui fait apparaître de nouvelles dimensions cognitives remettant en question la rationalité du processus de prise de décision des managers (Lauriol, 1998).

Le champ de recherche de la cognition managériale s’est développé durant les années 1990 avec l’étude du processus de décision et de la formation des stratégies (Lauriol, 1998). L’objet central de la recherche en cognition managériale est l’étude du sens donné par les individus à l’environnement qui les entoure (Cossette, 2008). Ainsi, l’intérêt de la cognition managériale se trouve dans l’importance qu’elle accorde aux éléments de nature cognitive tels que la perception ou l’interprétation dans la formation de la pensée managériale (Lauriol, 1998).

Dans une approche cognitive, l’organisation est perçue comme en partie ou en totalité créée par les individus qui agissent sur elle et non comme un organisme obéissant à une série de lois scientifiques (Cossette, 2003). Nous sommes passés d’une image de l’entreprise comme étant un système formalisé à une image de l’entreprise comme système social faisant apparaître de nouvelles dimensions cognitives (Ehlinger, 1997).

Pour conclure, il apparaît que les chercheurs en management stratégique montrent un intérêt grandissant pour l’étude de la cognition des dirigeants. Le dirigeant n’est plus l’Homo oeconomicus à la rationalité parfaite prônée par le modèle néo-classique, mais devient un individu à la rationalité limitée devant traiter l’information surabondante qu’il reçoit. Ce gain d’intérêt est encouragé par la reconnaissance de l’importance des perceptions des décideurs dans l’étude du processus de prise de décision stratégique.

L’avancée de la recherche sur la responsabilité sociétale des PME confirme la place que prend le dirigeant dans la définition d’une stratégie de RSE. C’est en raison de cette influence capitale que notre étude empirique se focalise sur la perception du dirigeant de PME, de la RSE.

3. Méthodologie et principaux résultats

3.1. Choix méthodologique

L’objectif de cette recherche consiste à explorer les représentations des dirigeants de PME de la responsabilité sociétale des entreprises. Afin d’en comprendre les moteurs et les freins de l’engagement des dirigeants de PME dans une démarche RSE, ce travail propose une recherche abductive et exploratoire basée sur une méthodologie qualitative s’appuyant sur les résultats d’études de cas (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 2003[9]). Les cas ont été choisis non pas pour des motifs statistiques de généralisation, mais pour des raisons tenant à la représentativité de l’objet de la recherche. En effet, cette méthode cherche à explorer des phénomènes sociaux, à les représenter et, donc, à les comprendre.

Afin de mieux cerner notre problématique et dans le but d’une validité interne, nous avons adopté une triangulation des modes de production des données principalement basés sur trois sources :

  1. des entretiens avec des experts (cabinets de consulting social, API[10]) pour dresser un état des lieux du cadre incitatif tunisien en faveur de la RSE, puis identifier les PME certifiées et enfin pour valider l’outil de collecte de données ;

  2. des entretiens individuels semi-directifs avec les dirigeants de PME tunisiennes ;

  3. une recherche documentaire comprenant divers documents fournis par les entreprises et les sites des entreprises sélectionnées le cas échéant.

La source primaire de données provient des entretiens semi-directifs avec les dirigeants de PME, administrés sur une période de 3 mois et chacun ayant duré une heure en moyenne. Les données secondaires de l’entreprise ainsi que les résultats des entrevues précédentes ont été revus avant les entretiens.

Dans cette recherche, l’unité d’analyse est le dirigeant. La définition de la taille de l’échantillon n’est pas effectuée dès la première étape, mais à l’issue du processus de l’enquête. De ce fait, l’échantillon a été constitué progressivement par itérations successives, chaque élément ayant été sélectionné par choix raisonné. L’échantillon a été construit à travers des entrevues avec des experts de quelques organismes tunisiens qui promeuvent la RSE (API, cabinets de consulting social).

Notre sélection des dirigeants se base sur le critère de la définition d’une PME retenue par le décret 2008-388 du 11 février 2008, portant encouragement des nouveaux promoteurs, des PME, des petites entreprises et des petits métiers. Selon ce décret, est considérée comme une PME toute entreprise dont l’investissement total est inférieur à 5 millions de dinars, fonds de roulement inclus. Notre étude empirique consiste à faire une comparaison entre les perceptions des dirigeants de PME tunisiennes, explicitement engagées dans une démarche RSE et les perceptions d’autres dirigeants de PME tunisiennes qui ne manifestent aucun engagement explicite. Nous considérons que les PME explicitement engagées dans la RSE suivent les normes internationales dans ce domaine en mettant en place des systèmes de gestion de la qualité, de l’environnement, de la santé et sécurité des employés, etc. Différentes normes sont à considérer suivant les outils d’opérationnalisation de l’engagement RSE de l’entreprise qu’elles permettent de prendre en compte. Il peut s’agir de la dimension économique (ISO 9001), de la dimension environnementale (ISO 14001) et de la dimension sociale (OHSAS 18001, SA 8000). Nous avons retenu la certification selon au moins deux normes comme critère de différentiation entre les entreprises étudiées, car elle est facilement identifiable (toutes les entreprises industrielles certifiées figurent dans la base de données de l’API) et qu’elle peut être considérée comme un indice de l’engagement de l’entreprise dans une démarche de RSE.

À ce stade de l’analyse, il s’agit de confronter les perceptions des moteurs et des freins liés à une démarche RSE. L’objectif est de dégager des points de convergences et des points de divergences entre toutes ces perceptions et d’en identifier les facteurs explicatifs. Les cas ont été choisis dans des secteurs d’activité diversifiés afin de tenir compte de la réalité du tissu économique tunisien. Les firmes qui ne possèdent aucun engagement agissent dans les mêmes secteurs d’activités que les firmes certifiées. Ce choix se justifie par l’objectif de la confrontation de résultats comparables.

Notre échantillon se compose de huit dirigeants de PME (deux femmes et six hommes). Quatre de ces PME sont certifiées selon les normes ISO 14001, ISO 9001, OHSAS 18001 (une est en cours de certification SA 8000). Elles appartiennent toutes au secteur industriel (industrie chimique, textile, agroalimentaire, produits cosmétiques). La présentation des huit dirigeants de PME tunisiennes est proposée dans le tableau 1.

L’étude fondée sur des entretiens semi-directifs avec des dirigeants de PME a été réalisée à l’aide d’un guide d’entretien. Nous avons cherché à saisir la perception du concept de la RSE ainsi que les freins et les moteurs liés à une démarche de RSE. Trois séries de questions le structurent : comment les dirigeants de PME perçoivent-ils le concept de RSE ? Quels sont leurs motivations et leurs freins pour la mise en place de démarches liées à la RSE ? Comment les impliquer davantage ?

Pour des raisons de fiabilité, les entretiens ont été retranscrits en élaborant une fiche du discours de chaque cas étudié ; ensuite, les propos recueillis ont été confrontés aux informations secondaires collectées. La méthode d’analyse des données retenue est une analyse de discours, fondée sur une technique d’analyse de contenu thématique (Miles et Huberman, 2005), permettant la classification des données en catégories et idéaux types. Cette méthode nous semblait plus adaptée à notre objectif de recherche (compréhension des perceptions de la RSE, identification des facteurs d’explication) et à la nature des données récoltées (discours des dirigeants). À cet effet, des fiches de synthèse des entretiens ont été dressées pour chaque cas étudié. Comme le préconisent Miles et Huberman (2005), une liste des thèmes de départ du guide d’entretien a été suivie pour aborder ensuite le terrain et ajouter les thèmes émergents apportés par les réponses des dirigeants. Cette liste thématique a été élargie et ajustée au fur et à mesure de l’interaction avec le terrain.

Tableau 1

Échantillon des dirigeants de PME tunisiennes

Échantillon des dirigeants de PME tunisiennes

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3.2. Présentation des résultats de l’enquête

Suite à une revue de la littérature, une grille d’analyse a été établie (cf. Annexe : grille d’analyse du discours des dirigeants de PME). Nous avons procédé à une revue des travaux de Lapointe et Gendron (2004), Quairel et Auberger (2005), Paradas (2006), Ben Boubaker-Gherib (2009) et Gherib et M’hissen (2010) pour identifier les thèmes de la grille. Tous ces travaux ont comme principal objet de recherche la RSE dans les PME. La perception des dirigeants de PME tunisiennes a été analysée à partir des thèmes suivant : la familiarisation avec le concept de RSE et les préoccupations, les motivations et les freins à l’adoption d’une démarche de RSE.

3.2.1. La familiarisation avec le concept de RSE et les préoccupations

L’analyse de la familiarisation avec le concept de RSE a montré que les dirigeants de PME engagées sont peu familiarisés avec le concept de RSE. Le peu de familiarisation des dirigeants se traduit par une saisie partielle de la tridimensionnalité du concept. Un seul dirigeant (cas 3) a donné une définition de la RSE. « C’est le fait d’avoir une action sociale, écologique et économique dans son interaction avec la société » (propos du dirigeant). La dimension sociale est la plus présente dans les discours des dirigeants de PME engagées (cas 2, 3 et 4). « L’homme est le capital de notre entreprise » (propos d’un dirigeant). La dimension sociale est aussi traduite dans la relation des dirigeants avec les salariés considérés comme la partie prenante la plus importante (cas 1, 2, 3 et 4). Les clients viennent en deuxième lieu (cas 1 et 2) suivi des fournisseurs (cas 1). L’analyse des actions responsables et des pratiques d’engagement montre une prépondérance des préoccupations environnementales (cas 1, 3 et 4) à travers la gestion et le recyclage de déchets, l’aménagement des espaces publics et la recherche de réduction de la consommation d’énergie chez les entreprises certifiées.

Les actions visant à avancer le dialogue social concernent des aides pour les salariés, des dons pour les associations et des actions de mécénat et de sponsorisation. L’adhésion aux programmes incitatifs est une action importante pour les dirigeants 1, 3 et 4. Ces programmes concernent le Programme national de la maitrise de l’énergie (cas 3), le Programme de gestion environnementale profitable (cas 1), et le Programme de modernisation de l’industrie (cas 4).

Concernant la perception des dirigeants de PME tunisiennes non engagées dans une démarche RSE, nous avons constaté qu’eux aussi sont peu familiarisés avec le concept de RSE, ce qui paraît logique, compte tenu de l’absence de leur engagement. Les dimensions économique et sociale ont été les plus citées par les dirigeants (cas 5, 6 et 8). La dimension sociale trouve sa traduction dans la relation des dirigeants avec les salariés considérés comme la partie prenante la plus importante par tous les dirigeants. Les fournisseurs et les clients viennent en deuxième lieu. Par ailleurs, les dirigeants ont indiqué que les préoccupations sociales concernent les aides aux salariés et les dons aux associations. Les préoccupations environnementales pour lesquelles ils veulent éventuellement agir concernent la minimisation de déchets et la commercialisation de « produits verts ».

3.2.2. Les motivations et les freins

L’analyse des motivations a montré que les convictions personnelles des dirigeants sont déterminantes pour l’engagement des PME certifiées dans une démarche RSE. « C’est ma conviction » (propos d’un dirigeant). Le désir de mettre en place une stratégie proactive a poussé le dirigeant 4 à adopter la norme ISO 14001. La volonté d’améliorer l’image de marque a été mentionnée par les cas 1 et 4. Être en conformité avec la réglementation est aussi une motivation importante pour certains dirigeants.

L’analyse a montré également que les incitations de l’État à l’égard des PME influencent les motivations des dirigeants. « Le développement de notre entreprise et son rayonnement nous incitent à adopter un programme de développement durable initié par l’État et fondé sur la poursuite de la croissance économique, du progrès social et de la préservation de l’environnement » (propos d’un dirigeant). Par ailleurs, la recherche de gains rapides à travers l’adoption des pratiques de RSE ne semblait guère avoir motivé les dirigeants de PME engagées (seulement le cas 3). La culture d’entreprise joue aussi un rôle déterminant dans les motivations des dirigeants (cas 2 et 4). « Notre vision commune est la solidarité sociale » (propos d’un dirigeant). Les valeurs prônées dans le cadre de la RSE aideraient à mettre en place une culture forte capable d’améliorer l’implication des salariés.

Les motivations que les dirigeants des PME non engagées considèrent comme déterminantes dans l’adoption d’une démarche RSE ont concerné les incitations de l’État : « on ne peut adhérer qu’aux programmes subventionnés par l’État » (propos d’un dirigeant). L’image de marque, les convictions personnelles du dirigeant, l’implication des salariées (via une culture forte) ont également été citées par un des dirigeants.

L’orientation stratégique semblait dominer dans les motivations des dirigeants interrogés. La RSE serait un moyen pour une meilleure image externe et pour un renforcement de l’implication interne.

Concernant les freins à l’adoption d’une démarche de RSE, les dirigeants des PME engagées insistaient sur le manque de ressources matérielles, humaines et économiques. Le manque d’informations et de sensibilisation de la part de l’État a aussi été évoqué comme raison de la faiblesse d’engagement dans une démarche RSE ; il n’y a « pas de sensibilisation de la part de l’État, on ne s’intéresse pas suffisamment aux petites entreprises » (propos d’un dirigeant). D’autres considéraient qu’il y a des incompatibilités entre les programmes et mesures d’incitation institutionnels et la structure existante d’une PME. De plus, le manque de suivi de la part de l’État pour s’assurer de la réelle mise en place des mesures proclamées, constitue aussi un frein à l’engagement des dirigeants. Enfin, certains ont mentionné la lourdeur administrative (cas 2 et 4) et le manque de conviction et de sensibilisation des parties prenantes comme facteurs explicatifs du manque d’entrain de certains dirigeants. Le manque d’information et de sensibilisation était l’entrave la plus mentionnée par les dirigeants des PME non engagées (cas 6, 7 et 8) : « C’est ambigu, ce n’est pas clair, il n’y a pas d’information » (propos du dirigeant 8). Les autres freins relevés sont le manque de ressources matérielles, l’incompatibilité avec la structure, les valeurs, les pratiques existantes et la lourdeur administrative.

3.2.3. L’analyse comparative

L’analyse comparative entre les perceptions de dirigeants de PME engagées dans une démarche RSE et des PME non engagées a montré des similarités entre les deux groupes, mais aussi des différences. Les résultats obtenus au regard de la familiarisation avec le concept de RSE ont montré que « le peu de familiarisation avec le concept » est un point commun entre les deux groupes de dirigeants. Le rôle des salariés a été également considéré comme un élément primordial de l’intégration de la RSE par les deux groupes de dirigeants, ce qui va dans le sens d’une interprétation sociale de RSE.

Quelques points de divergence existent toutefois. Ils sont, notamment liés à la dimension environnementale essentiellement présente parmi les dirigeants des entreprises certifiées et qui apparait à travers la gestion et le recyclage de déchets, l’aménagement des espaces publics et la recherche de réduction de la consommation d’énergie. En revanche, la mise en place des normes internationales semble ne pas avoir d’impact sur l’appropriation de la RSE par les dirigeants interrogés. L’adoption de ces normes (ISO 9001, ISO 14001, OHSAS 18001, etc.) parait comme une action indépendante ne faisant pas partie d’une stratégie globale de RSE, et ne constitue donc pas un facteur distinctif dans la perception de la RSE.

Une synthèse des résultats de l’analyse comparative portant sur les motivations et les freins est présentée dans le tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2

Synthèse des similarités et des divergences dans les perceptions des dirigeants

Synthèse des similarités et des divergences dans les perceptions des dirigeants

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3.3. Discussion des résultats

3.3.1. La familiarisation avec le concept de RSE

Notre étude rejoint celles de Ben Boubaker-Gherib et al. (2009), Labaronne et Gana-Oueslati (2011) et Gherib et M’hissen (2010), sur l’importance du rôle des dirigeants de PME tunisiennes dans l’adoption d’une démarche de RSE. L’analyse comparative a mis en exergue les similarités et les différences entre les perceptions des dirigeants de PME engagées et des dirigeants de PME qui ne le sont pas et a montré leur manque de familiarisation avec le concept de RSE. La faible compréhension de la notion et le manque de connaissance des outils (Labaronne et Gana-Oueslati, 2011) permettant de mettre en oeuvre des démarches responsables sont également observés dans les études de Ben Boubaker-Gherib et al. (2009).

Par contre, notre analyse des préoccupations majeures des dirigeants en matière de RSE a montré des différences avec les résultats de Ben Boubaker-Gherib et al. (2009). Nos résultats ont en effet montré que les dirigeants de PME définissent la RSE principalement selon sa dimension sociale. « Les dirigeants de PME se considèrent avant tout responsables vis-à-vis de leurs employés » (Benabou et Bendiabdellah, 2009, p. 12). Au contraire, Ben Boubaker-Gherib et al. (2009) ont souligné la prééminence de la dimension environnementale et l’assimilation, qui peut tourner à la confusion, de la RSE au développement durable, généralement associé à l’environnement.

Enfin, de même que Gherib et M’hissen (2010, p. 18), nos résultats ont montré le faible niveau de formalisation de la RSE dans les PME tunisiennes. Le flou organisationnel a aussi été révélé par les travaux de Zghal (1994) qui considérait que cette insuffisance des réglementations et des procédures formelles génère en Tunisie une situation d’incertitude qui influence aussi bien les statuts, les pouvoirs que les comportements des acteurs organisationnels.

3.3.2. Les motivations pour une démarche de RSE

Nos résultats nous ont amenées à conclure au faible pouvoir explicatif des isomorphismes normatif et mimétique, ce qui rejoint les résultats des travaux portant sur les PME en Tunisie (Ben Boubaker-Gherib et al., 2009 ; Gherib et M’hissen, 2010). Les entreprises certifiées, généralement soumises à la pression des clients étrangers, se doivent d’être plus vigilantes en matière de respect de la réglementation, laissant prévoir une importance accrue de l’isomorphisme coercitif.

Nos résultats rejoignent les conclusions de Hamdoun, 2008 ; Ben Boubaker-Gherib et al., 2009 ; Gherib et M’hissen, 2010, indiquant que le cadre incitatif tunisien pourrait être un moteur aux PME non engagées pour l’adoption d’une démarche de RSE. Encore faut-il que les actions de sensibilisation et d’information se multiplient et que le suivi des programmes institutionnels et de la règlementation soit plus rigoureux.

Notre étude a montré également que l’engagement dans une politique de RSE peut reposer sur les valeurs ou les convictions personnelles du dirigeant de l’entreprise voire sur sa vision entrepreneuriale et confirme également que la PME certifiée possède un dirigeant à forte conviction personnelle, contrairement à la PME non certifiée. Nos résultats ont été en concordance avec les travaux de Ben Boubaker-Gherib et al. (2009) qui par la confrontation entre la théorie entrepreneuriale et la théorie néo-institutionnelle, ont montré la prééminence de la première théorie dans l’explication de l’engagement de la PME tunisienne dans la RSE. S’agissant d’une PME certifiée, les dirigeants sont fréquemment à la recherche de renseignements concernant les encouragements en matière de RSE et les perçoivent comme des opportunités à exploiter. Plus spécifiquement, ces dirigeants poussent leurs entreprises vers un engagement responsable. Cette sensibilité se matérialise par une orientation entrepreneuriale d’actions spécifiques et nouvelles de RSE, de modes de conduites préférés ainsi que des opportunités offertes et des risques qui lui sont associés. Un dirigeant de PME certifiée est à la recherche quotidienne d’informations sur les pratiques de RSE et les perçoit comme des opportunités à exploiter pour la construction d’un avantage compétitif durable. Par opposition, nous avons noté que toutes celles qui ne sont pas certifiées sont gérées par des dirigeants qui ne placent pas la RSE parmi leurs préoccupations. Ils cherchent peu d’informations concernant le dispositif incitatif mis en place dans le pays (cas 6, 7 et 8). Ils minimisent la pertinence des actions pour la RSE et ne perçoivent pas l’intérêt de cet engagement (cas 8). À cet effet, les dirigeants de PME tunisiennes pourraient mettre en oeuvre des stratégies proactives de RSE et aller au-delà de ce qui est requis par la loi. Ceci a confirmé les résultats antérieurs selon lesquels les entreprises tunisiennes ne se contentent pas de réagir de manière adaptative aux diverses pressions, mais sont en mesure d’anticiper les demandes de leur environnement, voire contribuent à les créer (Amara et Ben Sebaa, 2009).

Concernant le facteur « image de marque », des similitudes se sont dégagées avec les travaux de Ben Boubaker-Gherib (2009), Labaronne et Gana-Oueslati (2011) et Gherib et M’hissen (2010). Une recherche de l’amélioration de l’image de marque et de différenciation pousse les dirigeants de PME tunisiennes engagées et non-engagées à réaliser des actions qui peuvent être rattachées à la RSE comme la certification.

Enfin, la culture d’entreprise apparait comme une motivation émergente dans notre étude. Cette culture fédérant tous les niveaux hiérarchiques autour d’une vision et de valeurs communes implique aussi la motivation des salariés qui à son tour, serait déterminante dans l’engagement des dirigeants dans une démarche RSE.

3.3.3. Les freins à l’adoption d’une démarche de RSE

À l’instar de Turki (2003) et Gherib et M’hissen (2010), nos résultats ont montré que les dirigeants de PME perçoivent le manque de moyens financiers requis au développement de l’engagement sociétal comme une entrave majeure pour la mise en place d’une démarche de RSE. Le manque d’informations, les incompatibilités avec les structures existantes des PME et l’inconscience de l’intérêt d’engagement responsable constituent d’autres freins conformes aux études précédentes (Ben Yedder et Farhoud, 2009 ; Labaronne et Gana-Oueslati, 2011 ; Gherib et M’hissen, 2010) ; interviennent enfin l’insuffisante conviction des clients et le manque de suivi de la part de l’État.

La confrontation de nos résultats par rapport aux travaux faits dans les pays du Maghreb a révélé l’intérêt de notre problématique. Dans une étude empirique portant sur une quarantaine d’entreprises au Maroc, M’Hamdi et Trid (2009) ont montré que 62,9 % des dirigeants des entreprises marocaines enquêtées dans la région de Fès-Boulemane déclarent connaître la RSE[11], ses atouts et des difficultés liées à sa mise en oeuvre. Ils considèrent que les atouts sont surtout d’ordre économique. La RSE est perçue comme un facteur de fidélisation de la clientèle et d’amélioration des relations avec les parties prenantes conduisant à une plus grande performance économique. Les difficultés de mise en oeuvre résident dans l’insuffisance des moyens financiers, humains et le manque de temps à consacrer à ce sujet. En termes de familiarisation avec le concept, les dirigeants marocains semblent mieux maitriser le sujet que les dirigeants tunisiens interrogés. Pour ce qui est des motivations et des difficultés, certaines ressemblances sont à enregistrer (recherche de performance économique, manque de moyens).

Concernant l’Algérie, Benabou et Bendiabdellah (2009) ont montré que les dirigeants de PME se considèrent avant tout responsables vis-à-vis de leurs employés, ce qui rejoint notre constat lié à l’importance de la dimension sociale interne.

Conclusion

Cette recherche présente un double intérêt, théorique et managérial. Au niveau théorique, ce travail s’est proposé de pallier un manque théorique évident de la RSE dans le contexte des PME et a avancé des propositions de recherche pouvant servir à l’élaboration de pistes de réflexion futures. Sur le plan managérial, notre travail contribue à dévoiler l’état des lieux des pratiques de la RSE dans les PME tunisiennes et préconise des voies d’amélioration quant à l’adoption d’une démarche volontariste de RSE aussi bien pour les dirigeants de PME tunisiennes que pour les institutions tunisiennes dédiées à la promotion de la RSE.

Pour répondre aux questions posées au début, nous nous sommes appuyées sur une enquête empirique de type exploratoire auprès de huit dirigeants de PME tunisiennes qui sont, soit explicitement engagées de par leur certification selon les normes internationales rattachées à la RSE (principalement ISO 14001, ISO 9001, OHSAS), soit ne le sont pas.

L’analyse comparative a montré que généralement les dirigeants de PME tunisiennes dans les deux cas ont été peu familiarisés avec le concept de RSE. La triple dimension du concept a été évoquée dans un seul cas. Le volet social domine généralement les volets économique et écologique, faisant des employés la partie prenante la plus importante pour les dirigeants interrogés aussi bien dans les PME certifiées que non certifiées.

La recherche de l’image de marque et les pressions coercitives découlant de la conformité à la réglementation représentent une source d’adoption d’une démarche responsable pour un dirigeant des PME certifiées. Cependant, ces motivations sont peu perçues par les dirigeants des PME non certifiées. Le principal frein à l’adoption d’une démarche de RSE aussi bien pour les dirigeants des PME certifiées que ceux des PME qui ne le sont pas, est le manque d’informations et l’ignorance des enjeux de la RSE.

Par ailleurs, la culture nationale caractérisée par le flou et l’ambiguïté (Zghal, 1994) est à l’origine de la logique de fonctionnement des PME tunisiennes. Ceci est d’autant plus vrai pour une démarche de RSE adoptée par les PME tunisiennes où les règles et les procédures sont peu précises. Plus spécifiquement, l’analyse des convergences et des divergences nous a permis de montrer le faible pouvoir explicatif de normes internationales dans l’adoption d’une démarche RSE. La certification semble être une action indépendante et non un élément d’une stratégie de RSE globale.

Les résultats nous ont permis aussi de porter un regard critique d’une part, sur les pratiques de RSE dans les PME tunisiennes et d’autre part, sur les politiques des institutions tunisiennes de promotion de la RSE. Des recommandations peuvent être avancées à cet égard. Elles peuvent être résumées comme suit : il paraît intéressant pour un dirigeant de PME tunisienne de passer outre le manque de ressources par la recherche des opportunités à exploiter afin de faire reconnaitre leurs entreprises comme responsables ; ce qui pourrait constituer un avantage compétitif durable. Le dirigeant de la PME tunisienne devrait se convaincre que la RSE est une opportunité de renouveler le fonctionnement de son entreprise et de sa place dans la société. Dans le but d’accompagner les dirigeants de PME tunisiennes dans une démarche volontaire d’engagement dans la RSE, nos recommandations aux institutions préconisent principalement des standards flexibles qui prennent en considération un discours plus personnalisé axé sur le dirigeant, les difficultés potentielles des PME ainsi que les caractéristiques culturelles tunisiennes.

Les conclusions auxquelles nous avons abouti demeurent préliminaires et spécifiques, limitant ainsi la validité externe des résultats. Cette limite est inhérente au caractère exploratoire de notre étude, à la méthode adoptée et à la non-prise en compte de certaines variables comme le profil des dirigeants et l’internationalisation des PME. Ceci ne nous a pas permis de généraliser les résultats obtenus, mais simplement de les confronter aux recherches antérieures.

D’autres entretiens menés auprès d’un échantillon statistiquement représentatif permettraient de renforcer la portée de nos conclusions, de même que des analyses multi-variées pourraient également confirmer ou infirmer les résultats obtenus de cette recherche exploratoire. Les critères de profil des dirigeants (leur âge, leur formation, leur appartenance sociologique, leurs réseaux, leur implantation locale, etc.) et l’internationalisation des PME pourraient être pris en considération lors de la constitution de notre échantillon statistique et permettraient de faire émerger d’autres déterminants de l’engagement responsable des PME. Une comparaison avec des contextes internationaux pourrait également aboutir à des résultats intéressants.

Annexe - Grille d’analyse du discours des dirigeants de PME

Annexe - Grille d’analyse du discours des dirigeants de PME

Inspirée de : Quairel et Auberger (2005) ; Paradas (2006) ; Ben Boubaker-Gherib (2009) ; Gherib et M’hissen (2010).

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