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Introduction

Les modèles de rôle, constituant « l’un des moyens les plus efficaces pour transmettre des valeurs, des attitudes et des repères de réflexion et d’action » (Bandura, 1986), renforcent l’auto-efficacité et l’intention entrepreneuriale (Engle et al., 2010 ; Kirkwood, 2007 ; McGee, Peterson, Mueller et Sequeira, 2009 ; Mueller et Conway Dato-On, 2008 ; Van Auken, Fry et Stephens, 2006). Selon Bosma, Hessels, Schutjens, Van Praag et Verheul (2011), un modèle de rôle représente un « point de référence […] qui stimule ou inspire d’autres individus à prendre des décisions de carrière et à atteindre certains objectifs ». Construite à partir des notions de rôle et de modelage, cette notion rappelle que les individus ont tendance à s’identifier à d’autres personnes qu’ils perçoivent comme similaires et stimulantes, et qu’ils les observent afin d’apprendre de nouveaux comportements, compétences et normes (Bandura, Ross et Ross, 1961). Les modèles de rôle renforcent l’apprentissage, la motivation et l’inspiration, et aident les individus à définir leur concept de soi (Gibson, 2004, p. 149), notamment lorsqu’ils sont perçus comme crédibles, experts, honnêtes ou prestigieux (Gist et Mitchell, 1992).

Bien que la présence des modèles dans les médias et les programmes de formation augmente constamment, leur impact est rarement examiné (Auken, Fry et Stephens, 2006 ; Wilson, Kickul et Marlino, 2007). Les récits d’entrepreneurs en activité inspirent et encouragent l’émulation chez les entrepreneurs novices (Steyaert et Bouwen, 1997), car ces témoignages permettent d’éclairer des aspects positifs et négatifs de parcours de vie en invitant l’auditoire à se projeter dans une carrière professionnelle entrepreneuriale (Lockwood, 2006). L’influence des modèles concerne donc également le développement progressif d’une identité entrepreneuriale (Rae, 2000). À l’école, la confrontation avec des modèles de rôle à travers des études de cas, des lectures recommandées, des films, des conférences et des sites Internet permet aux étudiants d’explorer leur propre devenir professionnel.

Notre objectif est de mesurer l’impact de modèles de rôle entrepreneuriaux positifs et négatifs, et d’évaluer la contribution de l’encouragement d’un membre de l’équipe pédagogique (professeur responsable d’un incubateur d’école) sur le renforcement de l’auto-efficacité et de l’intention entrepreneuriale d’un échantillon d’étudiants. Une longue tradition de recherche ancrée dans la psychologie de l’apprentissage et notamment dans les travaux de Bandura, Ross et Ross (1961) a mis en évidence le rôle des modèles positifs dans l’apprentissage de nouveaux comportements et le choix d’une carrière professionnelle, alors que l’impact des modèles négatifs ou contre-modèles a été peu étudié de manière empirique. Toutefois, les modèles positifs ne sont pas toujours les plus efficaces pour provoquer un changement attitudinal ou comportemental (Higgins, 1998). Selon le contexte et le niveau d’implication personnelle, les individus peuvent être influencés aussi bien par le message d’un modèle de réussite que par un message illustrant l’échec d’un contre-modèle (Stapel et Koomen, 2001 ; Stapel et Marx, 2006). Dans un contexte éducatif, la présentation de modèle de rôle est souvent accompagnée par des messages complémentaires adressés par les professeurs ou les tuteurs. Ceux-ci peuvent formuler des encouragements, faire des recommandations, souligner des écueils, et tenter ainsi de persuader leur auditoire afin de renforcer l’impact d’un message de sensibilisation. Selon Bandura, Barbaranelli, Caprara et Pastorelli, (2001), la persuasion verbale consistant en des encouragements, des recommandations, des suggestions aurait un impact favorable sur l’auto-efficacité.

Cet article teste un modèle structurel reliant l’exposition à des modèles de rôle entrepreneuriaux et l’intention entrepreneuriale des étudiants. Bandura, Ross et Ross (1961) avaient souligné le rôle majeur de l’auto-efficacité entrepreneuriale comme principale variable impactée par l’exposition à des modèles de rôle (modelage ou apprentissage vicariant). L’exposition à des modèles de rôle est susceptible d’influencer une autre source de l’auto-efficacité identifiée par Bandura, Ross et Ross (1961) : l’éveil émotionnel. Par ailleurs, l’encouragement en provenance d’une source crédible (ici, le professeur responsable de l’incubateur de l’école) est susceptible de jouer un rôle modérateur dans le cadre de notre modèle. Bandura, Ross et Ross (1961) avaient déjà souligné le rôle de la persuasion verbale comme source de l’auto-efficacité. Enfin, comme nous nous situons dans un contexte de communication et de réception d’un message de sensibilisation à l’entrepreneuriat, notre modèle teste aussi l’impact modérateur du cadrage du message.

Après une première partie consacrée à notre cadrage théorique et la présentation des hypothèses de recherche, une deuxième partie nous permettra d’exposer notre méthodologie et nos principaux résultats, qui seront ensuite discutés dans une troisième partie.

1. Cadre théorique et hypothèses de recherche : proposition d’un modèle causal

Nous présentons dans les sections suivantes nos construits théoriques et la formulation progressive de nos hypothèses de recherche en partant de l’intention entrepreneuriale (finalité du modèle) et en remontant jusqu’à l’attitude à l’égard du message du modèle de rôle. Nous allons conclure cette première partie avec la présentation de notre modèle causal dans sa totalité.

1.1. Les antécédents de l’intention entrepreneuriale et le rôle de l’auto-efficacité

Selon Ajzen et Fishbein (1977), le comportement délibéré est systématiquement précédé par une décision consciente d’agir, appelée « intention » (Brännback, Krueger, Carsrud et Elfving, 2007). L’intention comportementale est le meilleur prédicteur du comportement planifié, y compris celui d’entreprendre (Autio, Keely, Klofstein, Parker et Hay, 2001 ; Douglas et Shepherd, 2001 ; Kolvereid. et Isaksen, 2006 ; Krueger, Reilly et Carsrud, 2000).

Selon la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1985), il y a trois antécédents du comportement intentionnel : l’attitude envers le comportement, la norme subjective et le contrôle comportemental perçu. L’attitude envers le comportement entrepreneurial mesure les attentes des individus concernant la décision de démarrer une nouvelle affaire. La norme subjective mesure les attentes perçues des « autrui significatifs » et la volonté du sujet de s’y conformer. Les normes subjectives représentent ici « les croyances normatives envers l’entrepreneuriat comme un choix de carrière ainsi que la motivation de se conformer à ces croyances normatives » (Leroy et al., 2009). Pour Ajzen (1985), le contrôle comportemental perçu correspondrait d’une part à la croyance selon laquelle le sujet peut facilement, ou non, réaliser le comportement envisagé et découlerait, d’autre part, de l’évaluation subjective des ressources personnelles dont il dispose pour effectuer le comportement visé. Dans ce cadre, selon Krueger, Reilly et Carsrud (2000), le contrôle comportemental perçu renvoie au concept d’auto-efficacité (Bandura, Ross et Ross 1961), la croyance en ses propres capacités d’effectuer avec succès un comportement spécifique. Les normes subjectives sont plutôt faiblement prédictives des intentions entrepreneuriales comparativement aux attitudes et au contrôle comportemental perçu (Armitage et Conner, 2001). Les recherches empiriques conduites sur des populations d’étudiants mettent en évidence le rôle de l’attitude envers le comportement entrepreneurial et son impact sur l’intention de créer une entreprise (Boissin, Chollet et Emin, 2007, 2009). Par ailleurs, la littérature sur les modèles de rôle a démontré leur impact aussi bien sur la désirabilité (attitude) que sur la faisabilité (auto-efficacité) entrepreneuriales (Fayolle et Gailly, 2009 ; St-Jean et Mathieu, 2011 ; Loué, 2012). Notre modèle causal ne comprend pas une mesure de l’attitude envers le comportement entrepreneurial, car cette variable n’a pas été jugée comme discriminante pour la population étudiée : il s’agit d’étudiants inscrits dans une école d’entrepreneuriat, qui ont passé un concours et des entretiens de motivation afin de tester leur intérêt pour l’entrepreneuriat et leur souhait de poursuivre une carrière entrepreneuriale après les études.

Parmi les trois antécédents de l’intention entrepreneuriale, l’auto-efficacité est une variable décisive qui exerce un impact déterminant sur les intentions entrepreneuriales et leur conversion en comportements effectifs (Barbosa, Gerhardt et Kickul, 2007 ; Drnovsek et Erickson, 2005 ; Zhao, Seibert et Hills, 2005). Acquise graduellement par l’expérience et l’apprentissage, l’auto-efficacité influence le niveau et le contenu des aspirations personnelles, ainsi que les objectifs et les décisions des individus (Bandura, Barbaranelli, Caprara et Pastorelli, 2001). La relation entre auto-efficacité et entrepreneuriat est capitale dans les situations impliquant des risques et de l’incertitude, comme lors du choix d’une carrière professionnelle (Chen, Gully et Eden, 2001). Ces considérations nous conduisent à formuler l’hypothèse suivante :

  • H1 : Plus l’auto-efficacité entrepreneuriale est élevée, plus l’intention entrepreneuriale est forte.

2. Les sources de l’auto-efficacité

Selon Bandura, Ross et Ross (1961), l’auto-efficacité est acquise graduellement à travers quatre sources : l’expérience de maîtrise, le modelage ou l’apprentissage vicariant, la persuasion verbale et l’éveil émotionnel. Si l’expérience de maîtrise reste la source la plus déterminante, les trois autres sources y contribuent également et peuvent être manipulées de manière situationnelle (Hagen, Gutkin, Wilson et Oats, 1998). Le modelage impacte l’auto-efficacité à travers des processus de comparaison sociale, permettant aux individus de formuler des attentes quant à leur propre capacité à produire des comportements similaires au modèle (Wood et Bandura, 1989). Les perceptions des états physiologiques agissent sur l’auto-efficacité, l’anxiété et le stress provoquant un effet négatif. L’exposition à des modèles de rôle aide les individus à gérer le stress et l’anxiété, produisant des émotions positives (Hagen, Gutkin, Wilson et Oats, 1998).

En psychologie sociale, les relations entre émotions et cognitions sont un thème de plus en plus étudié (Dantzer, 2002). Selon Zajonc (1980) et Lazarus (1982), les cognitions seraient les antécédents de l’éveil émotionnel lorsqu’on est confronté à un stimulus externe. L’éveil émotionnel est un état motivationnel relatif au niveau d’activation ou d’alerte de l’individu, allant d’une extrême léthargie à un dynamisme extrême (Berlyne, 1960 ; Mehrabian et Russell, 1974). Mehrabian et Russell (1974) démontrent que l’impact d’un stimulus externe sur le comportement est médiatisé par les réactions émotionnelles du sujet, les expériences personnelles produisant des effets émotionnels qui conduisent à des réponses comportementales. Selon Mehrabian et Russell (1974) l’activation du PAD (« pleasure, arousal, dominance ») est conceptualisée comme un indicateur de l’intensité des réactions émotionnelles induites par un stimulus externe. Dans le cadre d’une communication persuasive, Ray et Batra (1983) montrent que les émotions augmenteraient l’attention portée à un message, et par conséquent, la probabilité de traitement de l’information diffusée. Ainsi, un éveil émotionnel important conduirait à une augmentation de l’implication du récepteur à l’égard de l’annonce, ce qui rendrait l’individu plus sensible au contenu du message (Kamp et MacInnis, 1995). Lorsque l’exposition à des messages présentant des modèles entrepreneuriaux génère une attitude favorable chez les récepteurs, cette attitude produirait un éveil émotionnel (arousal) positif. L’exposition aux modèles de rôle serait alors une source d’affect susceptible de renforcer l’auto-efficacité entrepreneuriale (Patzelt et Shepherd, 2009). Ces considérations nous conduisent à proposer les deux hypothèses suivantes :

  • H2 : Plus l’éveil émotionnel est fort, plus l’auto-efficacité entrepreneuriale est élevée.

  • H3 : Plus l’attitude envers le message est favorable, plus l’éveil émotionnel est fort.

3. Les modèles de rôle positifs et négatifs dans les messages de sensibilisation

La comparaison sociale avec les modèles de rôle active un processus d’identification qui contribue à l’élaboration et au renforcement des croyances du sujet relatives au concept de soi et aux attentes de rôle (Rae, 2000). Les modèles peuvent être des personnes de l’entourage, mais aussi des célébrités, des personnages fictifs ou des figures historiques, car la comparaison sociale n’est pas conditionnée par l’existence d’un contact personnel avec le modèle ; ce qui semble déterminant, c’est plutôt le désir de se comparer au modèle (Wilson, Kickul et Marlino, 2007). Les modèles disponibles sont sélectionnés selon les situations et les objectifs professionnels de l’individu, contribuant ainsi à la constitution progressive d’un « portfolio de modèles de rôle » (Ibarra, 1999). Parmi eux, on peut retrouver aussi bien des modèles de rôle positifs que négatifs, car les individus construisent leurs « soi possibles » en s’inspirant de modèles attractifs (apprendre par l’exemple) et en rejetant des modèles redoutés (apprendre en évitant). Selon Cross et Markus (1991, p. 231), les soi possibles sont des éléments cognitifs constitutifs du concept de soi, qui indiquent « ce qu’on pourrait devenir, ce qu’on aimerait devenir et ce qu’on a peur de devenir ». Les modèles de rôle positifs sont « admirés et regardés comme des exemples d’émulation », alors que les modèles négatifs sont examinés comme des « illustrations de ce qu’il faut éviter de faire dans une situation donnée » (Gibson, 2004, p. 144).

Les entrepreneurs potentiels peuvent donc être influencés par les deux catégories de modèles, les « contre-modèles » (Gibson, 2004 ; Lockwood, Jordan et Kunda, 2002) illustrant les erreurs à éviter afin d’anticiper des conséquences négatives et des sanctions (Bandura, 1986). Higgins (1998) suggère que l’on peut activer différents objectifs d’identification à travers des variables situationnelles et communicationnelles, dont des témoignages positifs et négatifs en provenance de modèles de rôle, la mise en discours de ces témoignages étant une variable de cadrage du message. Le cadrage positif fait référence aux messages formulés en termes de gains, alors qu’un message avec un cadrage négatif présente une information formulée en termes de pertes. L’impact du cadrage varie selon le niveau d’implication personnelle, le type de comportement visé et le niveau d’élaboration du message (Chabrol et Radu, 2008). Lorsque le comportement visé est un état désiré, comme la création d’entreprise, un cadrage positif serait le plus adapté (Higgins, 1998). Nous faisons donc l’hypothèse que les modèles de rôle positifs ont un impact plus fort sur l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité entrepreneuriale que les modèles de rôle négatifs :

  • H4 : La relation entre l’attitude envers le message et l’éveil émotionnel (H 4a) et entre l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité entrepreneuriale (H 4b) est d’autant plus forte que le modèle de rôle est positif.

3.1. L’encouragement d’un professeur ou d’un tuteur

Dans un contexte éducatif ou médiatique, le témoignage d’un modèle de rôle peut être précédé ou suivi par un message complémentaire d’encouragement, directement adressé à l’auditoire (Mellor, Barclay, Bulger et Kath, 2006). En salle de classe, les professeurs y ont recours lorsqu’ils présentent de nouvelles activités et compétences, ou lorsqu’ils formulent un jugement évaluatif (Margolis et McCabe, 2006). Le message d’encouragement permet aux observateurs de comprendre le sens du témoignage du modèle et vise à construire un lien symbolique entre le modèle et l’auditoire. Pour jouer ce rôle positif, il est nécessaire que l’encouragement provienne d’une source perçue comme crédible, honnête et experte (Gist et Mitchell, 1992).

Même si les recherches portant sur différents types de publics indiquent que le pouvoir persuasif des encouragements reste plutôt limité, son impact auprès des jeunes s’avère considérable (Bandura, 1997). Plus vulnérables au regard et à l’avis d’autrui, les enfants, les adolescents et les étudiants sont sensibles aux évaluations et aux encouragements en provenance de leurs professeurs et tuteurs quant au choix de leur carrière professionnelle. Zeldin, McDaniel, Topitzes et Calvert (2000) ont démontré que les jeunes femmes étaient encore plus susceptibles d’écouter attentivement les encouragements des professeurs et des tuteurs lorsqu’ils faisaient référence à des métiers appartenant à des domaines de compétence perçus comme « masculins », dont l’entrepreneuriat.

  • H5 : La relation entre l’attitude envers le message et l’éveil émotionnel (H 5a) et entre l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité entrepreneuriale (H 5b) est d’autant plus forte que les étudiants sont exposés à un encouragement du professeur responsable de l’incubateur de l’école.

Figure 1

Le modèle testé dans la recherche

Le modèle testé dans la recherche

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En somme, nous allons tester l’impact de modèles de rôle sur l’auto-efficacité et l’intention entrepreneuriale d’étudiants inscrits dans un cursus d’entrepreneuriat comme un processus cognitif et affectif en quatre étapes. Comme l’illustre la figure 1, ce modèle indique que, pour être effectif, un message de sensibilisation à l’entrepreneuriat doit d’abord produire une attitude favorable à l’égard du message ; si l’attitude envers le message est positive, le message aura un impact affectif plus important, ce qui se traduira par un renforcement de l’auto-efficacité entrepreneuriale des étudiants exposés au message ; enfin, si l’auto-efficacité est renforcée, l’intention entrepreneuriale sera consolidée. Le cadrage du message et l’encouragement de la part du professeur responsable de l’incubateur de l’école vont jouer un rôle modérateur dans les relations entre l’attitude, l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité.

4. Méthodologie

Nous développons ci-après notre méthodologie en termes de participants, de procédure expérimentale ainsi que les différentes variables retenues.

4.1. Participants

Nous avons mené une étude expérimentale au printemps 2011 auprès de 276 étudiants (152 jeunes femmes et 124 jeunes hommes), âgés de 20 à 22 ans, inscrits en année 1 et 2 dans un programme de bachelor en management et entrepreneuriat au sein d’une école de commerce parisienne spécialisée en entrepreneuriat. Par conséquent, il s’agit d’étudiants sensibilisés aux problématiques entrepreneuriales, qui se trouvent plutôt en début de cursus, car le cursus se termine en année 3 par un bachelor (Bac +3) et il peut se poursuivre par un master (Bac +5). Les participants suivent plusieurs cours dans différentes disciplines du management, dont plusieurs cours en entrepreneuriat. Ils ont choisi de participer à l’expérimentation sur la base du volontariat, et ils ont reçu un crédit bonus pour un module spécialisé en entrepreneuriat.

4.2. Procédure expérimentale

Les étudiants ont été invités à participer à une étude sur « les campagnes de sensibilisation à l’entrepreneuriat ». Ils étaient informés que les chercheurs collectaient des données concernant leurs opinions sur la manière dont les acteurs publics et privés déployaient des campagnes de sensibilisation à l’entrepreneuriat. Aucune autre information relative aux objectifs de recherche n’était communiquée afin d’éviter les biais de désirabilité sociale. Ils lisaient ensuite un message attribué à un jeune diplômé de leur école, du même genre que les participants (féminin pour les jeunes femmes et, respectivement, masculin pour les jeunes hommes), afin de renforcer la similarité perçue. Le message proposait un cadrage positif ou négatif : les deux versions du témoignage exposaient les motivations entrepreneuriales des modèles de rôle et décrivaient leur trajectoire professionnelle les ayant conduits au succès (cadrage positif) ou, respectivement, à l’échec entrepreneurial (cadrage négatif). Environ 10 secondes après (afin de limiter la distraction), la moitié des participants étaient ensuite exposés à un message d’encouragement attribué à l’un des membres de l’équipe pédagogique, professeur responsable de l’incubateur de l’école. Ce message d’encouragement exposait l’idée selon laquelle chacun pouvait espérer devenir un entrepreneur de succès après les études, à force de travail et de détermination. Le choix de cette personne était motivé par sa crédibilité auprès des étudiants, que nous avons testée sur un échantillon de 103 étudiants comme développé ci-après. Le plan expérimental inter-sujets était du type 2 (cadrage : positif ou négatif) x2 (encouragement : présence ou absence), comme indiqué dans le tableau 1. Les participants ont été distribués au hasard dans les groupes expérimentaux. Les étudiants ont répondu au questionnaire immédiatement après avoir lu le message de sensibilisation correspondant à leur groupe expérimental.

Tableau 1

Plan expérimental

Plan expérimental

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4.3. Variables dépendantes

Attitude envers le message. Les participants ont indiqué leur attitude envers le message sur cinq items : agréable à regarder, qualité, persuasion, aimer le regarder et pertinence. Les évaluations ont été effectuées sur des échelles Likert à 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord).

Éveil émotionnel. Les participants ont indiqué leurs réactions émotionnelles au message. Il y a deux approches principales de la mesure des réactions émotionnelles par des questionnaires (mesure verbale auto-déclarative). L’éveil émotionnel est un état motivationnel relatif au niveau d’activation ou d’alerte de l’individu, allant d’une extrême léthargie à un dynamisme extrême (Berlyne, 1960 ; Mehrabian et Russell, 1974). L’approche discrète des émotions (Izard, 1972 ; Plutchik, 1970) est intéressée par l’identification et la mesure d’émotions distinctes et spécifiques, alors que l’approche continue des émotions envisage les émotions comme des « mélanges » de deux ou trois dimensions émotionnelles en interaction. Selon Mehrabian et Russel (1974), ces dimensions émotionnelles sont le plaisir, l’éveil et la domination. Dans notre étude, l’objectif n’était pas de qualifier la nature de l’émotion induite par le message, mais plutôt d’en mesurer l’impact. On s’est donc concentré sur la mesure de l’éveil émotionnel des participants après l’exposition au message, en utilisant les items relatifs à l’éveil dans l’échelle PAD de Mehrabian et Russel (1974). Les participants ont évalué leurs réactions émotionnelles au message sur des échelles Likert à 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord), sur onze items : stimulant, stressant, excitant, intéressant, émouvant, passionnant, joyeux, plaisant, satisfaisant, plein d’espoir et relaxant.

Auto-efficacité entrepreneuriale. Les participants ont indiqué leur confiance en leur propre capacité à gérer un projet entrepreneurial. Nous avons utilisé l’échelle développée par McGee, Peterson, Mueller et Sequeira (2009), mesurant l’auto-efficacité sur cinq dimensions : la recherche d’opportunités, la planification, la négociation, l’implémentation au niveau de l’équipe et l’implémentation financière. Nous avons sélectionné des items de la première dimension, celle qui évalue l’auto-efficacité relative à des compétences de recherche d’opportunités, telles la capacité à trouver une nouvelle idée de produit ou de service, d’identifier des besoins pour un nouveau produit ou service, d’inventer un nouveau produit ou service afin de satisfaire la demande. Ce choix ne permet pas, certes, d’évaluer l’auto-efficacité entrepreneuriale sur l’ensemble des dimensions (recherche d’opportunités, négociation, planification et implémentation), mais nous avons sélectionné ces items en raison de leur pertinence par rapport au niveau d’études de nos participants dans le cursus entrepreneurial. En effet, le cursus bachelor se focalise sur le développement des compétences en matière de recherche et détection d’opportunités, alors que le cursus master permet de développer les compétences de négociation, planification et implémentation. Les étudiants de notre cohorte étaient donc plus familiarisés avec les notions relatives à la recherche d’opportunités d’affaires. Les évaluations ont été effectuées sur des échelles Likert à 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord), sur trois items.

L’intention entrepreneuriale. Les participants ont indiqué leur intention de lancer leur propre entreprise après le diplôme, sur sept items de l’échelle de l’intention entrepreneuriale de Thompson (2009), développée dans un contexte éducatif : « J’ai l’intention de créer mon entreprise à l’avenir », « J’économise afin de créer mon entreprise », « Je ne lis pas d’ouvrages consacrés à la création d’entreprises », « Je cherche de l’information sur la création d’entreprises », « Je n’ai aucun projet de création d’entreprises », « Je passe du temps à apprendre comment créer une entreprise ».

Identification avec le modèle de rôle (variable de contrôle). L’identification avec un modèle est renforcée par la similarité perçue en termes d’âge, genre, domaine de compétence (Wheeler, Petty et Bizer, 2005 ; Wohlford, Lochman et Barry, 2004), valeurs et aspirations (Filstad, 2004). La probabilité qu’un individu s’engage dans des comportements imitatifs est d’autant plus importante que la similarité perçue est élevée (Wilson, Kickul, Marlino, Barbosa et Griffiths, 2009 ; Scott, 2009). La littérature indique que la similarité perçue serait l’une des variables modératrices centrales de l’auto-efficacité entrepreneuriale (Gupta, Turban, Wasti et Sikdar, 2009 ; Mueller et Conway Dato-On, 2008). Les entrepreneurs auraient tendance à choisir des modèles du même genre (Bosma, Hessels, Schutjens, Van Praag et Verheul, 2011), particulièrement les femmes entrepreneures (Murrell et Zagenczyk, 2006). Les participants ont été invités à se comparer au modèle et à évaluer leur similarité perçue, sur sept items adaptés à partir de l’échelle de 20 items de Brown et Bocarnea (2006). Le celebrity-persona parasocial identification scale de Brown mesure l’identification des récepteurs avec les stars ou les personnages fictifs présentés dans les médias. Les trois auteurs de l’article ont sélectionné les 7 items de l’échelle les plus adaptés au type de modèle présenté dans notre expérimentation (un ancien étudiant). Nous avons éliminé les items qui faisaient référence à la célébrité du personnage ou à ses qualités exceptionnelles. Les items sélectionnés sont les suivants : « Je partage les mêmes valeurs que cet ancien de l’école », « Cet ancien est un exemple à suivre », « J’aspire à devenir comme cet ancien », « J’essaye de développer les mêmes qualités que cet ancien », « Je me sens proche de cet ancien », « Je partage le point de vue de cet ancien », « J’ai des croyances similaires à celles de cet ancien ». Les évaluations ont été effectuées sur des échelles Likert à 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord). Un test t pour échantillon indépendant a permis de vérifier l’absence de différence de moyenne entre les groupes (P<0,05). Un test t pour échantillon unique a permis de vérifier l’identification effective au modèle de rôle (valeur test 4 ; P<0,05).

Évaluation de la source de l’encouragement (variable de contrôle). Nous avons sélectionné 103 étudiants de notre échantillon pour mesurer la crédibilité et la confiance dans le professeur responsable de l’incubateur (échelle de Likert de 1 à 5 ; valeur test 3 ; P<0,05). Les participants ont évalué leur confiance dans le professeur responsable de l’incubateur, sur cinq items : fiable, honnête, sincère, sûr et véridique (Ohanian, 1990). Ils ont également évalué sa crédibilité, sur cinq items : expert, expérimenté, compétent, qualifié et capable (Ohanian, 1990). Un test t pour échantillon indépendant a montré une absence de différence de moyenne entre les groupes (P<0,05). Les résultats d’un test t (valeur de test 3) pour échantillon unique indiquent que le responsable de l’incubateur a été jugé crédible (µ = 3,608 ; σ = 0,78 ; t = 7,897 ; P <0,001) et digne de confiance (µ = 3,649 ; σ - = 0,66 ; t = 9,972 ; P<0,001).

5. Résultats

Après la présentation de l’analyse exploratoire (analyse en composantes principales) et de la validation du modèle de mesure, nous exposons nos principaux résultats que nous mettons en rapport avec nos hypothèses.

5.1. L’analyse exploratoire

Pour toutes les variables, nous avons réalisé des analyses en composantes principales (ACP) (Churchill, 1979 ; Pedhazur et Schmelkin, 1991). L’utilisation de l’analyse en composantes principales sur des échelles existantes se justifie par la spécificité de la population étudiée (étudiants) et par la nécessité de tester la structure de l’échelle dans le contexte spécifique de cette étude. Lors de la première itération, les échelles ont été soumises au test de fiabilité (α de Cronbach, cf. Peter, 1979). Les items ayant des contributions factorielles supérieures à 0,30 sur plusieurs facteurs ou n’ayant pas de contribution supérieure ou égale à 0,7 sur l’une des composantes principales identifiées ont été éliminés. L’examen des communautés (suppression en dessous de 0,4) a complété cette étape. Lors d’une seconde itération, les échelles modifiées ont fait l’objet d’un traitement statistique dont les résultats sont présentés dans le tableau 2. La solution factorielle, malgré l’élimination de certains items en raison de contributions largement inférieures à 0,7 ou d’items qui saturaient sur plusieurs dimensions, reproduit les dimensions proposées par les auteurs (cf. annexe 1).

Tableau 2

Analyse factorielle exploratoire

Analyse factorielle exploratoire

Méthode de rotation Oblimin avec normalisation de Kaiser, la rotation a convergé en 6 itérations.

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5.2. La validation du modèle de mesure

Pour réaliser les analyses factorielles confirmatoires (AFC), nous avons suivi les recommandations d’Anderson et Gerbing (1988) qui proposent une démarche d’analyse en deux étapes : la première consiste à réaliser une analyse factorielle confirmatoire (AFC) du modèle de mesure afin d’évaluer l’ajustement de celui-ci aux données, de définir et d’améliorer la validité convergente et la validité discriminante des construits ; la seconde permet de tester les relations structurelles des différents construits.

En ce qui concerne les analyses factorielles confirmatoires, nous avons opté pour une analyse des structures de covariance (estimation par le maximum de vraisemblance). La condition de multi-normalité de nos données n’étant pas respectée (Mardia, 1970), nous avons procédé à une procédure de « Bootstrap » (n = 200). La proximité des résultats obtenus avec et sans Bootstrap a indiqué une certaine stabilité du modèle de mesure. Pour juger de la qualité du modèle de mesure, nous avons examiné les corrélations multiples au carré (SMC), les indices de modification, le niveau des résidus standardisés. L’item AM 5 (indices de modification élevés marquant de nombreuses corrélations avec d’autres construits) a été supprimé.

La qualité de cette analyse factorielle confirmatoire est acceptable. Tous les l sont supérieurs ou égaux à 0,7, tous les SMC sont supérieurs à 0,5 hormis IR5, IR4, AEE3, AM6, et dans une moindre mesure IN3. Toutefois, nous conservons ces items pour perdre le moins d’informations possible, ces résultats ne pénalisant drastiquement ni la fiabilité, ni la validité convergente des différents construits. Concernant les indices d’ajustement, ils sont acceptables. Le GFI et l’AGFI sont acceptables. Les autres indices d’ajustement satisfont aux normes proposées par Hu et Bentler (1999). La fiabilité des mesures est vérifiée, les rhôs de Jöreskog sont supérieurs à 0,7. La validité convergente (tableau 3) et la validité discriminante (tableau 4) sont démontrées. Chaque variable latente partage plus de 50 % de sa variance avec chacune de ses mesures, et la variance moyenne extraite de chaque construit est supérieure au carré des corrélations que celui-ci partage avec les autres construits.

Tableau 3

Analyse factorielle confirmatoire

Analyse factorielle confirmatoire

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Tableau 4

Validités convergente et discriminante des variables du modèle

Validités convergente et discriminante des variables du modèle

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Les valeurs des AVE (validité convergente) figurent sur les diagonales ; les autres valeurs correspondent aux corrélations au carré de chaque construit avec les autres.

5.3. La validation du modèle structurel

Pour tester nos hypothèses, nous avons opté pour la méthode des modèles d’équations structurelles (ou de causalité[2]).

Les résultats de cette analyse sont globalement acceptables et toutes les probabilités P sont significatives. Concernant les indices d’ajustement, le GFI, l’AGFI, le Chi2/ddl et le RMSEA sont bons alors que le TLI, le CFI et le SRMR atteignent les normes les plus strictes proposées par Hu et Bentler (1999). Les hypothèses 1, 2 et 3 sont confirmées (cf. figure 2). L’analyse des SMC (équivalents aux r2 d’une régression) indique que le modèle explique 37 % de l’attitude envers le message, 50 % de l’éveil émotionnel, 4 % de l’auto-efficacité et 16 % de l’intention entrepreneuriale. La figure 2 synthétise ces résultats.

Figure 2

Le modèle validé

Le modèle validé

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Nous avons, par ailleurs, réalisé une analyse multi-groupes afin de tester le modèle en fonction du genre du répondant (cf. annexe 3). Les résultats indiquent une stabilité du sens de la relation (pour chacun des liens envisagés), avec, en revanche, des variations d’intensité (les relations étant significativement plus fortes pour les femmes que pour les hommes).

Tableau 5

Les résultats du modèle structurel

Les résultats du modèle structurel

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5.4. Le test des hypothèses de modération

Pour vérifier les hypothèses liées à l’effet des variables modératrices, nous avons eu recours à des analyses multi-groupes. Cette analyse est une application de la modélisation par les équations structurelles qui permet d’étudier un modèle sur différents groupes et de tester dans quelle mesure la nature et la force des relations varient d’un groupe à l’autre. Deux types d’analyses ont été menés : 1. Des analyses multi-groupes destinées à vérifier l’invariance du modèle de mesure dans les deux groupes ; 2. Des analyses multi-groupes permettant de vérifier la variance du modèle structurel entre les deux groupes. Pour vérifier le statut modérateur des variables, nous avons procédé à des tests de différence de Chi2 (Roussel, Durrieu, Campoy et Akremy, 2002). Nous avons ensuite examiné les coefficients de régression standardisés pour vérifier que l’influence de la variable modératrice soit conforme à l’effet escompté. Nous présentons également les indices d’ajustement des données au modèle spécifié.

Effet modérateur du cadrage

Les résultats indiquent une invariance du modèle de mesure, toutes les probabilités des relations entre les variables observées et les variables latentes sont inférieures à 0,001. En ce qui concerne l’ajustement du modèle testé en analyse multi-groupes, les résultats sont légèrement inférieurs à ceux obtenus pour le modèle complet, mais restent acceptables. Le RMSEA est inférieur au seuil de 0,05. Le CFI et le TLI se situent au-dessus des normes recommandées (Roussel, Durieu, Campoy et El Adkremy, 2002). Le Chi2 par degrés de liberté est égal à 1,45 (Roussel, Durieu, Campoy et El Adkremy, 2002) ; Bagozzi, Yi et Phillips (1991) recommandent une valeur inférieure à 5. L’ajustement des données au modèle spécifié est donc acceptable et nous permet de tester nos hypothèses.

Tableau 6

Indices d’ajustement modèle multi-groupes (cadrage)

Indices d’ajustement modèle multi-groupes (cadrage)

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Tableau 7

Effet modérateur du cadrage

Effet modérateur du cadrage

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Les hypothèses de modération relatives au cadrage sont validées : lorsque le message est positif, il renforce le lien entre l’attitude à l’égard du message et l’éveil émotionnel, et entre l’éveil et auto-efficacité entrepreneuriale.

Effet modérateur de l’encouragement

Les mêmes remarques que pour l’effet du cadrage peuvent être formulées à l’égard des indices d’ajustement de l’analyse multi-groupes concernant l’encouragement. Ces résultats sont donc acceptables.

Tableau 8

Indices d’ajustement modèle multi-groupes (encouragement)

Indices d’ajustement modèle multi-groupes (encouragement)

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Tableau 9

Effet modérateur de l’encouragement

Effet modérateur de l’encouragement

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Toutes les hypothèses concernant le rôle modérateur de l’encouragement dans la construction de l’intention entrepreneuriale des étudiants sont rejetées (tableau 9). En effet, et contrairement à ce que nous pouvions attendre, nous nous apercevons que les liens factoriels entre l’attitude à l’égard du message et l’éveil émotionnel, d’une part, et entre l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité entrepreneuriale, d’autre part, sont moins forts en présence de l’encouragement de la part du professeur responsable de l’incubateur de l’école. De plus, un test de différence de moyenne (cf. annexe 3) indique que la présence d’encouragements de la part du professeur responsable de l’incubateur impacte négativement l’attitude à l’égard du message diffusé (différence de µ =  0,347 ; t = 3,409 ; ddl : 274 ; P = 0,001) ainsi que l’éveil induit par le message (différence de µ = 0,350 ; t = 3,186 ; ddl : 274 ; P = 0,002) et ne semble pas avoir d’effet significatif sur l’auto-efficacité entrepreneuriale (t = 1,073 ; ddl : 274 ; P = 0,284).

Par ailleurs, en décomposant l’effet de l’encouragement du responsable de l’incubateur en fonction du genre du récepteur du message, des résultats contrastés apparaissent (cf. tableau 10). Ainsi, il semblerait que la présence de l’encouragement du responsable de l’incubateur ait un effet opposé entre les hommes et les femmes. Si l’effet est positif pour les femmes, il semblerait que pour les hommes la présence d’encouragement par un tiers ait un impact négatif sur la perception du modèle de rôle.

Tableau 10

Effet du genre combiné à celui de l’encouragement

Effet du genre combiné à celui de l’encouragement

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6. Discussion

Les entrepreneurs potentiels sont exposés quotidiennement à une multitude de modèles de rôle, notamment dans les médias et lors de leur cursus de formation et de préparation à une carrière entrepreneuriale. La théorie de la comparaison sociale indique que les individus auraient tendance à sélectionner les modèles auxquels ils souhaitent se confronter en fonction de leurs objectifs, de leur niveau d’implication, de leur motivation et de leur capacité à traiter l’information fournie par le modèle (Buunk et Gibbons, 2007 ; Gibson, 2004 ; Stapel et Marx, 2006).

Cet article mesure l’impact des modèles de rôle positifs et négatifs sur un échantillon d’étudiants inscrits dans une formation en management et entrepreneuriat. Les résultats confirment notre modèle de recherche, néanmoins, ceux relatifs à la force des liens et au pouvoir explicatif du modèle semblent plus contrastés. Ainsi, les résultats confirment le rôle du message de sensibilisation mettant en scène un modèle de rôle dans l’éveil émotionnel de l’auditoire étudiant. À l’opposé, l’auto-efficacité entrepreneuriale n’est que modérément expliquée par l’attitude envers le message et le niveau d’éveil émotionnel de l’auditoire. Quant à l’intention entrepreneuriale, elle est très partiellement expliquée par le niveau de l’auto-efficacité, ce qui peut s’expliquer par deux des limites de notre recherche : la prise en compte de la dimension « recherche d’opportunités » seule pour la mesure de l’auto-efficacité des étudiants, ainsi que le manque de mesures de l’attitude envers le comportement de création d’entreprises et de la norme subjective le concernant. Des recherches supplémentaires seront nécessaires afin d’enrichir ce modèle structurel avec les deux autres facteurs antécédents de l’intention comportementale identifiés par le modèle de l’action planifiée d’Ajzen (1985) et avec la prise en compte d’une mesure plus complète des dimensions de l’auto-efficacité, auprès d’une population étudiante ou d’entrepreneurs novices.

Par ailleurs, nous avions émis l’hypothèse que l’intervention du professeur responsable de l’incubateur pouvait renforcer le lien entre l’attitude envers le message et l’éveil émotionnel, ainsi que celle entre l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité entrepreneuriale. En d’autres termes, en tant que source de l’auto-efficacité entrepreneuriale, on s’attendait à ce que la présence d’un encouragement ou bien renforce l’impact final sur l’auto-efficacité en situation d’exposition à un message de succès, ou bien diminue l’impact négatif sur l’auto-efficacité d’un message d’échec. Nos résultats nuancent cette hypothèse. Globalement, que le message du modèle de rôle soit positif ou négatif, dès lors que les étudiants (hommes et femmes confondus) sont exposés à un message d’encouragement du professeur, cela a pour effet de baisser la force des liens entre l’attitude envers le message et l’éveil émotionnel, d’une part, et d’autre part entre l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité. La baisse est significative pour l’attitude envers le message et l’éveil émotionnel. En analysant plus finement ces résultats, on constate des effets contrastés selon que l’étudiant soit un homme ou une femme. S’il s’agit d’un homme, l’encouragement du professeur réduit la force des liens entre son attitude envers le message du modèle de rôle et l’éveil émotionnel, d’une part, et d’autre part entre l’éveil émotionnel et l’auto-efficacité. À l’opposé, s’il s’agit d’une étudiante, l’encouragement du professeur exerce un effet modérateur positif comme nous l’avons émis en hypothèse. Notre hypothèse est donc confirmée pour les femmes, mais pas pour les hommes participants. Comment expliquer ces résultats contradictoires ?

Premièrement, ces effets peuvent être dus à un facteur de distraction induit par l’intervention du professeur responsable de l’incubateur, tout de suite après l’exposition au message présentant le modèle de rôle. Cependant, les effets différenciés selon que l’on soit un récepteur de sexe masculin ou de sexe féminin nous conduisent à proposer d’autres explications. La théorie de la réactance de Brehm (1966) pourrait permettre d’expliquer pourquoi l’encouragement du professeur a un effet contraire à celui attendu. Autrement dit, pourquoi l’encouragement décourage plutôt que d’encourager alors que son contenu est identique dans le cas des hommes et des femmes participant à l’expérimentation. Cette théorie s’intéresse au comportement des individus face à une restriction perçue de leur liberté de choix. La réactance est une motivation intra-individuelle ayant pour finalité le recouvrement d’une perception de liberté menacée ou supprimée. Des conditions sont nécessaires à son occurrence : l’individu doit sentir une menace peser sur son autonomie et il doit être libre de ses choix. Selon Brehm (1966), l’intensité de la réactance psychologique sera alors d’autant plus grande que l’importance du comportement menacé sera forte et que la proportion de comportements menacés sera notable par rapport à l’ensemble des choix disponibles. Une des expériences menées par Brehm (1966) expose des étudiants à des injonctions venues de professeurs et d’étudiants concernant « l’extension de l’usage des machines à enseigner dans la pédagogie ». Les résultats montrent que l’émetteur étudiant étant plus proche des sujets, ceux-ci développent un sentiment d’identification, alors que le professeur étant jugé comme extérieur au groupe d’étudiants constitue une intrusion externe par rapport à l’autonomie des sujets. Lorsque l’injonction vient du professeur, l’opinion en faveur de la « modification pédagogique » proposée est plus négative que lorsqu’il s’agit d’injonctions produites par des étudiants. Dans notre cas, les étudiants sont exposés dans un premier temps à un message prononcé par un individu auquel ils s’identifient (un ancien étudiant, diplômé du même programme que les participants). Ce message pouvant être négatif ou positif, ils sont libres de lui attribuer la valeur qu’ils souhaitent. En revanche, dès lors qu’un membre du personnel de l’école intervient dans cette relation, il réduit la liberté d’interprétation du message par les étudiants. Son discours étant logiquement positif (on comprendrait mal qu’un pédagogue dissuade les étudiants d’entreprendre), tout se passe comme s’il provoquait chez les sujets une réactance psychologique. Les étudiants rétabliraient ainsi leur autonomie en s’opposant à ses propos. Dans notre étude, il y a de la réactance de la part des hommes, mais de la part des femmes, comment expliquer cette différence ? La plupart des études sur l’intention d’entreprendre des femmes démontrent de manière consistante que les femmes ont des niveaux d’intention moins élevés que les hommes, car elles expriment souvent une moindre confiance dans leur capacité à devenir entrepreneur, en d’autres termes, une auto-efficacité entrepreneuriale moins élevée que les hommes (Wilson, Kickful et Marlino, 2007, p. 391). Bien évidemment, nous pouvons penser que cette représentation négative quant à sa capacité d’entreprendre peut être expliquée par les normes sociales et les modèles de rôle faisant encore la promotion de l’entrepreneuriat comme une activité éminemment masculine (Kourilsky et Walstad, 1998). Dès lors, nous pouvons penser que lorsqu’une femme se compare à une autre femme présentée en tant que modèle d’entrepreneur, elle va davantage rechercher une forme de consensus (Festinger, 1971) ou une validation externe par d’autres acteurs avant de confirmer son opinion. Quant à l’homme, encouragé par les normes sociales, il lui est plus aisé d’exprimer une plus grande confiance en sa propre capacité à entreprendre. Lorsqu’il se compare à un modèle d’entrepreneur, il est susceptible de ne pas rechercher une validation externe pour former son opinion. Dans notre étude, les étudiants et les étudiantes reçoivent ainsi différemment l’encouragement du professeur à la suite d’un premier message d’ancien étudiant (ou étudiante) exposé comme modèle d’entrepreneur. À la différence des femmes, les hommes sont plus concernés par le souci d’exprimer un statut social élevé en montrant leur indépendance d’opinion (Eagly, 1978, 1983). De fait, par souci de non-conformisme, ils peuvent exprimer une opinion contraire à celle du professeur pour exprimer leur libre arbitre même si au fond, ils partagent cette opinion. Dans notre étude, la réactance s’exprime donc chez les hommes. Quant aux femmes dans notre étude, l’encouragement du professeur est recherché pour les conforter dans leur opinion et ainsi avoir le sentiment d’un consensus social. À la différence des hommes, les femmes sont plus concernées par la relation aux autres et la recherche d’harmonie (Eagly, 1978, 1983). De fait, le conformisme serait davantage recherché par les femmes que les hommes. Cette opposition est vérifiée dans d’autres expérimentations où hommes et femmes sont exposés à des opinions d’autrui sur l’attirance romantique et sexuelle par exemple (Griskevicius, Goldstein, Mortensen, Cialdini et Kenrick, 2006). Dans le cas de l’exposition d’étudiantes à des modèles de rôles entrepreneuriaux, nous pensons que l’encouragement d’un professeur peut donc s’avérer bénéfique pour renforcer l’impact positif des messages en provenance de ces modèles. Par contre, dans le cas de l’exposition d’étudiants de sexe masculin à des modèles d’entrepreneur, cet encouragement ne semble pas requis. Bien au contraire, cela est susceptible d’induire chez les étudiants hommes une réactance et réduire l’impact des messages émanant de ces modèles.

Nous souhaitons noter quelques implications pour la pratique de l’enseignement entrepreneurial. D’abord, il nous semble important pour les professeurs et les tuteurs de s’assurer que l’identification avec les modèles de rôle proposés aux étudiants est effective, et que les étudiants évaluent le modèle comme à la fois exemplaire et accessible. D’autre part, le risque de réactance, notamment dans le cadre des étudiants de sexe masculin exposés à un discours pédagogique en faveur de l’entrepreneuriat est un renseignement utile pour les professeurs qui tentent de renforcer l’auto-efficacité et l’intention entrepreneuriale de leurs élèves. Au fond, cet effet de réactance face au discours encourageant d’un professeur constitue peut-être une indication relative aux limites de la persuasion à l’école : car le professeur qui invite et présente favorablement un modèle de rôle entrepreneurial vise au fond à convaincre ses étudiants de modifier la forme et le contenu de leurs projets d’affaires ou bien leur comportement afin de se rapprocher au plus près des normes et des attentes sociales supposées. Pour éviter la réactance, il faudrait donc sortir d’une stratégie de persuasion et mobiliser, en tant que formateur, d’autres stratégies de communications alternatives. Les recherches récentes de Radu Lefebvre et Redien-Collot (2013) mettent en avant le rôle de la communication d’engagement, par exemple, pour impliquer des entrepreneurs débutants et les inviter à embrasser une carrière entrepreneuriale. L’engagement consiste à renforcer la capacité de l’entrepreneur novice à assumer pleinement son rôle social à travers la mise en oeuvre d’actions concrètes pour lancer son entreprise, à travers, par exemple, des incitations à défendre son projet devant des amis pour le tester et le faire évoluer, ou des témoignages du professeur sur son propre trajet professionnel, ses difficultés et ses succès. Une autre stratégie utile serait la communication critique (Radu Lefebvre et Redien-Collot, 2013), qui consiste à analyser et à évaluer un projet entrepreneurial, tout en proposant des pistes d’amélioration. Pour résumer, l’exposition à des modèles de rôle pourrait ainsi donner lieu, de la part du professeur, à une analyse critique de la démarche entrepreneuriale (communication critique) et à une mise en avant des spécificités de la carrière entrepreneuriale, de ses attraits comme de ses défis pour les jeunes (communication engageante).

Notre recherche a aussi des implications plus globales sur l’étude de l’impact des modèles de rôle entrepreneuriaux. À partir des théories de l’intention comportementale et de la théorie de l’auto-efficacité, nous avons montré comment l’exposition à des modèles de rôle exerce un impact sur les émotions et les cognitions des étudiants, à travers une manipulation de plusieurs sources de l’auto-efficacité (le modelage, la persuasion verbale et l’éveil émotionnel). Peu de recherches ont testé par le passé l’impact conjoint de ces trois sources de l’auto-efficacité sur une population étudiante en contexte d’éducation entrepreneuriale. Nos résultats soulignent la nécessité pour l’éducation entrepreneuriale d’utiliser à bon escient et par un travail systématique l’ensemble des sources de l’auto-efficacité : l’expérience directe, le modelage, la persuasion verbale et l’éveil émotionnel (Bandura, 2006). Les professeurs pourraient, par exemple, proposer des études de cas et des rencontres avec les entrepreneurs, démultipliant les supports et les occasions de comparaison sociale. Après l’exposition aux modèles, des débats pourraient être organisés afin de répondre aux interrogations des étudiants et les aider à réguler leur anxiété éventuelle. Par ailleurs, d’autres théories psychosociales seraient pertinentes à mobiliser dans ce cadre, comme la théorie de la comparaison sociale afin d’être en mesure de savoir quel type de modèle (masculin ou féminin, de succès ou en situation d’échec) et quel type de comparaison (ascendante, latérale ou descendante) seraient les plus adaptés selon le public auquel on s’adresse et les effets escomptés de l’intervention pédagogique. Une meilleure prise en compte de la communication orale et écrite, du langage et des stratégies de communication des professeurs et des tuteurs serait également importante afin de nous permettre de mieux comprendre l’impact des discours des modèles de rôle entrepreneuriaux sur l’auto-efficacité et l’intention entrepreneuriale.

Conclusion

Les modèles de rôle peuvent renforcer la confiance des individus en leurs propres capacités d’entreprendre. Toutefois, peu d’études empiriques ont été conduites à ce jour sur l’impact des modèles de rôle dans les campagnes de sensibilisation. Notre étude confirme l’hypothèse que l’exposition à des modèles de rôle est susceptible d’exercer un impact favorable sur l’auto-efficacité et l’intention entrepreneuriale, notamment lorsque le modèle génère une attitude positive et une réaction émotionnelle favorable. Aussi, le rôle modérateur du cadrage du message est confirmé. En revanche, la persuasion verbale opérationnalisée sous la forme de l’intervention d’un membre du corps éducatif semble diminuer l’impact du message et induire un effet de distraction ou une réactance psychologique. Au-delà des limites méthodologiques exposées dans la section consacrée à la discussion des résultats, une autre limite de notre recherche concerne l’échantillon choisi. Les étudiants de notre échantillon étaient inscrits dans un programme d’initiation à l’entrepreneuriat au sein d’une école spécialisée en management où l’entrepreneuriat est une discipline reconnue. Par conséquent, il serait utile de dupliquer cette expérimentation sur d’autres populations d’étudiants (hors programmes en entrepreneuriat et hors écoles de management, par exemple). La validé externe d’une telle expérimentation demande donc à être confirmée par d’autres expérimentations, dans d’autres contextes. Par ailleurs, il serait utile d’étudier l’impact d’autres types de supports pédagogiques utilisant des modèles de rôle afin de consolider la validité externe des résultats.

Enfin, nous pensons également que la situation préalable de l’étudiant est susceptible de modérer sa perception des modèles de rôle. De fait, il nous semble nécessaire de mobiliser à l’avenir des variables complémentaires, comme l’expérience antérieure, les traits de personnalité, le lieu de contrôle et l’estime de soi, ainsi que l’attitude envers la création d’entreprises et la norme subjective afin de mesurer leur impact direct ou modérateur sur l’intention entrepreneuriale en situation d’exposition à des modèles de rôle entrepreneuriaux.