Comptes rendus de lecture

La vraie révolution du microcrédit, Jean-Michel SERVET, Édition Odile Jacob 2015, 250 p.[Record]

  • Josée St-Pierre

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  • Josée St-Pierre
    Professeure titulaire, Université du Québec à Trois-Rivières

« Quarante ans après l’émergence des premières organisations modernes de microcrédit, on se trouve bien face à une révolution financière. Mais celle-ci ne réalise pas la promesse de l’éradication de la pauvreté et de l’indigence. » (Servet, 2015, p. 1) Cet extrait de l’avant-propos traduit bien le contenu de l’ouvrage dans lequel l’auteur adopte un ton critique et lucide. À partir d’un tracé historique du développement du domaine, évoquant les objectifs originaux du microcrédit, ses promesses économiques et sociales et les bénéfices sur les populations pauvres, Jean-Michel Servet discute du sujet en conjuguant notamment les points de vue économiques, financiers, sociaux. Cela permet de comprendre l’origine des dérives du microcrédit conçu dans une logique qui s’est transformée avec le temps et l’intervention d’une finance plus institutionnalisée. Son propos est soutenu par une large documentation et sa connaissance approfondie du terrain. Le chapitre premier décrit le « contexte idéologique et les conditions socioéconomiques et politiques dans lesquels le mythe de la révolution du microcrédit a émergé ». L’auteur y rappelle l’origine du microcrédit et commente de nombreux rapports et discours rendus publics vantant ses mérites à partir de données économiques et sociales diverses. En mettant en parallèle les données de sources différentes, lesquelles illustrent des idéologies parfois incompatibles avec la mission même du microcrédit, il propose un portrait nettement plus nuancé, mais très critique des bénéfices supposés de la « microfinance ». Il interpelle notamment les lecteurs néophytes qui souhaitent se familiariser avec le domaine de ne pas limiter leur lecture aux travaux utilisant de larges bases de données économiques qui cachent des réalités fort contrastées selon les régions, montrant « qu’en certaines circonstances, [le microcrédit] a des conséquences néfastes et ne peut être étendu indéfiniment » (p. 22). L’auteur rappelle également l’influence de l’intervention des médias sur « l’image » du microcrédit étant encensé de façon démesurée en montrant des cas exceptionnels d’enrichissement et de sortie de la pauvreté, avant d’être dénigrés pour ne pas avoir respecté ses promesses menant à des détresses financières d’un nombre croissant de petits emprunteurs. Ce retracé historique et critique permet aussi de mettre en garde le lecteur sur les origines et les conséquences « des » crises qui ont entaché l’image du microcrédit au cours de la dernière décennie. Les causes réelles ont besoin d’être identifiées, analysées et critiquées pour un diagnostic clair de la situation du microcrédit qui permettra peut-être d’en améliorer le fonctionnement plutôt que de remettre en question sa légitimité. Le deuxième chapitre trace l’évolution du domaine sur quatre décennies, à partir de l’origine jusqu’aux dernières années, et dans tous les coins de la planète. L’expansion du phénomène est intimement liée à des « constructions ou reconstructions de sociétés démocratiques », expliquant qu’il soit plus concentré dans certaines régions du monde. Cet historique où sont identifiés les organismes qui participent à ce marché en croissance importante permet de comprendre pourquoi, tranquillement, la cible initiale du microcrédit soit les « populations pauvres ou socialement exclues », était de moins en moins visée. Changement de dénomination, visibilité mondiale attrayante par le nombre de personnes visées et la valeur humaine du phénomène, émergence de sites Internet dédiés, multiplication des organisations et gonflement continuel des budgets en jeu par les apports de capitaux de sources diverses, alors que les sommes versées aux nécessiteux demeurent faibles et les difficultés pour y accéder s’accroissent. Les médias contribuent à cette euphorie, mais taisent certains agissements critiquables notamment la multiplication des sommets et des conférences qui se tiennent dans des environnements contrastant fortement avec la mission de l’organisme. La dernière décennie se conclut par une diversification des services …