Chronique sur le métier de chercheur

Être formé pour et… par la recherche[Record]

  • Olivier Germain and
  • Laurent Taskin

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  • Olivier Germain
    ESG UQÀM

  • Laurent Taskin
    Louvain School of Management-UCL

Qu’est-ce qu’être un « bon » chercheur en gestion aujourd’hui ? La réponse n’est pas évidente et suscite de nombreuses autres considérations. Par exemple, parle-t-on d’un « bon » chercheur dans une business school britannique, américaine ou dans une université française, québécoise ou belge ? Pour répondre à cette question, nous avons choisi de convoquer la notion d’épreuve telle que mobilisée par Boltanski. Un « bon » chercheur n’est-il pas celui qui lors de son apprentissage découvre et surmonte des épreuves typiquement associées à la réalisation d’une thèse de doctorat, telles que l’écriture, le jugement, mais aussi le doute ? Après avoir présenté ces épreuves, nous nous demandons si les formations au doctorat en sciences de gestion préparent les impétrants à s’en affranchir avec succès. La réponse est, malheureusement, mitigée : nous pensons, au contraire, que les écoles doctorales forment à la technique du « faire » de la recherche. Pour permettre de dépasser les épreuves formatrices du doctorat, nous proposons de réhabiliter la conception du doctorat comme espace d’émancipation, de découvertes et d’errements, c’est-à-dire comme un espace liminal plutôt qu’un espace seulement institutionnel. Finalement, nous invitons les directeurs de thèse à définir les espaces liminaux au sein desquels les doctorants sont appelés à évoluer. Réfléchir à ce qu’est un bon chercheur en gestion en suggérant les contours d’une sorte d’idéaltype relève de l’exercice périlleux : d’abord parce que cela met de côté la dynamique de découverte chemin faisant de ce qui constituera l’identité du chercheur et qui doit être selon nous au coeur du projet doctoral ; ensuite, parce que cela risque de produire un ensemble de critères considérés comme des attentes légitimes qui n’ont pas à être questionnées ; enfin parce qu’il faut être conscient des effets performatifs d’une liste de compétences à cocher sur la réalité des doctorants. À l’inverse, notre expérience suggère que l’étudiant au cours de son parcours doctoral travaille son identité à l’aune d’épreuves qui le jalonnent de manière parfois indéterminée. L’épreuve, pour l’apprenti chercheur, consiste en la rencontre d’une situation problématique l’obligeant à clarifier ses croyances quant au métier d’enseignant-chercheur ; c’est-à-dire où s’éprouve ce qui est considéré pour vrai tant pour lui que par sa communauté. L’épreuve révèle ce dont le chercheur est capable et même, plus profondément, ce qui le constitue en termes identitaires (Boltanski et Chiapello, 1999). Tout l’enjeu se trouve donc dans la manière dont l’étudiant sera amené à considérer ces épreuves : soit comme des passages obligés de la formation au métier de chercheur, ce que Boltanski et Thévenot (1991) nomment des « épreuves légitimes » ; soit comme des moments où il est en mesure de desserrer la contrainte pour mettre en avant sa singularité, ce que ces auteurs nomment des « épreuves de force ». Si l’épreuve est considérée par le jeune chercheur comme légitime, son travail consistera alors à répondre strictement aux attentes des membres de la communauté. Il pourra au contraire être amené à construire un rapport de force autour de ces épreuves en se confrontant aux attentes de la communauté, quitte à les remettre en cause. Selon nous, l’élaboration de l’identité du chercheur se joue dans le dosage, mais aussi la tension vécue entre des épreuves de force et des épreuves légitimes. Nous identifions sept épreuves qui nous paraissent consubstantielles à la formation du chercheur. Tentons à présent de répondre à la question : « Nos formations doctorales donnent-elles les outils à nos chercheurs pour surmonter ces épreuves ? » Il apparaît que, des sept épreuves qui précèdent, certaines sont préparées dans le cadre des formations doctorales, mais comme des épreuves légitimes. Nous …

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