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L’ouvrage Manager l’innovation en PME s’adresse prioritairement aux dirigeants de PME qui cherchent à articuler leur démarche d’innovation avec leurs pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) et, plus largement, de management. Issu des travaux que Ludivine Adla a menés dans le cadre de sa thèse de doctorat en sciences de gestion (soutenue en 2018), l’ouvrage dresse un panorama de l’innovation en PME, éclaire le poids de la GRH dans ce processus et formule un certain nombre de préconisations managériales. Celles-ci reposent sur un modèle proposé par les auteures, dénommé LMR (pour Libérer – Mobiliser – Repenser les dons), qui s’appuie sur la théorie du don/contre-don fondée par Marcel Mauss (1925). Ce modèle LMR vise à aider les dirigeants à « transformer leurs pratiques de GRH en un véritable levier d’innovation » (p. 21), actant tout à la fois de l’importance stratégique de l’innovation pour les PME, mais aussi des difficultés et des obstacles auxquelles celles-ci font face en la matière (notamment quant à des ressources – financières et plus encore humaines – limitées). Les auteures ont eu le souci de rendre leur récit clair et illustré. Celui-ci est ponctué d’encadrés mettant en scène trois PME de la région Auvergne Rhône-Alpes, dont on découvre progressivement les enjeux, réussites et écueils en matière d’innovation, ainsi que les modalités de management et de GRH mises en place par ces entreprises au cours de leur trajectoire. L’ouvrage est structuré en trois parties équilibrées, chacune composée de deux chapitres, dont la lecture est fluide et agréable.

Dans une première partie, les auteures s’intéressent à l’innovation en PME et à ses spécificités. Le chapitre 1 précise ce qu’est l’innovation, concept polysémique et protéiforme. Partant des travaux fondateurs de Schumpeter, les auteures distinguent ensuite les perspectives qui considèrent l’innovation comme un résultat ou comme un processus allant de la génération d’une idée à sa concrétisation et son adoption. C’est dans cette veine que s’inscrit cet ouvrage, considérant l’innovation comme « un processus, soumis à des facteurs contextuels internes et externes, qui se fonde sur les multiples contributions des acteurs interagissant dans ce cadre. Il vise à introduire une nouveauté relative, susceptible de revêtir diverses formes, au sein de l’organisation » (Adla, 2018). Sont alors mises en avant les trois typologies classiques de l’innovation : selon sa nature (innovation technologique ou administrative), son objet (innovation produit, procédé ou organisationnelle) et son degré d’intensité (innovation incrémentale ou radicale). S’en suit une présentation de l’évolution des approches de l’innovation du modèle linéaire et séquentiel (techno-push) à un modèle intégratif. Les auteures expliquent ce changement du fait des limites du premier modèle qui ne tient pas compte des phénomènes de feedbacks et d’apprentissage, notamment venant des utilisateurs. Ce modèle intégratif aurait pu être plus clairement explicité (il est seulement indiqué qu’il repose sur une appréhension globale et la prise en compte des diverses parties prenantes interdépendantes) et discuté, alors que l’ambition des auteures est de proposer, à leur tour, un nouveau modèle. Le chapitre 1 s’achève sur la tendance contemporaine. S’il est indiqué qu’elle consiste à « systématiquement réaliser de l’exploration, de la rétention et de l’exploitation, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’entreprise, tout au long du processus d’innovation » (Lichtenthaler, 2011, p. 77), sur les activités des entreprises ne sont pas détaillées.

Après ce large tour d’horizon, le chapitre 2 traite des spécificités de l’innovation en contexte PME. Après avoir rappelé que les PME représentent plus de 99 % des entreprises en France et emploient plus de 6 millions de salariés, les auteures répertorient les différentes conceptions de la PME. Ainsi, le courant des spécificités de la PME propose une approche très universelle toutes les PME se caractérisent par des traits communs qui les différencient des grandes entreprises : centralisation du pouvoir, faible spécialisation des tâches, informalité, stratégie implicite, etc. Le courant de la diversité s’appuie, au contraire, sur une vision plus contingente, actant d’une diversité des PME selon leurs caractéristiques et celles de leur contexte. Une fois la PME définie et décrite, les auteures portent leur attention sur la PME comme lieu d’innovation (essentiellement incrémentale, faute souvent d’être en mesure d’engager les ressources suffisantes pour mener des activités plus ambitieuses visant des innovations radicales). L’une des difficultés en PME est que le processus d’innovation demeure encore peu visible, car entremêlé avec les activités quotidiennes. Les auteures conseillent alors aux dirigeants d’être à l’écoute de leur organisation pour identifier les innovations cachées qui émergent de l’activité des salariés, et qu’il est important de reconnaître pour éviter la frustration de ceux qui y ont contribué. Elles appellent aussi les dirigeants à faire preuve d’agilité. Ici nous pouvons nous interroger sur la spécificité des propos développés dans l’ouvrage au seul sujet des PME, car le même type d’enjeux nous semble se manifester dans de grandes entreprises lorsque l’on considère l’innovation « ordinaire » (Alter, 2000) au sein d’unités opérationnelles (hors R&D).

Dans la deuxième partie, les auteures se penchent sur les leviers et obstacles à l’innovation en PME (chapitre 3), et font un focus sur le rôle de la GRH (chapitre 4). Une barrière majeure au développement et au maintien de l’innovation en PME est le manque de ressources financières, mais aussi humaines, avec une part d’investissement en R&D insuffisante, du personnel pas assez qualifié et expert ou encore une GRH trop peu développée. Au-delà des aides publiques, le dirigeant de PME peut se tourner vers des structures spécifiques d’accompagnement ou nouer des partenariats. Les leviers et obstacles à l’innovation sont dans tous les cas propres à chaque PME, alors que la taille, l’âge, la structuration organisationnelle et la culture d’innovation constituant autant de facteurs de contingence. Pour autant, les aspects managériaux sont toujours centraux, la figure du dirigeant pouvant être un levier comme un obstacle à l’innovation, selon son rapport au risque, son style de leadership ou son ouverture versus sa fermeture sur l’environnement. Une dimension clé réside dans la manière dont il considère les compétences des salariés (niveau d’exigence quant au profil des nouvelles recrues, soutien ou pas à la formation) et dont il encourage ou pas l’autonomie et la prise d’initiatives.

Tout ceci questionne le rôle de la GRH et le chapitre 4 envisage alors tout d’abord les spécificités de la GRH en PME, puis les relations qu’entretiennent la GRH et l’innovation en PME. La GRH en PME est classiquement décrite comme intuitive et informelle (ce qui peut présenter des avantages du point de vue du soutien à l’innovation) compte tenu notamment de la proximité spatiale et sociale des acteurs et du poids du dirigeant (Mahé de Boislandelle, 2015). Selon Adla et Gallego-Roquelaure (2018), deux types de GRH en PME existent et peuvent s’hybrider : la GRH autocentrée (où le dirigeant est aussi le DRH, générant des pratiques arbitraires du fait de la centralisation du pouvoir) et la GRH partagée entre le dirigeant et les salariés (ici les pratiques informelles a contrario favorisent une forte implication des salariés qui adhèrent au projet de l’entreprise). Les auteures recensent ensuite différentes grilles d’analyse de la GRH en PME s’inscrivant dans la perspective configurationnelle. Ils pointent comment le modèle de la convention discrétionnaire de Pichault et Nizet (2013) est proche de la GRH en PME (pratiques informelles et arbitraires, du fait du poids fort du dirigeant, dont les décisions reposent sur des critères subjectifs). Cependant, ce modèle ne rend pas compte de l’hétérogénéité des PME, alors que le caractère contingent et politique des processus de changement peut amener à des contenus différents au niveau de la GRH (selon le modèle contextualiste de Pettigrew, 1990). De plus, il occulte des dimensions centrales en contexte PME : les conditions de travail et la communication, ainsi que les préoccupations actuelles des dirigeants de PME quant aux liens au territoire, à l’éthique et à la RSE (Adla et Gallego-Roquelaure, 2019). Les auteures proposent alors une nouvelle forme de GRH socialement engagée, « partagée, davantage inclusive, (qui) s’étend au-delà des frontières de l’entreprise en intégrant ses diverses parties prenantes situées sur son territoire tout en tenant compte des évolutions de la société » (p. 119). On regrette ici le manque d’explicitation de cette nouvelle forme de GRH : en quoi consiste-t-elle d’un point de vue pratique ? Comment les PME vont-elles réussir à la mettre en place, alors qu’elles ont déjà des difficultés à s’approprier une GRH plus « classique » ?

Enfin, les auteures développent les liens entre la GRH et l’innovation. La GRH peut en effet favoriser l’innovation par la création d’un contexte adéquat (soutien managérial, apport de ressources, création d’espaces de liberté, autonomie, valorisation de la prise de risque, organisation décentralisée), comme par des pratiques RH dédiées au collectif (travail en équipe, recrutement de profils hétérogènes, systèmes de rémunération orientés vers la performance collective) ou favorisant l’innovation au niveau individuel (recherche de collaborateurs créatifs, agiles, ayant le goût du risque, développement de la participation et de la communication). À son tour, l’innovation va transformer la GRH. En tant que « destruction créatrice », l’innovation entraîne la disparition de certains métiers, remplacés par de nouveaux, faisant émerger des tensions au niveau des compétences requises et la nécessité pour la GRH d’accompagner les transitions professionnelles par la formation ou la mobilité. La GRH a également un rôle à jouer dans le maintien de la qualité de vie au travail qui peut se dégrader lors de projets d’innovation, notamment sous l’effet de la pression. Les auteures évoquent enfin les liens entre l’innovation et un ensemble de tensions positives (des « débats » procédant d’échanges d’arguments potentiellement générateurs de solutions innovantes) comme négatives (des « conflits » conduisant à des relations interpersonnelles dégradées et à une baisse de motivation). Elles insistent sur le soutien à apporter aux salariés impliqués dans l’innovation, qu’il s’agisse de leur donner les moyens de travailler comme de leur manifester de la reconnaissance pour les efforts fournis. Ainsi la GRH, en tant que levier et/ou obstacle, est bel et bien un antécédent organisationnel de l’innovation, même si elle reste parfois négligée par les dirigeants de PME. La partie 2 s’achève, à l’instar de la partie 1, sur un appel lancé à ces derniers : « soyez résilients et favorisez la résilience de vos équipes ! » étant incertaine par nature, il faut en effet apprendre à oser et, parfois ensuite, à se relever de l’échec. Le second point de vigilance porte sur l’implication des salariés et leur participation à une construction collective des objectifs, alors qu’il est indispensable d’emporter leur adhésion vis-à-vis des projets d’innovation de l’entreprise et d’obtenir d’eux des efforts soutenus dans le temps.

Dans la troisième et dernière partie du livre, les auteures en viennent à l’explicitation de la manière, dont elles mobilisent la théorie du don/contre-don pour comprendre les dynamiques d’engagement et de désengagement des individus dans les processus d’innovation. Actant le caractère essentiel des RH vis-à-vis du potentiel d’innovation de l’entreprise, ainsi que la nature très largement informelle des modes de fonctionnement en PME, les auteures mettent l’accent sur l’importance des relations interindividuelles et les liens sociaux comme fondements de l’implication. La capacité des PME à innover est conditionnée au fait qu’une pluralité d’acteurs (salariés comme partenaires externes) donnent à l’entreprise de leur temps, de leurs connaissances, de leur créativité, au-delà ou en dehors de toute obligation contractuelle les y contraignant. Alors que les PME font face à d’importantes limites en matière de ressources, ne disposant notamment pas de département R&D, elles ne peuvent espérer innover que si des salariés investissent de leur temps et mobilisent leurs compétences, au-delà des exigences « courantes » liées à leur poste. Pour expliquer pourquoi ceux-ci effectuent un tel don à l’entreprise (« adonnement » qui ne procède donc pas d’un troc à l’issue duquel les individus obtiendraient immédiatement une rétribution équivalente, par exemple en matière de prime ou de carrière), les auteures ont recours à la théorie développée par Marcel Mauss (1925). Présentés dans le chapitre 5, les concepts de cette théorie ont été mobilisés dans un contexte organisationnel notamment par Alter ou Caillé. Le don est ainsi défini par Godbout et Caillé (1992) comme « toute prestation de bien ou service effectuée, sans garantie de retour, en vue de créer, nourrir ou recréer le lien social entre personnes » (p. 32). Pour le saisir, il faut l’appréhender comme un fait social total, s’inscrivant dans un contexte et une histoire, amenant dans le cas d’une entreprise à le considérer dans un paysage de pratiques de management et dans sa dynamique qui peut consister en un cercle vertueux ou vicieux (selon que l’adonnement est stimulé et entretenu ou au contraire découragé).

Dans le sixième et dernier chapitre de l’ouvrage, les auteures explicitent leur modèle général qui relie la GRH et l’innovation au travers des relations de don/contre-don. Le modèle processuel LMR est composé de trois temps : Libérer – Mobiliser – Repenser les dons, sans que l’on ne sache sur le plan théorique et méthodologique comment s’est effectué le passage de l’approche cyclique et ternaire du don (donner – recevoir – rendre) aux trois temps du modèle proposé. Ceux-ci sont présentés ici en regroupant la mise en évidence de pratiques de GRH favorisant la dynamique du don et in fine la contribution du facteur humain à l’innovation (présentées dans le chapitre 6) et les recommandations adressées aux dirigeants en matière de management (formulées dans la conclusion générale).

Libérer les dons consiste d’une certaine manière à fertiliser le terrain sur lequel on espère ensuite faire pousser l’innovation. Il faut que le dirigeant donne du sens autour de projets d’innovation, tout en co-construisant et coconstruire une culture du don. La GRH, quant à elle, doit favoriser le recrutement de personnes qualifiées, porter attention à leur socialisation, penser des systèmes d’incitation, promouvoir la formation, la mobilité et de bonnes conditions de travail, ainsi que développer la valorisation des collaborateurs. La circulation de l’information et les échanges sont à favoriser. Ceci doit permettre « d’alimenter le stock de dons (connaissances, expérience, informations…) » et de faciliter « leur libération et leur circulation » dans l’entreprise (p. 168).

Mobiliser les dons renvoie à l’implication des acteurs dans le projet d’innovation qui exige beaucoup d’investissements dans un contexte incertain. Il s’agit de combiner les dons précédemment libérés en les orientant en direction de l’objectif commun. Certaines pratiques de GRH soutiennent la mobilisation des individus en les encourageant à être force de propositions, en donnant du sens, en les faisant travailler en équipe, en développant la responsabilisation, la confiance et l’autonomie. Ici les proximités qui apparaissent évidentes avec les théories de la motivation auraient été intéressantes à discuter. Le dirigeant participe à la mobilisation des dons en favorisant la collaboration verticale et horizontale, et en enrôlant des individus préalablement identifiés comme des homo donators.

Repenser les dons consiste en l’étape ultérieure. Sa nature est marquée par une ambiguïté alors qu’il est parfois fait référence à la phase de sortie d’un projet d’innovation (devant ainsi se répéter) et à d’autres endroits du texte à une évolution de la PME au cours de son cycle de vie (notamment lorsqu’il est pointé la formalisation et la structuration de l’entreprise). Quoi qu’il en soit, l’enjeu est ici de maintenir cette forme d’échange bien spécifique, alors qu’elle peut être menacée dans un contexte organisationnel en tension, notamment en cas de déception et de frustration des collaborateurs suite à une reconnaissance jugée insuffisante des efforts consentis au cours de la période précédente. Selon les situations, il s’agit de lutter contre l’épuisement, l’essoufflement ou le désengagement individuel. Il est nécessaire tout d’abord de prendre conscience des frustrations et donc d’être à l’écoute des salariés. La GRH doit réagir en renforçant l’accompagnement des collaborateurs, par la formation, l’amélioration des conditions de travail et de la communication, et en proposant une nouvelle organisation du travail venant renforcer l’implication des membres et la collaboration interne. Le dirigeant doit pour sa part témoigner sa gratitude aux collaborateurs engagés, tout en favorisant des dynamiques collectives en encourageant les interactions et la convivialité.

Après une synthèse des pratiques à développer pour libérer, mobiliser et repenser les dons en soutien à l’innovation (p. 180-181), les auteures concluent la partie 3 par deux derniers points de vigilance adressés aux dirigeants de PME. Il leur faut reconnaître le travail invisible, les prises d’initiatives et le bricolage qui sont indispensables au travail d’innovation, mais souvent non (ou insuffisamment) considérés. ils doivent faire preuve de courage managérial, en n’ayant pas peur de faire confiance à leurs collaborateurs et en ne se réfugiant pas derrière des directives et des procédures qui les rassurent, mais inhibent l’engagement des individus. S’appuyer sur l’informel et la proximité, l’autonomie et la reconnaissance, est ainsi à la base de l’initiation et de l’entretien de la dynamique du don/contre-don, sans laquelle il est impossible pour ces PME d’innover.

Arrivés au terme de ce livre, nous voudrions en souligner l’intérêt alors que les auteures se sont attachées à la relation entre la GRH et l’innovation qui, bien qu’essentielle, demeure insuffisamment étudiée. L’approche par la théorie du don est originale et très stimulante pour envisager la GRH, notamment dans ses liens à l’innovation, et ce au-delà même des PME. Ensuite, plusieurs des perspectives analytiques adoptées par les auteures nous apparaissent extrêmement pertinentes pour appréhender ces questions. Il en est ainsi de l’approche systémique et contingente des phénomènes concernant l’innovation, liant stratégie, gouvernance, management, GRH et environnement externe de la PME. Nous avons également apprécié le fait de considérer comment la GRH déborde des seules variables strictement labellisées comme telles, ainsi le recrutement, l’évaluation, la rémunération ou la formation, pour considérer le style de leadership, les modes de communication et de circulation de l’information, ainsi que l’organisation du travail. La GRH étant souvent informelle et embryonnaire dans les PME, cet élargissement du scope semble nécessaire, faute de ne pas avoir grand-chose à observer, mais en prenant le risque d’une certaine dilution de la GRH dans le management qui aurait pu être discuté. Ceci étant, dès lors que l’on s’intéresse à la dynamique d’engagement des individus et de mobilisation de leurs compétences dans le sens de l’innovation, celle-ci est effectivement façonnée conjointement, et de manière intimement liée, par la GRH et les pratiques de management. La prise en compte des phénomènes étudiés dans leur dimension dynamique est aussi une richesse de cette recherche, permettant une compréhension plus fidèle des processus d’innovation et des enjeux managériaux attenants qui sont, par essence, évolutifs. Cette perspective est suffisamment rare pour être soulignée, même si nous aurions été curieuses d’avoir un récit plus détaillé des trajectoires des trois PME étudiées et des transformations progressives de leurs problématiques gestionnaires. L’interrogation qui sous-tend le modèle LMR quant à la capacité à maintenir dans le temps les dynamiques d’engagement des salariés est probablement la question clé de la GRH dans les organisations innovantes, alors que l’on est passé de situations d’innovations ponctuelles à des enjeux de pilotage de flux répétés d’innovations (Charue-Duboc, 2007). Enfin, la référence, certes fugace, à la notion de plaisir comme participant de l’entretien de ces dynamiques nous semble particulièrement perspicace, à l’heure où les dimensions émotionnelles, comme ludiques, des activités créatives sont de plus en plus mises en lumière, y compris en sciences de gestion (Toustou, 2019).

En conclusion, nous voudrions engager la discussion avec les auteures sur les deux absents de cet ouvrage : les startups et l’ambidextrie. Au vu du titre de l’ouvrage, nous aurions pu nous attendre à de longs développements sur les startups, jeunes entreprises innovantes, gazelles ou PME technologiques disruptives. Ce n’est pas le cas, les propos se centrent sur des PME installées, traditionnelles, pour considérer comment celles-ci réussissent (ou pas), compte tenu des nombreuses difficultés qu’elles rencontrent, à mettre au point des innovations incrémentales. C’est un objet tout à fait légitime, d’autant plus qu’elles sont bien plus nombreuses que les formes plus médiatisées des start-up, mais il est un peu étonnant que ce ciblage n’ait pas été explicité. Alors que les auteures insistent sur l’importance de la contingence, il pourrait être plus clair pour le lecteur que soient bien positionnées les classes de situation considérées pour déterminer le périmètre de validité des analyses et recommandations. Ainsi les PME high-tech se distinguent-elles de celles plus traditionnelles, par exemple, par un plus grand degré de formalisation de leurs processus de gestion et notamment de GRH, un haut niveau de qualification des salariés, un fonctionnement plus adhocratique, de forts investissements en R&D ou encore un capital ouvert aux investisseurs extérieurs qui pèsent fortement sur la stratégie et le management. Peut-être que le choix de cas d’entreprises plus installées explique également l’absence de référence aux modèles de cycle de vie (Godener, 2002) qui, même s’ils sont contestables dans leur caractère parfois trop déterministe, permettent tout de même de bien positionner comment une entreprise rencontre des problématiques stratégiques, organisationnelles ou RH qui varient selon ses phases d’évolution. Alors que la perspective dynamique est présente dans cet ouvrage, ces travaux auraient pu être mobilisés (quitte à les critiquer). De la même manière, il aurait été intéressant d’entrer dans une discussion avec les auteures qui travaillent sur la GRH en startups. Citons notamment Galindo (2017) qui partage plusieurs des postures de l’ouvrage, avec une approche de la GRH extensive (considérant la communication, l’organisation du travail, la rémunération et la gestion de l’emploi) et dynamique (avec des analyses longitudinales). Galindo (2017) propose ainsi la formalisation d’un idéal-type de la GRH en startup qualifié de modèle CID, tout à fait intéressant (C : connaissances, challenge, convivialité ; I : informel, implication, initiative ; D : délégation, droit à l’erreur, distribution d’incentives). Enfin, il nous semble qu’une partie des difficultés que rencontrent les PME étudiées en matière d’engagement et de capacité à libérer les ressources nécessaires pour les activités d’innovation nous ramène au concept d’ambidextrie. Dans ces PME de taille modeste, les salariés doivent réaliser les activités quotidiennes attachées à leur poste (logique d’exploitation), tout en se projetant dans ce que pourraient être d’autres manières de faire ces dernières ou dans les nouvelles offres que l’entreprise pourrait proposer (logique d’exploration, qui plus est si on envisage des innovations radicales). Alors que le temps est une ressource limitée et que les activités d’exploration et d’exploitation (March, 1991) ne reposent pas sur les mêmes compétences, ni sur les mêmes processus cognitifs, cela est source de tensions. Puisqu’il s’agit bien pour ces PME de réussir à devenir et rester ambidextres, dans des situations où n’ayant pas de service de R&D elles sont dans des configurations d’ambidextrie contextuelle, pourquoi ne pas employer alors ce vocable et ces concepts ? Autant il nous semble important de bien définir le type d’organisations considérées, parmi un paysage vaste de formes de PME, autant il pourrait être inspirant d’engager une discussion avec les travaux qui ont étudié les liens entre GRH et innovation dans les startups, voire dans de grandes entreprises confrontées aux enjeux de l’ambidextrie (Dhifallah, Chanal et Defélix, 2008).

En résumé : un ouvrage très stimulant pour les chercheurs qui iront lire plus amplement les autres publications des auteures, et auront plaisir à entrer dans un dialogue avec elles ; et un ouvrage clair et important pour les dirigeants de PME en quête d’innovation !